mercredi 13 décembre 2017

Un dialogue entre deux moines
concernant la Papauté...


Max Barascudts (1869-1927) — Dans le Scriptorium



Par : Peter A. Kwasniewski PhD (Philosophie)
Professeur, Wyoming Catholic College

SOURCE : One Peter Five





Frère Barsanuphius : Bonjour, frère ! À ma grande surprise, la maison d'hôtes est complètement prête pour les arrivées d'aujourd'hui, et nous avons du temps avant le prochain office. Êtes-vous libre pour une conversation ? Nous pourrions reprendre là où nous nous étions arrêtés.

Frère Romuald : Ce serait une excellente chose à faire. Asseyons-nous ici près du jardin d'herbes aromatiques.

Frère Barsanuphius : Mon problème se résume à la relation entre l'instinct « conservateur » de se soumettre au Pape et l'instinct « Traditionaliste » de prendre la Tradition comme un guide sûr et d'en faire un critère. Je vois, d'une part, que l'instinct de vénération du Pape et d'accompagnement de son enseignement est sain, mais d'autre part, je connais assez l'histoire de l'Église pour voir que ce n'est pas infaillible. Et d'ailleurs, ce que l'on entend par « l'enseignement du Pape » est loin d'être simple, puisqu'il ne s'agit pas d'un corps d'enseignement uniforme mais de formes et de degrés d'autorité variés.

Frère Romuald : C'est comme si vous alliez droit au cœur de la question !

Frère Barsanuphius : Pour certaines personnes, l'idée de prendre la Tradition comme guide établit une construction intellectuelle qui ne peut jamais être déterminée, encourageant ainsi un esprit presque « Protestant » du « jugement privé ».

Frère Romuald : Mais comme les autres le voient, l'approche de se soumettre au Pape peut mal tourner si ça place trop de poids, dans un esprit d’ultramontanisme, sur les dicta et facta, les paroles et les actions du Souverain Pontife.

Frère Barsanuphius : C'est le contraste en un mot.

Frère Romuald : Je pense cependant que ces deux positions sont extrêmes. Il existe une véritable via média qui tient à la primauté réelle du Pape aussi bien qu'à la position normative de la Tradition qu'il est appelé à servir — et qu'il peut trahir d'une manière ou d'une autre.

Frère Barsanuphius : Oui, exactement ! J’avais l’habitude de penser qu'un Pape ne pourrait jamais dire ou faire quoi que ce soit de mal, comme si c'était son travail d'être une sorte d'Oracle de Delphes qui donne toujours une réponse inspirée, ou un dieu-roi que nous vénérons tous — « Le Grand Leader » à la manière presque Communiste ou fasciste.

Frère Romuald : Vous souffriez d'une illusion commune chez les Catholiques. La plupart ne comprennent pas bien le sens et le rôle de la Papauté.

Frère Barsanuphius : C'est vrai. Ce fut un moment décisif pour moi quand je n'ai pas trouvé moins que Joseph Ratzinger disant dans L'Esprit de la Liturgie — voyons voir, j'ai ce livre dans mon sac ... Ah oui, le voici.

« Après le Concile Vatican II, on a eu l'impression que le Pape pouvait vraiment faire n'importe quoi en matière liturgique, surtout s'il agissait selon le mandat d'un Concile œcuménique. Finalement, l'idée de la forme de la liturgie, le fait que l'on ne peut pas en faire ce que l'on veut, a disparu de la conscience publique de l'Occident. En fait, le Premier Concile du Vatican n'avait nullement défini le Pape comme un monarque absolu. Au contraire, il le présentait comme le garant de l'obéissance à la Parole Révélée. L'autorité du Pape est liée à la Tradition de la Foi, et cela s'applique également à la liturgie. Elle n'est pas « fabriquée » par les autorités. Même le Pape ne peut être qu'un humble serviteur de son développement légitime, de son intégrité et de son identité. . . . L'autorité du Pape n'est pas illimitée ; elle est au service de la Tradition Sacrée ».

Frère Romuald : C’est un bon passage en effet, et indicatif d'une tendance profonde dans sa pensée. Car si je ne me trompe pas, il a réitéré cette position en tant que Pape en 2005.

Frère Barsanuphius : Vous avez raison à ce sujet. Je l'ai imprimé sur une feuille de papier nichée dans ce livre parce que cela me semblait si important :

« Le pouvoir que le Christ a conféré à Pierre et à ses Successeurs est, dans un sens absolu, un mandat de servir. Le pouvoir de l'enseignement dans l'Église implique un engagement au service de l'obéissance à la Foi. Le Pape n'est pas un monarque absolu dont les pensées et les désirs sont la loi. Au contraire : le ministère du Pape est une garantie d'obéissance au Christ et à sa Parole. Il ne doit pas proclamer ses propres idées, mais plutôt lier constamment, lui et l'Église, à l'obéissance à la Parole de Dieu, face à toute tentative pour l'adapter ou l'édulcorer, et toute forme d'opportunisme. ... Le Pape sait que, dans ses décisions importantes, il est lié à la grande communauté de Foi de tous les temps, aux interprétations contraignantes qui se sont développées tout au long du pèlerinage de l'Église. Ainsi, sa puissance n'est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais au service de celle-ci. Il lui incombe de s'assurer que cette Parole continue à être présente dans sa grandeur et à retentir dans sa pureté afin qu'elle ne soit pas déchirée en pièces par des changements continus en usage ».

Frère Romuald : Eh bien, nous semblons être d'accord sur le rôle réel du Pape et sur les limites de son poste. Mais je me rappelle qu'hier vous étiez aux prises avec le problème de la conversion de John Henry Newman et comment il a, en quelque sorte, changé son allégeance d'une construction abstraite appelée « Tradition » à une mesure concrète appelée « Papauté ».

Frère Barsanuphius : Oui. En 1840, Newman croyait que « Tradition = Catholicisme », alors qu'en 1845 il en était venu à croire que « Pope = Catholicisme ». Ubi Petrus, ibi ecclesia[ Là où est Pierre, là est l’Église ], et toute cette pensée à ce propos.

Frère Romuald : À la lumière des citations précédentes de Ratzinger, cependant, ne devrions-nous pas soutenir que la différence entre Newman l'Anglican et Newman le Catholique n'est pas ceci du tout, mais, plutôt, qu'en 1845 il était venu à voir que le Pape est une partie intégrante et centrale de l'image, comme celui qui peut déterminer et définir — et a historiquement déterminé et défini — ce qui est et n'est pas selon la Tradition, ou ce qui est ou n'est pas enseigné dans l'Écriture ?

Frère Barsanuphius : Bien sûr. L'absence de ce pouvoir magistériel dans le Protestantisme explique pourquoi il existe dans plus de 30 000 dénominations. Quelqu'un doit être capable de dire, quand le moment est venu, ce qui est ou n'est pas enseigné par l'Écriture et la Tradition.

Frère Romuald : Sûrement, l'étape suivante consiste à dire que le Pape ne peut en aucun cas ajouter ou soustraire à la double fontaine de la Révélation, à savoir l'Écriture et la Tradition. Le Magistère interprète la Révélation ; il ne la génère pas ou ne la modifie pas. Le Magistère y est résolument secondaire. C'est du Catholicisme pur, sans un soupçon d'Anglicanisme des années 1840. On peut et doit considérer le chef de l'Église sur la terre comme un signe visible et une source de communion dans l'Église, sans considérer son autorité comme absolue sur la Doctrine et la discipline.

Frère Barsanuphius : Comment pourrais-je être en désaccord ? Cela me semble être du pur bon sens. Mais comment savons-nous quand un Pape agit selon sa fonction et quand il pourrait s'en écarter ? S'il est ultra vires, i.e. hors des limites, pouvons-nous jamais le savoir ?

Frère Romuald : Oui, je pense que nous devons être capables de faire cela. Au moins quelque chose du contenu de la Révélation peut être connu par les fidèles Catholiques avec une telle certitude que si — peut-être par impossibile, si vous préférez — un Pape devait la contredire, ils pourraient savoir qu'il était dans l’erreur et refuser de suivre l'erreur malgré son appui papal.

Frère Barsanuphius : Si l'on pouvait nier que la Foi orthodoxe ne puisse être connue du tout à part l'enseignement de l'actuel occupant de la papauté, en quoi cela serait-il différent du scepticisme épistémologique concernant la connaissance, l'objectivité, la constance et l'universalité de la Foi Catholique ?

Frère Romuald : En effet — nous ne serions même pas capables de reconnaître la continuité de la Foi au fil du temps puisque toute la continuité apparaissant dans les annales historiques ne serait que le résultat de beaucoup de Papes qui en sont arrivés à vouloir la même chose. Ce ne serait pas une garantie que ce à quoi ils adhéraient était la vérité et qu'ils n'adhéreraient jamais à quelque chose de différent.

Frère Barsanuphius : Une telle approche annulerait la règle ancestrale de Saint Vincent de Lérins, qui a enseigné que nous devons adhérer à des Doctrines crues « toujours, partout et par tout le monde ».

Frère Romuald : Exactement ! Mon cher frère, vous voyez maintenant que nous ne pouvons pas contourner ou écarter le besoin de critères rationnels pour déterminer comment et quand obéir au Pape ou embrasser ses déclarations, justement pour rester fidèles à la Vérité immuable de la Foi. Par cela, je veux dire que peu importe combien nos aperçus de Dieu peuvent se développer au fil du temps, ils ne contrediront jamais ce qui a été enseigné de façon solennelle ou cohérente auparavant.

Frère Barsanuphius : Comme vous me l'expliquiez la semaine dernière, c'est la raison pour laquelle Jean de Saint-Thomas, Cajetan, Bellarmin, Melchior Cano et d'autres grands théologiens du passé ont abondamment écrit sur ces questions, distinguant soigneusement entre des déclarations pontificales ou des jugements qui doivent être acceptés et ceux qui pourraient être remis en question ou, dans les cas les plus graves, doivent être rejetés.

Frère Romuald : Peut-être que nous ne devrions pas parler si hypothétiquement. Beaucoup de choses dites et faites par des Papes plus récents sont extrêmement difficiles à réconcilier avec l'enseignement manifeste des premiers Conciles, des Papes de jadis et même des Saintes Ecritures ; c'est carrément scandaleux parfois. Il suffit de comparer la lettre encyclique Casti Connubii à l'Exhortation apostolique Amoris Laetitia !

Frère Barsanuphius : Ah, mon frère, vous avez soulevé un sujet douloureux. Pendant un certain temps, pour être honnête, j'ai évité de suivre les nouvelles du Vatican afin de ne pas perdre courage, de ne pas être en colère, déprimé ou distrait.

Frère Romuald : Je sympathise totalement avec le désir de ne pas savoir à quel point les choses sont devenues mauvaises, mais nous devons reconnaître que les enjeux — tels que la proposition d'inviter à la Sainte Communion ceux qui vivent objectivement dans l'adultère ! — concerne l’essence même de notre Foi. Nous ne pouvons pas les ignorer, souhaitant qu'ils s'en aillent.

Frère Barsanuphius : D'ailleurs, les gens vont nous demander quelle est notre opinion. En tant qu'hommes de religion, nous avons le devoir d'être bien informés et bien éduqués ...

Frère Romuald : — et préparé pour ces moments embarrassants après la Messe ou dans la boutique de cadeaux.

Frère Barsanuphius : À qui le dites-vous ! Il y a quelques semaines, alors que je dirigeais le magasin, un homme est entré et a commencé à expliquer que la situation dans l'Église était si mauvaise que c'était sûrement un signe que nous n'avions pas de Pape légitime. J'ai essayé de raisonner avec lui sur la différence entre ne pas avoir un Pape du tout et avoir un mauvais Pape. Si vous avez un mauvais Pape, vous pouvez expliquer la situation désespérée dans l'Église sans trop de difficultés. Dans ce cas, nous appliquons le rasoir d'Ockham [ principe de philosophie qui conseille de garder les choses simples ].

Frère Romuald : L’avez-vous convaincu ?

Frère Barsanuphius : Je le pense. Je lui ai dit que notre situation ne s'améliorerait jamais à moins de prier tous les jours pour le Pape et l'Église — et de s'assurer de se protéger contre les mauvais esprits. Après une plaisanterie amicale et une tasse de thé, il acheta un tas de médailles de Saint Benoît, quelques chapelets, et un petit livret avec Prime et Complies, et quitta de bonne humeur.

Frère Romuald : C'est bon à entendre. Quelle bénédiction cette boutique de cadeaux...

Frère Barsanuphius : Mais la conversation m'a rendu mélancolique. En fait, c'est ce qui a motivé notre conversation d'hier sur l'insistance des Traditionalistes sur l'enseignement fixe et stable de l'Église dans le passé — par exemple, les décrets, les canons et les anathèmes du Concile de Trente — en tant que mesures permanentes du présent. Cela m'a fait me demander si je suis peut-être trop attaché à une certaine vision du passé ...

Frère Romuald : Nous pouvons tous ressentir cela de temps en temps. Pourtant, le passé nous est donné comme le fondement sur lequel le présent est construit et nous ne changeons pas la fondation d'un bâtiment à moins que nous ne voulions qu'il tombe.

Frère Barsanuphius : Un signe que nous ne sommes pas fous est le grand nombre de prêtres, d'Évêques et même de Cardinaux qui sont choqués et écoeurés par ce qu'ils voient se passer à Rome. Il ne s'agit nullement de la méfiance envers le Pape, du rejet de la Papauté ou de l'exaltation du jugement privé. Il s'agit de la méfiance à l'égard de ceux qui nuisent à l'Église et à la Foi enseignées par leurs prédécesseurs.

Frère Romuald : De façon positive, il s'agit d'adhérer à l'enseignement de Notre Seigneur dans les Évangiles sur le Mariage et le divorce — enseignement clairement énoncé et déterminé au-dessus de tout doute par le Magistère de l'Église, y compris récemment ( et à plusieurs reprises ) par Saint Jean Paul II et Benoît XVI.

Frère Barsanuphius : Amen pour cela. À quoi sert le Pape, sinon pour garder et proclamer le Dépôt de la Foi, intégral et pur ?

Frère Romuald : Et dire qu’on avait l’habitude de prendre cela pour acquis ! Newman appelle le Pape un remora, « un brise-lames, un frein, un stoppeur contre l'innovation » tout comme le genial Père Hunwicke le dit. De par ses fonctions mêmes, il doit être obstinément conservateur, doctrinalement sans originalité, tout à fait traditionnel.

Frère Barsanuphius : C'est ce pourquoi l'Église Romaine a été célèbre au premier millénaire du Christianisme — son Canon Romain est le plus ancien et le plus inchangé de toutes les anaphores — et elle a également conservé ce rôle au deuxième millénaire.

Frère Romuald : Oui, l'Église Romaine était si résistante au changement qu'elle n'a même pas récité le Credo pendant la Messe pendant plusieurs siècles puisque cela ne faisait pas partie de la liturgie existante et a finalement cédé lorsque tout le monde l'utilisait ailleurs.

Frère Barsanuphius : Nous aurions certainement pu utiliser une partie de cet esprit de résistance au changement dans les années soixante et soixante-dix quand la culture laïque avait plus ou moins fait de l'évolution une religion !

Frère Romuald : Vous pouvez le redire en effet.

Frère Barsanuphius : Clairement, ce dont nous avons besoin, c'est d'un Pape réformateur, d'un homme comme Saint Grégoire VII, Saint Pie V ou Saint Pie X, qui peut entrer et être ce stoppeur à l'innovation — avec, je dois tout autant le dire, une paire de bras solides pour balayer les écuries d'Augias [grand nettoyage en employant des méthodes radicales ].

Frère Romuald : Ce qui est étrange au-delà de ce qu’on peut croire, c'est qu'il y a des gens qui pensent que nous sommes des Catholiques déloyaux pour avoir dit de telles choses. Comme ils en connaissent peu sur la loyauté ou sur le Catholicisme !

Frère Barsanuphius : En tout cas, par la grâce de Dieu, je n'abandonnerai jamais Notre Seigneur, le Siège de Pierre ou la Foi Catholique qui a été transmise à chaque génération dans la Doctrine officielle de l'Église. Comme le premier Pape a dit : « A qui irions-nous ? Tu as les Paroles de la Vie Éternelle ».

Frère Romuald : Bien dit ... même si nous pouvons être légitimement perplexes et attristés par le dernier successeur de Pierre, à qui Notre Seigneur, s'il marchait encore les chemins de cette terre, aurait beaucoup de raison de prononcer les mêmes paroles qu'il a dites au Premier Pape : « Arrière de moi, Satan : tu as la pensée des hommes et non la pensée de Dieu ».

Frère Barsanuphius : « La pensée des hommes, et non la pensée de Dieu... » Cela me rappelle. Avez-vous entendu les nouvelles de l’Acta Apostolicae Sedis ?

Frère Romuald : Hélas, oui. Qu'est-ce que vous en faites ?

Frère Barsanuphius : Pour autant qu’en disent les textes, ce n'est pas nouveau. Des observateurs astucieux ont toujours su que l'accès sacramentel pour les Catholiques vivant dans l'adultère est ce que les deux Synodes et Amoris Laetitia ont toujours recherché. Les conservateurs qui ont continué à faire des culbutes herméneutiques pour prouver que « rien n'a changé » ont reçu maintenant assez d'oeufs sur leur visage pour une provision d'omelettes à vie. Les défenseurs de la continuité viennent d'être largués sans cérémonie tandis que les agents de la révolution ont reçu le signal : « À toute vapeur ».

Frère Romuald : Mais cela fait monter les enjeux, n'est-ce pas, en invoquant « l'autorité magistérielle » et en l'enfermant dans les Acta et ainsi de suite ?

Frère Barsanuphius : De nos jours, il semble que ce soit un geste favori que de penser qu'appliquer l'étiquette « magistériel » sur des paquets rendra soudainement le contenu comestible ou même sain. Non, cela dépend des ingrédients, pas de l'étiquette. N'avez-vous pas prêté attention quand nous en avons discuté il y a juste une minute ?

Frère Romuald : Mais il semble que d'inclure quelque chose dans les Acta est un gros problème. Je me souviens d'avoir lu dans un manuel néoscholastique des années 50 une déclaration selon laquelle « tout ce qui apparaît dans les actes du Saint-Siège peut être considéré comme un enseignement contraignant puisqu’il n'existe plus d’autre manière officielle de publier des documents destinés à lier les fidèles à une soumission religieuse de la volonté et de l'intellect ».

Frère Barsanuphius : D'une part, vous oubliez votre Lumen Gentium.

Frère Romuald : Il y a des choses que je n'ai jamais vraiment essayé de retenir.

Frère Barsanuphius : Voyons donc, ce document est votre ami — sur ce point, au moins. Il dit qu'il faut évaluer les affirmations faisant autorité par de nombreux critères : le type de document en question, la répétition d'une Doctrine, l'intention claire de définir ou de condamner. Bien que publiée dans les Acta , cette récente affaire n'est qu'une lettre à un petit groupe d'Évêques, pas même à une Conférence Épiscopale ; il énonce une nouveauté plutôt que de répéter ce qui a toujours été enseigné ; et il n'est pas rédigé dans un langage qui pourrait rivaliser avec le Canon 915, qui exprime soit un enseignement dominical, soit une conclusion tirée logiquement d’un enseignement dominical.

Frère Romuald : Bref, cela ne change rien à la Doctrine ou à la discipline de l'Église.

Frère Barsanuphius : Ni le pourrait-il pour cette raison. C'est un peu comme dire « Il y a des circonstances spéciales pour lesquelles il peut être approprié de faire un cercle d’un carré ». Mais un cercle ne peut jamais être un carré. Par conséquent, les circonstances spéciales ne se poseront jamais.

Frère Romuald : Bien dit.

Frère Barsanuphius : Pour en revenir à votre manuel, soyons francs : les manuels néoscholastiques ont leurs points forts, mais un compte rendu sain et modéré de l'autorité papale n'en fait pas partie. Rappelez-vous comment Newman s'est plaint des résultats probables de la proclamation du dogme de l'infaillibilité à Vatican I ?

Frère Romuald : Il a prédit qu'il y aurait une vénération et une adoration dangereuses de la personne et des opinions du Pape régnant, contrairement à la Doctrine limitée de l'infaillibilité définie à ce Concile.

Frère Barsanuphius : Peut-être que ce que nous traversons aujourd'hui est la manière désordonnée dans laquelle les problèmes diagnostiqués par Newman seront finalement passés au crible et clarifiés. Car il y a plus d'un siècle de maximalisme papal et de positivisme qui s'accorde mal avec la plupart des Traditions Catholiques et nous pouvons les voir s'autodétruire en ce moment.

Frère Romuald : En d'autres termes, nous avons eu des attentes déraisonnables au sujet de la Papauté, et maintenant le Seigneur nous met à l'épreuve ultime, pour voir si nous sommes assez mûrs dans notre Foi pour y faire face.

Frère Barsanuphius : Pour le dire plus positivement : ce Pontificat va forcer les théologiens à faire plus de distinctions sur l'exercice de la fonction papale et les paramètres exacts de l'obéissance des fidèles que ce qu'ils ont jamais été tenus de faire auparavant. Dans les manuels néoscholastiques, par exemple, on considérait que la simple apparence de quelque chose dans le Acta Apostolicae Sedis justifierait de lui faire une soumission religieuse de volonté et d'intelligence. Cette dernière publication met plutôt brusquement fin à cette déférence exagérée !

Frère Romuald : Vous voulez dire que ça nous montre que les hypothèses des années 1950 sont intenables ?

Frère Barsanuphius : C'est vrai. Les années 1950 nous ont donné deux exemples frappants : l'Assomption et les hypothèses des réformateurs liturgiques qui nous ont donné la « Semaine Sainte réformée ». La première est un Dogme de la Foi ; le dernier était une rupture tragique.

Frère Romuald : Je sais ce que vous voulez dire. Pendant longtemps, j'ai eu ce sentiment désagréable que les rites Pacelliens [ Pacelli = Pape Pie XII ] étaient un pastiche de morceaux anciens et modernes, basés sur l'idée intelligente de quelqu'un sur comment les choses devraient aller. Cela n'a jamais semblé juste.

Frère Barsanuphius : Et quand le monastère est revenu aux anciens rites de la Semaine Sainte, j'étais — je dois le dire — tout simplement emporté par le caractère merveilleux, la majesté et leur réalité écrasante. Je me sentais presque écrasé par leur poids, et pourtant curieusement libre d'être sérieux au sujet de la chose la plus sérieuse de toutes.

Frère Romuald ( après un silence ) : Vous devenez un mystique pour moi, frère ...

Frère Barsanuphius ( souriant ) : Vous pouvez blâmer cela sur l'ancienne liturgie !

Frère Romuald : Le point est que nous avons besoin d'une meilleure règle que cet automatisme néoscholastique, qui suppose pratiquement que chaque titulaire du trône pontifical sera un saint et un docteur de l'Église pour démarrer. Nous avons besoin de quelque chose de plus en accord avec les intentions et les textes de Vatican I, sans parler de la compréhension nuancée, développés au cours des dix-neuf siècles, de l'autorité inhérente de l'Écriture, de la Tradition et du Magistère.

Frère Barsanuphius : Ce que vous dites me rappelle qu'à cet égard, comme tant d'autres, nous sommes inférieurs à nos ancêtres, qui, en plus de leurs autres qualités, tendaient à être plus flexibles, plus réalistes, plus zélés, et avec plus de gros bon sens que nous sommes ... Ah, entends-tu la cloche des Vêpres ? Allons-y, nous ne serons pas ainsi en retard pour l’office.

Frère Romuald : Priez pour moi, mon frère. Je n'ai jamais pensé que je vivrais pour voir de tels moments.

Frère Barsanuphius : Ni aucun d'entre nous. Mais c'est l'âge que Dieu a voulu pour nous, pour vous et moi. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, Il nous a choisis pour ces temps, Il voulait que nous soyons ici, vivant, priant, souffrant. Nous avons beaucoup parlé de Newman. Vous connaissez cette méditation merveilleuse qui m'a apporté beaucoup de consolation au cours des années :

« Dieu m'a créé pour lui rendre un service défini ;
Il m'a confié un certain travail
qu'il n'a pas confié à d'autres ...
Par conséquent, je vais Lui faire confiance.
Peu importe où je suis, je ne peux jamais être balancé.
Si je suis malade, ma maladie peut Le servir ;
Dans la perplexité, ma perplexité peut Le servir ;
Si je suis dans le chagrin, mon chagrin peut Le servir.
Ma maladie, ma perplexité, ou mon chagrin
peuvent être des causes nécessaires pour une grande fin,
ce qui est tout à fait au-delà de nous.
Il ne fait rien en vain ;
Il peut prolonger ma vie, il peut la raccourcir ;
Il sait de quoi Il parle.
Il peut m’enlever mes amis,
Il peut me jeter parmi des étrangers,
Il peut me faire sentir désolé,
faire écrouler mes esprits,
cacher l'avenir de moi ...
Toujours, Il sait ce qu’il fait..»
C'est notre travail d'offrir un pur sacrifice de louange et de garder jalousement la Vérité qu'Il nous a transmise. Ce sera ainsi que nous « sauverons l'Église ». Cela n'arrivera pas autrement.

Frère Romuald : Vous avez de la sagesse au-delà de vos années, jeune homme. Allons-y.






Max Barascudts (1869-1927) — Dans le Scriptorium



Par : Peter A. Kwasniewski PhD (Philosophie)
Professeur, Wyoming Catholic College

SOURCE : One Peter Five





Frère Barsanuphius : Bonjour, frère ! À ma grande surprise, la maison d'hôtes est complètement prête pour les arrivées d'aujourd'hui, et nous avons du temps avant le prochain office. Êtes-vous libre pour une conversation ? Nous pourrions reprendre là où nous nous étions arrêtés.

Frère Romuald : Ce serait une excellente chose à faire. Asseyons-nous ici près du jardin d'herbes aromatiques.

Frère Barsanuphius : Mon problème se résume à la relation entre l'instinct « conservateur » de se soumettre au Pape et l'instinct « Traditionaliste » de prendre la Tradition comme un guide sûr et d'en faire un critère. Je vois, d'une part, que l'instinct de vénération du Pape et d'accompagnement de son enseignement est sain, mais d'autre part, je connais assez l'histoire de l'Église pour voir que ce n'est pas infaillible. Et d'ailleurs, ce que l'on entend par « l'enseignement du Pape » est loin d'être simple, puisqu'il ne s'agit pas d'un corps d'enseignement uniforme mais de formes et de degrés d'autorité variés.

Frère Romuald : C'est comme si vous alliez droit au cœur de la question !

Frère Barsanuphius : Pour certaines personnes, l'idée de prendre la Tradition comme guide établit une construction intellectuelle qui ne peut jamais être déterminée, encourageant ainsi un esprit presque « Protestant » du « jugement privé ».

Frère Romuald : Mais comme les autres le voient, l'approche de se soumettre au Pape peut mal tourner si ça place trop de poids, dans un esprit d’ultramontanisme, sur les dicta et facta, les paroles et les actions du Souverain Pontife.

Frère Barsanuphius : C'est le contraste en un mot.

Frère Romuald : Je pense cependant que ces deux positions sont extrêmes. Il existe une véritable via média qui tient à la primauté réelle du Pape aussi bien qu'à la position normative de la Tradition qu'il est appelé à servir — et qu'il peut trahir d'une manière ou d'une autre.

Frère Barsanuphius : Oui, exactement ! J’avais l’habitude de penser qu'un Pape ne pourrait jamais dire ou faire quoi que ce soit de mal, comme si c'était son travail d'être une sorte d'Oracle de Delphes qui donne toujours une réponse inspirée, ou un dieu-roi que nous vénérons tous — « Le Grand Leader » à la manière presque Communiste ou fasciste.

Frère Romuald : Vous souffriez d'une illusion commune chez les Catholiques. La plupart ne comprennent pas bien le sens et le rôle de la Papauté.

Frère Barsanuphius : C'est vrai. Ce fut un moment décisif pour moi quand je n'ai pas trouvé moins que Joseph Ratzinger disant dans L'Esprit de la Liturgie — voyons voir, j'ai ce livre dans mon sac ... Ah oui, le voici.

« Après le Concile Vatican II, on a eu l'impression que le Pape pouvait vraiment faire n'importe quoi en matière liturgique, surtout s'il agissait selon le mandat d'un Concile œcuménique. Finalement, l'idée de la forme de la liturgie, le fait que l'on ne peut pas en faire ce que l'on veut, a disparu de la conscience publique de l'Occident. En fait, le Premier Concile du Vatican n'avait nullement défini le Pape comme un monarque absolu. Au contraire, il le présentait comme le garant de l'obéissance à la Parole Révélée. L'autorité du Pape est liée à la Tradition de la Foi, et cela s'applique également à la liturgie. Elle n'est pas « fabriquée » par les autorités. Même le Pape ne peut être qu'un humble serviteur de son développement légitime, de son intégrité et de son identité. . . . L'autorité du Pape n'est pas illimitée ; elle est au service de la Tradition Sacrée ».

Frère Romuald : C’est un bon passage en effet, et indicatif d'une tendance profonde dans sa pensée. Car si je ne me trompe pas, il a réitéré cette position en tant que Pape en 2005.

Frère Barsanuphius : Vous avez raison à ce sujet. Je l'ai imprimé sur une feuille de papier nichée dans ce livre parce que cela me semblait si important :

« Le pouvoir que le Christ a conféré à Pierre et à ses Successeurs est, dans un sens absolu, un mandat de servir. Le pouvoir de l'enseignement dans l'Église implique un engagement au service de l'obéissance à la Foi. Le Pape n'est pas un monarque absolu dont les pensées et les désirs sont la loi. Au contraire : le ministère du Pape est une garantie d'obéissance au Christ et à sa Parole. Il ne doit pas proclamer ses propres idées, mais plutôt lier constamment, lui et l'Église, à l'obéissance à la Parole de Dieu, face à toute tentative pour l'adapter ou l'édulcorer, et toute forme d'opportunisme. ... Le Pape sait que, dans ses décisions importantes, il est lié à la grande communauté de Foi de tous les temps, aux interprétations contraignantes qui se sont développées tout au long du pèlerinage de l'Église. Ainsi, sa puissance n'est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais au service de celle-ci. Il lui incombe de s'assurer que cette Parole continue à être présente dans sa grandeur et à retentir dans sa pureté afin qu'elle ne soit pas déchirée en pièces par des changements continus en usage ».

Frère Romuald : Eh bien, nous semblons être d'accord sur le rôle réel du Pape et sur les limites de son poste. Mais je me rappelle qu'hier vous étiez aux prises avec le problème de la conversion de John Henry Newman et comment il a, en quelque sorte, changé son allégeance d'une construction abstraite appelée « Tradition » à une mesure concrète appelée « Papauté ».

Frère Barsanuphius : Oui. En 1840, Newman croyait que « Tradition = Catholicisme », alors qu'en 1845 il en était venu à croire que « Pope = Catholicisme ». Ubi Petrus, ibi ecclesia[ Là où est Pierre, là est l’Église ], et toute cette pensée à ce propos.

Frère Romuald : À la lumière des citations précédentes de Ratzinger, cependant, ne devrions-nous pas soutenir que la différence entre Newman l'Anglican et Newman le Catholique n'est pas ceci du tout, mais, plutôt, qu'en 1845 il était venu à voir que le Pape est une partie intégrante et centrale de l'image, comme celui qui peut déterminer et définir — et a historiquement déterminé et défini — ce qui est et n'est pas selon la Tradition, ou ce qui est ou n'est pas enseigné dans l'Écriture ?

Frère Barsanuphius : Bien sûr. L'absence de ce pouvoir magistériel dans le Protestantisme explique pourquoi il existe dans plus de 30 000 dénominations. Quelqu'un doit être capable de dire, quand le moment est venu, ce qui est ou n'est pas enseigné par l'Écriture et la Tradition.

Frère Romuald : Sûrement, l'étape suivante consiste à dire que le Pape ne peut en aucun cas ajouter ou soustraire à la double fontaine de la Révélation, à savoir l'Écriture et la Tradition. Le Magistère interprète la Révélation ; il ne la génère pas ou ne la modifie pas. Le Magistère y est résolument secondaire. C'est du Catholicisme pur, sans un soupçon d'Anglicanisme des années 1840. On peut et doit considérer le chef de l'Église sur la terre comme un signe visible et une source de communion dans l'Église, sans considérer son autorité comme absolue sur la Doctrine et la discipline.

Frère Barsanuphius : Comment pourrais-je être en désaccord ? Cela me semble être du pur bon sens. Mais comment savons-nous quand un Pape agit selon sa fonction et quand il pourrait s'en écarter ? S'il est ultra vires, i.e. hors des limites, pouvons-nous jamais le savoir ?

Frère Romuald : Oui, je pense que nous devons être capables de faire cela. Au moins quelque chose du contenu de la Révélation peut être connu par les fidèles Catholiques avec une telle certitude que si — peut-être par impossibile, si vous préférez — un Pape devait la contredire, ils pourraient savoir qu'il était dans l’erreur et refuser de suivre l'erreur malgré son appui papal.

Frère Barsanuphius : Si l'on pouvait nier que la Foi orthodoxe ne puisse être connue du tout à part l'enseignement de l'actuel occupant de la papauté, en quoi cela serait-il différent du scepticisme épistémologique concernant la connaissance, l'objectivité, la constance et l'universalité de la Foi Catholique ?

Frère Romuald : En effet — nous ne serions même pas capables de reconnaître la continuité de la Foi au fil du temps puisque toute la continuité apparaissant dans les annales historiques ne serait que le résultat de beaucoup de Papes qui en sont arrivés à vouloir la même chose. Ce ne serait pas une garantie que ce à quoi ils adhéraient était la vérité et qu'ils n'adhéreraient jamais à quelque chose de différent.

Frère Barsanuphius : Une telle approche annulerait la règle ancestrale de Saint Vincent de Lérins, qui a enseigné que nous devons adhérer à des Doctrines crues « toujours, partout et par tout le monde ».

Frère Romuald : Exactement ! Mon cher frère, vous voyez maintenant que nous ne pouvons pas contourner ou écarter le besoin de critères rationnels pour déterminer comment et quand obéir au Pape ou embrasser ses déclarations, justement pour rester fidèles à la Vérité immuable de la Foi. Par cela, je veux dire que peu importe combien nos aperçus de Dieu peuvent se développer au fil du temps, ils ne contrediront jamais ce qui a été enseigné de façon solennelle ou cohérente auparavant.

Frère Barsanuphius : Comme vous me l'expliquiez la semaine dernière, c'est la raison pour laquelle Jean de Saint-Thomas, Cajetan, Bellarmin, Melchior Cano et d'autres grands théologiens du passé ont abondamment écrit sur ces questions, distinguant soigneusement entre des déclarations pontificales ou des jugements qui doivent être acceptés et ceux qui pourraient être remis en question ou, dans les cas les plus graves, doivent être rejetés.

Frère Romuald : Peut-être que nous ne devrions pas parler si hypothétiquement. Beaucoup de choses dites et faites par des Papes plus récents sont extrêmement difficiles à réconcilier avec l'enseignement manifeste des premiers Conciles, des Papes de jadis et même des Saintes Ecritures ; c'est carrément scandaleux parfois. Il suffit de comparer la lettre encyclique Casti Connubii à l'Exhortation apostolique Amoris Laetitia !

Frère Barsanuphius : Ah, mon frère, vous avez soulevé un sujet douloureux. Pendant un certain temps, pour être honnête, j'ai évité de suivre les nouvelles du Vatican afin de ne pas perdre courage, de ne pas être en colère, déprimé ou distrait.

Frère Romuald : Je sympathise totalement avec le désir de ne pas savoir à quel point les choses sont devenues mauvaises, mais nous devons reconnaître que les enjeux — tels que la proposition d'inviter à la Sainte Communion ceux qui vivent objectivement dans l'adultère ! — concerne l’essence même de notre Foi. Nous ne pouvons pas les ignorer, souhaitant qu'ils s'en aillent.

Frère Barsanuphius : D'ailleurs, les gens vont nous demander quelle est notre opinion. En tant qu'hommes de religion, nous avons le devoir d'être bien informés et bien éduqués ...

Frère Romuald : — et préparé pour ces moments embarrassants après la Messe ou dans la boutique de cadeaux.

Frère Barsanuphius : À qui le dites-vous ! Il y a quelques semaines, alors que je dirigeais le magasin, un homme est entré et a commencé à expliquer que la situation dans l'Église était si mauvaise que c'était sûrement un signe que nous n'avions pas de Pape légitime. J'ai essayé de raisonner avec lui sur la différence entre ne pas avoir un Pape du tout et avoir un mauvais Pape. Si vous avez un mauvais Pape, vous pouvez expliquer la situation désespérée dans l'Église sans trop de difficultés. Dans ce cas, nous appliquons le rasoir d'Ockham [ principe de philosophie qui conseille de garder les choses simples ].

Frère Romuald : L’avez-vous convaincu ?

Frère Barsanuphius : Je le pense. Je lui ai dit que notre situation ne s'améliorerait jamais à moins de prier tous les jours pour le Pape et l'Église — et de s'assurer de se protéger contre les mauvais esprits. Après une plaisanterie amicale et une tasse de thé, il acheta un tas de médailles de Saint Benoît, quelques chapelets, et un petit livret avec Prime et Complies, et quitta de bonne humeur.

Frère Romuald : C'est bon à entendre. Quelle bénédiction cette boutique de cadeaux...

Frère Barsanuphius : Mais la conversation m'a rendu mélancolique. En fait, c'est ce qui a motivé notre conversation d'hier sur l'insistance des Traditionalistes sur l'enseignement fixe et stable de l'Église dans le passé — par exemple, les décrets, les canons et les anathèmes du Concile de Trente — en tant que mesures permanentes du présent. Cela m'a fait me demander si je suis peut-être trop attaché à une certaine vision du passé ...

Frère Romuald : Nous pouvons tous ressentir cela de temps en temps. Pourtant, le passé nous est donné comme le fondement sur lequel le présent est construit et nous ne changeons pas la fondation d'un bâtiment à moins que nous ne voulions qu'il tombe.

Frère Barsanuphius : Un signe que nous ne sommes pas fous est le grand nombre de prêtres, d'Évêques et même de Cardinaux qui sont choqués et écoeurés par ce qu'ils voient se passer à Rome. Il ne s'agit nullement de la méfiance envers le Pape, du rejet de la Papauté ou de l'exaltation du jugement privé. Il s'agit de la méfiance à l'égard de ceux qui nuisent à l'Église et à la Foi enseignées par leurs prédécesseurs.

Frère Romuald : De façon positive, il s'agit d'adhérer à l'enseignement de Notre Seigneur dans les Évangiles sur le Mariage et le divorce — enseignement clairement énoncé et déterminé au-dessus de tout doute par le Magistère de l'Église, y compris récemment ( et à plusieurs reprises ) par Saint Jean Paul II et Benoît XVI.

Frère Barsanuphius : Amen pour cela. À quoi sert le Pape, sinon pour garder et proclamer le Dépôt de la Foi, intégral et pur ?

Frère Romuald : Et dire qu’on avait l’habitude de prendre cela pour acquis ! Newman appelle le Pape un remora, « un brise-lames, un frein, un stoppeur contre l'innovation » tout comme le genial Père Hunwicke le dit. De par ses fonctions mêmes, il doit être obstinément conservateur, doctrinalement sans originalité, tout à fait traditionnel.

Frère Barsanuphius : C'est ce pourquoi l'Église Romaine a été célèbre au premier millénaire du Christianisme — son Canon Romain est le plus ancien et le plus inchangé de toutes les anaphores — et elle a également conservé ce rôle au deuxième millénaire.

Frère Romuald : Oui, l'Église Romaine était si résistante au changement qu'elle n'a même pas récité le Credo pendant la Messe pendant plusieurs siècles puisque cela ne faisait pas partie de la liturgie existante et a finalement cédé lorsque tout le monde l'utilisait ailleurs.

Frère Barsanuphius : Nous aurions certainement pu utiliser une partie de cet esprit de résistance au changement dans les années soixante et soixante-dix quand la culture laïque avait plus ou moins fait de l'évolution une religion !

Frère Romuald : Vous pouvez le redire en effet.

Frère Barsanuphius : Clairement, ce dont nous avons besoin, c'est d'un Pape réformateur, d'un homme comme Saint Grégoire VII, Saint Pie V ou Saint Pie X, qui peut entrer et être ce stoppeur à l'innovation — avec, je dois tout autant le dire, une paire de bras solides pour balayer les écuries d'Augias [grand nettoyage en employant des méthodes radicales ].

Frère Romuald : Ce qui est étrange au-delà de ce qu’on peut croire, c'est qu'il y a des gens qui pensent que nous sommes des Catholiques déloyaux pour avoir dit de telles choses. Comme ils en connaissent peu sur la loyauté ou sur le Catholicisme !

Frère Barsanuphius : En tout cas, par la grâce de Dieu, je n'abandonnerai jamais Notre Seigneur, le Siège de Pierre ou la Foi Catholique qui a été transmise à chaque génération dans la Doctrine officielle de l'Église. Comme le premier Pape a dit : « A qui irions-nous ? Tu as les Paroles de la Vie Éternelle ».

Frère Romuald : Bien dit ... même si nous pouvons être légitimement perplexes et attristés par le dernier successeur de Pierre, à qui Notre Seigneur, s'il marchait encore les chemins de cette terre, aurait beaucoup de raison de prononcer les mêmes paroles qu'il a dites au Premier Pape : « Arrière de moi, Satan : tu as la pensée des hommes et non la pensée de Dieu ».

Frère Barsanuphius : « La pensée des hommes, et non la pensée de Dieu... » Cela me rappelle. Avez-vous entendu les nouvelles de l’Acta Apostolicae Sedis ?

Frère Romuald : Hélas, oui. Qu'est-ce que vous en faites ?

Frère Barsanuphius : Pour autant qu’en disent les textes, ce n'est pas nouveau. Des observateurs astucieux ont toujours su que l'accès sacramentel pour les Catholiques vivant dans l'adultère est ce que les deux Synodes et Amoris Laetitia ont toujours recherché. Les conservateurs qui ont continué à faire des culbutes herméneutiques pour prouver que « rien n'a changé » ont reçu maintenant assez d'oeufs sur leur visage pour une provision d'omelettes à vie. Les défenseurs de la continuité viennent d'être largués sans cérémonie tandis que les agents de la révolution ont reçu le signal : « À toute vapeur ».

Frère Romuald : Mais cela fait monter les enjeux, n'est-ce pas, en invoquant « l'autorité magistérielle » et en l'enfermant dans les Acta et ainsi de suite ?

Frère Barsanuphius : De nos jours, il semble que ce soit un geste favori que de penser qu'appliquer l'étiquette « magistériel » sur des paquets rendra soudainement le contenu comestible ou même sain. Non, cela dépend des ingrédients, pas de l'étiquette. N'avez-vous pas prêté attention quand nous en avons discuté il y a juste une minute ?

Frère Romuald : Mais il semble que d'inclure quelque chose dans les Acta est un gros problème. Je me souviens d'avoir lu dans un manuel néoscholastique des années 50 une déclaration selon laquelle « tout ce qui apparaît dans les actes du Saint-Siège peut être considéré comme un enseignement contraignant puisqu’il n'existe plus d’autre manière officielle de publier des documents destinés à lier les fidèles à une soumission religieuse de la volonté et de l'intellect ».

Frère Barsanuphius : D'une part, vous oubliez votre Lumen Gentium.

Frère Romuald : Il y a des choses que je n'ai jamais vraiment essayé de retenir.

Frère Barsanuphius : Voyons donc, ce document est votre ami — sur ce point, au moins. Il dit qu'il faut évaluer les affirmations faisant autorité par de nombreux critères : le type de document en question, la répétition d'une Doctrine, l'intention claire de définir ou de condamner. Bien que publiée dans les Acta , cette récente affaire n'est qu'une lettre à un petit groupe d'Évêques, pas même à une Conférence Épiscopale ; il énonce une nouveauté plutôt que de répéter ce qui a toujours été enseigné ; et il n'est pas rédigé dans un langage qui pourrait rivaliser avec le Canon 915, qui exprime soit un enseignement dominical, soit une conclusion tirée logiquement d’un enseignement dominical.

Frère Romuald : Bref, cela ne change rien à la Doctrine ou à la discipline de l'Église.

Frère Barsanuphius : Ni le pourrait-il pour cette raison. C'est un peu comme dire « Il y a des circonstances spéciales pour lesquelles il peut être approprié de faire un cercle d’un carré ». Mais un cercle ne peut jamais être un carré. Par conséquent, les circonstances spéciales ne se poseront jamais.

Frère Romuald : Bien dit.

Frère Barsanuphius : Pour en revenir à votre manuel, soyons francs : les manuels néoscholastiques ont leurs points forts, mais un compte rendu sain et modéré de l'autorité papale n'en fait pas partie. Rappelez-vous comment Newman s'est plaint des résultats probables de la proclamation du dogme de l'infaillibilité à Vatican I ?

Frère Romuald : Il a prédit qu'il y aurait une vénération et une adoration dangereuses de la personne et des opinions du Pape régnant, contrairement à la Doctrine limitée de l'infaillibilité définie à ce Concile.

Frère Barsanuphius : Peut-être que ce que nous traversons aujourd'hui est la manière désordonnée dans laquelle les problèmes diagnostiqués par Newman seront finalement passés au crible et clarifiés. Car il y a plus d'un siècle de maximalisme papal et de positivisme qui s'accorde mal avec la plupart des Traditions Catholiques et nous pouvons les voir s'autodétruire en ce moment.

Frère Romuald : En d'autres termes, nous avons eu des attentes déraisonnables au sujet de la Papauté, et maintenant le Seigneur nous met à l'épreuve ultime, pour voir si nous sommes assez mûrs dans notre Foi pour y faire face.

Frère Barsanuphius : Pour le dire plus positivement : ce Pontificat va forcer les théologiens à faire plus de distinctions sur l'exercice de la fonction papale et les paramètres exacts de l'obéissance des fidèles que ce qu'ils ont jamais été tenus de faire auparavant. Dans les manuels néoscholastiques, par exemple, on considérait que la simple apparence de quelque chose dans le Acta Apostolicae Sedis justifierait de lui faire une soumission religieuse de volonté et d'intelligence. Cette dernière publication met plutôt brusquement fin à cette déférence exagérée !

Frère Romuald : Vous voulez dire que ça nous montre que les hypothèses des années 1950 sont intenables ?

Frère Barsanuphius : C'est vrai. Les années 1950 nous ont donné deux exemples frappants : l'Assomption et les hypothèses des réformateurs liturgiques qui nous ont donné la « Semaine Sainte réformée ». La première est un Dogme de la Foi ; le dernier était une rupture tragique.

Frère Romuald : Je sais ce que vous voulez dire. Pendant longtemps, j'ai eu ce sentiment désagréable que les rites Pacelliens [ Pacelli = Pape Pie XII ] étaient un pastiche de morceaux anciens et modernes, basés sur l'idée intelligente de quelqu'un sur comment les choses devraient aller. Cela n'a jamais semblé juste.

Frère Barsanuphius : Et quand le monastère est revenu aux anciens rites de la Semaine Sainte, j'étais — je dois le dire — tout simplement emporté par le caractère merveilleux, la majesté et leur réalité écrasante. Je me sentais presque écrasé par leur poids, et pourtant curieusement libre d'être sérieux au sujet de la chose la plus sérieuse de toutes.

Frère Romuald ( après un silence ) : Vous devenez un mystique pour moi, frère ...

Frère Barsanuphius ( souriant ) : Vous pouvez blâmer cela sur l'ancienne liturgie !

Frère Romuald : Le point est que nous avons besoin d'une meilleure règle que cet automatisme néoscholastique, qui suppose pratiquement que chaque titulaire du trône pontifical sera un saint et un docteur de l'Église pour démarrer. Nous avons besoin de quelque chose de plus en accord avec les intentions et les textes de Vatican I, sans parler de la compréhension nuancée, développés au cours des dix-neuf siècles, de l'autorité inhérente de l'Écriture, de la Tradition et du Magistère.

Frère Barsanuphius : Ce que vous dites me rappelle qu'à cet égard, comme tant d'autres, nous sommes inférieurs à nos ancêtres, qui, en plus de leurs autres qualités, tendaient à être plus flexibles, plus réalistes, plus zélés, et avec plus de gros bon sens que nous sommes ... Ah, entends-tu la cloche des Vêpres ? Allons-y, nous ne serons pas ainsi en retard pour l’office.

Frère Romuald : Priez pour moi, mon frère. Je n'ai jamais pensé que je vivrais pour voir de tels moments.

Frère Barsanuphius : Ni aucun d'entre nous. Mais c'est l'âge que Dieu a voulu pour nous, pour vous et moi. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, Il nous a choisis pour ces temps, Il voulait que nous soyons ici, vivant, priant, souffrant. Nous avons beaucoup parlé de Newman. Vous connaissez cette méditation merveilleuse qui m'a apporté beaucoup de consolation au cours des années :

« Dieu m'a créé pour lui rendre un service défini ;
Il m'a confié un certain travail
qu'il n'a pas confié à d'autres ...
Par conséquent, je vais Lui faire confiance.
Peu importe où je suis, je ne peux jamais être balancé.
Si je suis malade, ma maladie peut Le servir ;
Dans la perplexité, ma perplexité peut Le servir ;
Si je suis dans le chagrin, mon chagrin peut Le servir.
Ma maladie, ma perplexité, ou mon chagrin
peuvent être des causes nécessaires pour une grande fin,
ce qui est tout à fait au-delà de nous.
Il ne fait rien en vain ;
Il peut prolonger ma vie, il peut la raccourcir ;
Il sait de quoi Il parle.
Il peut m’enlever mes amis,
Il peut me jeter parmi des étrangers,
Il peut me faire sentir désolé,
faire écrouler mes esprits,
cacher l'avenir de moi ...
Toujours, Il sait ce qu’il fait..»
C'est notre travail d'offrir un pur sacrifice de louange et de garder jalousement la Vérité qu'Il nous a transmise. Ce sera ainsi que nous « sauverons l'Église ». Cela n'arrivera pas autrement.

Frère Romuald : Vous avez de la sagesse au-delà de vos années, jeune homme. Allons-y.





Aucun commentaire:

Publier un commentaire