mardi 19 décembre 2017

Du vaticaniste de Mattei

Une réponse à Edward Peters sur la lettre
de Buenos Aires et le Magistère Authentique

Edward Peters avait en effet critiqué Roberto de Mattei




Rédigé par : Roberto De Mattei

SOURCE : One Peter Five
Le 19 décembre 2017


Contexte de cet article

Voici la petite histoire des transactions pour bien comprendre où l'on est rendu avec cet article :

Le mois dernier, le Dr. Maike Hickson du site One Peter Five a commencé une correspondance électronique avec l'historien Catholique, auteur et conférencier, le Professeur Roberto de Mattei, sur la nature de l'escalade de la crise dans l'Église. Cette correspondance a donné lieu à l'article que vous pouvez consulter en français ici.

L'expert en Droit Canon, Edward N. Peters, a pris connaissance de l'article mentionné au paragraphe précédent et a rédigé une critique des propos de Roberto de Mattei. Vous pouvez consulter la critique de Peters en français ici.

Pour faire simple et bref, qu'en est-il au juste de cette dispute ?

Eh bien, de Mattei a commencé par dire à la journaliste Maike Hickson qui l'interviewait, que les choses étaient enfin rendues claires. Qu'est-ce à dire ? Eh bien, ça veut dire selon lui que le dépôt officiel aux Acta Apostolicae Sedis ( le registre officiel du Vatican ) des Directives des Évêques Argentins concernant Amoris Laetitia ainsi que la lettre du pape louant ces dites directives chassaient toutes les ambigüités et incertitudes entretenues jusque là par le Pape concernant la variété d'interprétations que l'on pouvait accorder à cette Exhortation Apostolique. Les fidèles sont rendus avec deux choix seulement : accepter ou refuser Amoris laetitia. Il n'existe plus de demi-mesures ou de zones grises permettant de dire oui et non en même temps.

Edward N. Peters répond à de Mattei de ne pas aller trop vite en la matière. Il maintient que tant que l'article du Droit Canon, le Canon 915, n'est pas modifié, le dépôt des deux documents pré-cités aux Acta Apostolicae Sedis ne signifie pas que ces documents sont magistériellement authentiques et dignes d'être crus et suivis par les Catholiques. Et ce, même si le Cardinal Parolin qui est à l'origine de ce dépôt a donne une note au registraire ( un rescrit ) lui ordonnant de considérer le dépôt de ces deux documents comme faisant partie du « magistère Authentique ».

En somme, tant que le Canon 915 ne sera pas pas modifié, les Catholiques divorcés/remariés n'ont pas le droit de communier malgré tout ce dépôt de documents qui pourraient affirmer le contraire. Voilà pour la position de Peters qui est tout à fait contraire à celle de de Mattei.

Nous en sommes là. Et l'article qui suit, c'est De Mattei qui répond à Peters.


Le Professeur Edward Peters est un érudit orthodoxe fiable qui veut contenir les dommages de l'Exhortation post-synodale Amoris laetitia en s'appuyant sur la défense du Droit Canon, en particulier le Canon 915 du nouveau Code de Droit Canonique, qui dit : « Les excommuniés et les interdits, après l'infliction ou la déclaration de la peine et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste, ne seront pas admis à la sainte communion » ( E. Peters, Trois façons de ne pas traiter le Canon 915, dans « The Catholic World Report », 24 janvier 2017, et Quelques remarques sur l'interview de de Mattei, dans « The Catholic World Report », 13 décembre 2017, dans lequel il critique mon interview publiée à « One Peter Five » le 11 décembre 2017 ). À cette fin, il tente de minimiser le « Rescriptum ex audientia SS.mi » du 5 juin 2017, rendant les deux documents auxquels il ne leur était attaché pratiquement aucune importance à un niveau théologique et canonique ( cf. Sur l'apparition de la lettre du Pape aux Évêques Argentins dans les Acta Apostolicae Sedis, dans À la lumière de la loi — A Canon Lawyer’s Blog [ Un blog d'un avocat canoniste ], le 4 décembre 2017 ).

Je vais essayer d'expliquer pourquoi cette position, bien que motivée par de bonnes intentions, me semble à la fois faible et dangereuse.

En ce qui concerne le Droit Canon, je me réfère à l'étude d'un Canoniste Italien talentueux qui utilise le pseudonyme d’Augustinus Hipponensis. Il observe que lorsque le Canon 915 parle de « ceux qui persévèrent obstinément dans un péché grave et manifeste », il ne se réfère pas seulement aux divorcés et remariés, mais à une catégorie de personnes beaucoup plus large qui inclut aussi, par exemple, les politiciens en faveur de l'avortement ou de l'euthanasie, comme l'affirmait le Cardinal Burke dans un de ses articles ( Canon 915 : Discipline concernant le déni de la Communion à ceux persévérant obstinément dans le péché grave ), dans « Periodica de re canonica » ( 2007 ), pp. 58 ). L'intention du Pape Bergoglio n'est pas de changer complètement ( in toto ) le Canon 915, mais seulement d'en supprimer une catégorie de personnes ( les divorcées et remariées ). Pour ce faire, il n'était pas nécessaire, ni même logique, d'amender la norme générale. Le rescrit papal a l'intention de ne traiter que de l'interdiction spécifique et particulière ( sur les divorcés et remariés ), laissant intact le sens général de la loi. Le Canon 20 du nouveau Code permet effectivement au législateur canonique d'abroger une discipline précédente, même tacitement ou implicitement, lorsque la nouvelle loi est incompatible avec la précédente, ou lorsque la matière de la loi précédente est réorganisée ex novo [ à partir de zéro ].

Dans le présent cas, il semble douteux que, sur le plan législatif, l'interdiction établie dans Familiaris Consortio et aussi par la Loi Divine ait été supprimée simplement à la suite de l'Exhortation Amoris Laetitia. Le Canoniste Italien écrit :

« Aujourd'hui, on suppose certainement que l'Évêque de Rome, en faisant siens les Criterios Básicos ( des Évêques Argentins ) et en les louant comme la seule interprétation possible de son exhortation, avait l'intention d'admettre les divorcés remariés — également connus sous le nom d'adultères — à la Communion, en leur fournissant une gradualité dans l'admission au Sacrement. Par conséquent, l'interdiction — à la fois absolue — ne serait plus considérée comme si stricte. Certes, comme l'a déclaré le Conseil Pontifical pour les Textes Législatifs en 2000, il s'agit d'une interdiction de la Loi Divine. De cela, il n'en est pas question. Et pourtant, cela signifie qu'il existe une différence indiscutable entre la loi humaine [d'Amoris Laetitia] et la Loi Divine qui doit être reconnue, sans chercher à l'éviter en affirmant que les deux documents sont hors de propos et ne voulant pas faire ressortir les conséquences théologiques et canoniques logiques ».

Quant à l'aspect théologique de la question, permettez-moi de définir la conception erronée, ou du moins minimaliste, du Magistère de l'Église que le Professeur Peters semble avoir. Le Magistère ordinaire, exercé jour après jour par l'Église, comprend les Encycliques, les décrets, les lettres pastorales et les discours du Pape et des Évêques à travers le monde. Presque tout l'enseignement de Pie XII sur la régulation de la naissance s'exprimait dans des discours, comme ceux à des obstétriciens ou à des docteurs Catholiques dont la valeur en tant que Magistère Authentique devait être niée si nous appliquions la vision réductrice du Professeur Peters. Les centaines de documents ecclésiastiques rassemblés dans l'Enchiridion Symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum de Heinrich Denzinger ( 1819-1883 ), mis à jour à ce jour, comprennent des constitutions, des bulles, des mémoires, des motu proprio, des décrets, des encycliques, des exhortations, et des lettres apostoliques de tout genre, et prises ensemble, constituent le depositum fidei de l'Église. Peu de ces actes sont infaillibles par eux-mêmes. Mais le Magistère ordinaire peut devenir infaillible quand il est universel, dans le sens d'être continuellement répété. L'instruction Ad Tuendam Fidem de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 18 mai 1998 ( AAS, 90 ( 1998 ), pp. 542-551 ), réitère qu'une doctrine doit être comprise comme infailliblement proposée quand, bien qu’il n’existe pas une forme solennelle de définition : « cette doctrine appartient au patrimoine du depositum fidei et est enseignée par le Magistère ordinaire et universel » ( n ° 2 ). Comme l'explique la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, pour que le Magistère universel ordinaire soit considéré comme infaillible, il doit être « conçu dans un sens diachronique et pas nécessairement synchrone » ( Nouvelle formule de la « Profession de Foi » 29 juin 1998 ). À cet égard, « dans les Encycicales Veritatis Splendor, Evangelium Vitae, et dans la même Lettre Apostolique Ordinatio Sacerdotalis, le Pontife Romain avait l'intention, bien que sous une forme solennelle, de confirmer et de réaffirmer les Doctrines qui appartiennent à l'enseignement du Magistère ordinaire et universel, et qui doit donc être tenu de manière définitive et sans équivoque » ( Commentaire doctrinal du CDF sur la formule finale de la Profession de Foi ).

Le 2 décembre 2017, le Vatican a communiqué que le 5 juin de cette année, le Pape François a conféré le statut de « Magistère Authentique » à la lettre qu'il a envoyée le 5 septembre 2016 aux Évêques de la région de Buenos Aires. Le texte de la lettre ainsi que les « Criterios básicos » établis par les Évêques Argentins ont été publiés, sous la forme d'une Epistula Apostolica, dans les Acta Apostolicae Sedis, le registre officiel du Siège Apostolique ( volume 10, 2016 , pages 1071-1074 ). Les deux documents ont été promulgués avec un rescrit ex audientia SS.mi, signé par le secrétaire d'État le Cardinal Pietro Parolin, qui, en plus de voir à la publication des deux textes précédents, les qualifiaient d'expressions du Magistère Authentique ( Summus Pontifex decernit ut duo Documenta quae praecedunt edantur par publicationem in situ electronico Vaticano et dans Actis Apostolicae Sedis, velut Magisterium Authenticum ).

Ce document, comme l'Exhortation Apostolique Amoris Laetitia, appartient certainement au Magistère ordinaire de l'Église. Comme le Père Brian Harrison a justement souligné, dans un texte présenté par un autre illustre érudit, le Professeur Paolo Pasqualucci, que les Épîtres Apostoliques [ Epistulae apostolicae ] sont d'un niveau plus élevé que les Lettres Apostoliques [ Litterae apostolicae ], que les Motu Proprio, et même que les Constitutions Apostoliques comme celle avec laquelle Jean-Paul II a promulgué le Catéchisme de l'Église Catholique [ Fidei Depositum, 11 octobre 1992 ]. Jean Paul II a utilisé une Épître Apostolique pour promulguer ce qui a été considéré comme une définition ex Cathedra proclamant une vérité infaillible de la deuxième catégorie ( definitive tenenda ) ; à savoir que seuls les hommes peuvent être ordonnés prêtres ( Ordinatio Sacerdotalis, 1994 ). Le caractère infaillible ne vient pas automatiquement de la nature d'une Épître Apostolique, mais du fait que l'enseignement du Pape a confirmé l'enseignement pérenne de l'Église. Ainsi, le Cardinal Francesco Coccopalmiero, Président du Conseil Pontifical pour les Textes Législatifs, a déclaré le 5 décembre, selon le Catholic News Service :

« Le fait que le Pape ait demandé que sa lettre et les interprétations des Évêques de Buenos Aires soient publiées dans l'AAS signifie que Sa Sainteté a donné à ces documents une qualification particulière qui les élève au niveau d'être des enseignements officiels de l'Église. ... Bien que le contenu de la lettre du Pape ne contienne pas d'enseignements sur la Foi et la morale, il pointe vers les interprétations des Évêques Argentins et les confirme comme reflétant authentiquement son propre esprit » a dit le Cardinal. « Ainsi, ensemble, les deux documents devinrent le Magistère Authentique du Saint-Père pour toute l'Église.

L'Epistula du Pape François balaie toute l’« herméneutique de la continuité », affirmant avec autorité que la seule interprétation correcte du Chapitre 8 de l'Exhortation Apostolique Amoris Laetitia est celle des Évêques de Buenos Aires dans leur lettre pastorale du 5 septembre 2016 ( « Il n'y a pas d'autres interprétations [ No hay otras interpretaciones ] » ). Dans l'article 6 de cette lettre, les Évêques affirment que :

« Si l'on arrive à la reconnaissance que, dans un cas particulier, il existe des limitations qui diminuent la responsabilité et la culpabilité [cf. 301-302 de AL], en particulier quand une personne juge qu'elle tomberait dans une faute ultérieure en affectant les enfants de la nouvelle union, Amoris Laetitia ouvre la possibilité d'accès aux Sacrements de la Réconciliation et de l'Eucharistie [ cf. notes de bas de page 336 et 351 de AL ].

Selon Peters, les deux documents du Pape François ne contiennent aucune affirmation concernant la Foi et la morale, mais seulement des dispositions disciplinaires. Mais un acte normatif ayant un caractère disciplinaire en matière de Foi et de morale est toujours un acte du Magistère. Denzinger est plein de dispositions disciplinaires et / ou pastorales, telles que les réponses du Pape Nicolas I ( 858-867 ) « Ad consulta vestra » aux Bulgares du 13 novembre 866, qui devraient être considérées comme des actes du Magistère Authentique. Dans le cas de l'Epistula du Pape François, il ne s'agit pas d'une règle à caractère disciplinaire, mais d'un nouvel enseignement sur la morale, qui vise clairement à admettre les adultères à la Communion, en leur réservant une gradualité pour leur admission au Sacrement.

L '« herméneutique de la continuité », ou la tentative d'interpréter des documents erronés ou ambigus à la lumière de la Tradition de l'Église, n'a pas bien fonctionné même lorsqu'elle a été promue par un Pape comme Benoît XVI. N'est-ce pas une illusion de prétendre continuer à l'utiliser quand c'est le Pape lui-même qui propose l'herméneutique de la discontinuité ? N'est-il pas plus simple et plus logique de se rappeler qu'il peut y avoir des erreurs contenues dans des actes non infaillibles du Magistère ordinaire ? Le « Magistère Authentique » ne signifie pas en fait « dogmatique », et si le croyant observe, d'une manière raisonnablement évidente, une opposition précise entre un texte de ce Magistère et la Loi Divine de l'Église, après avoir étudié la question avec précision, il peut suspendre ou annuler licitement son assentiment au document papal. Cette doctrine se trouve dans les écrits des théologiens les plus autorisés, tels que le Père Hugo von Hurter ( 1832-1914 ), qui affirme :

« Si dans l'esprit du croyant il y a des raisons graves et solides, surtout théologiques, contre les décisions du Magistère Authentique ( = non-infaillible ), qu'il soit épiscopal ou pontifical, il lui sera loisible de rejeter l'erreur, de donner son assentiment conditionnel ou enfin de suspendre son assentiment » ( Theologiae Dogmaticae Compendium, Wagneriana-Bloud et Barral, Innsbruck-Parigi, 1883, tome I, page 492 ).

Rappelant les paroles de Saint Paul : « Mais même si nous-mêmes ou un ange du ciel vous prêchions un évangile autre que celui que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème » ( Galates 1 : 8 ).

Saint Vincent de Lerins commente :

« Mais pourquoi dit-il « même si nous-mêmes » et non « même si moi-même » ? Parce qu'il veut dire que si Pierre ou André ou Jean ou tout le collège des Apôtres vous prêche un évangile autre que celui que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème. Quelle énorme rigueur ! Pour affirmer sa fidélité à la Foi primitive, il n'épargnait ni lui ni les autres Apôtres » ( Commonitorium, cap VIII, 2 ).

La possibilité d'infidélité à la Tradition d'une assemblée d'Évêques et de Pierre lui-même, si rare soit-elle, n'est pas exclue. Fermer les yeux à la réalité signifie se mettre dans une impasse. La raison et le sensus fidei exigent une résistance, y compris une résistance publique à un Pape qui promeut encourage et favorise les erreurs et les hérésies dans l'Église.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire