mercredi 18 juillet 2018

Reconnaître et résister
Encore un autre exemple de l'histoire



Un Évêque pour notre temps : Robert Grosseteste


Note de l'éditeur : Michael J. Matt

Bien que Robert Grosseteste ne soit pas un saint canonisé, il n'en reste pas moins un autre de ces « hommes de tous les temps » dont nous devons nous familiariser avec son saint exemple pendant cette terrible période de crise dans l'Église. Robert Grosseteste a résisté au Pape en son jour ; en fait, il lui a résisté à la face même, et pourtant, selon tous les témoignages, il était un saint Évêque. Son cas est un autre exemple de l'histoire de deux réalités importantes dont nous, Catholiques Romains, devons rester conscients : 1) que les Papes peuvent abuser de leur fonction, scandaliser et se rendre coupables d'actes mauvais qui confondent les fidèles et 2) que les Catholiques à l'esprit sain et avec la formation adéquate sont appelés à résister aux injustes commandements de tels Papes ... que, en effet, ils sont tenus de lui désobéir s'il est ordonné par lui de faire ce qui est contraire à la Foi et à la sainteté. Ce n'est peut-être pas une coïncidence si l'intérêt pour cet Évêque Anglais héroïque du 12ème siècle est de nouveau en augmentation.

Grosseteste, comme Fisher après lui, nous fournit un modèle d'un véritable Évêque Catholique vivant dans une période de crise et d'incertitude qui commence à la Chaire de Peter et qui descend jusqu'aux bancs d’église. Selon l'Encyclopédie Catholique, Grosseteste, l'Évêque de Lincoln, était « l'un des hommes les plus érudits du Moyen Âge. Il venait de Stradbroke dans le comté de Suffolk. On sait peu de choses sur sa famille, mais elle était certainement pauvre. La première date définitive que nous pouvons rattacher à sa vie, est celle d'une lettre écrite en 1199 par Giraldus Cambrensis pour le recommander à l'Évêque de Hereford. ... [ Après sa mort ], il a été enterré dans sa Cathédrale. Très vite, il a été considéré presque universellement en Angleterre en tant que saint. Les chroniqueurs racontent des miracles sur sa tombe, et les pèlerins la visitent. Au début du siècle suivant, un Évêque de Lincoln accorda aux pèlerins une indulgence. Des efforts ont été faits par différents prélats, par Édouard I et par l'Université d'Oxford pour obtenir sa canonisation par le Pape ».

À partir d’'ici, l'article de Michael Davies parle de lui-même, nous laissons au lecteur le soin de tirer les parallèles évidents pour aujourd’hui. MJM



Écrit par : Feu Michael Davies, RIP
Le 17 juillet 2018

SOURCE : The Remnant

LA QUESTION QUI A PROVOQUÉ le refus de Mgr Grosseteste de se conformer à ce qu'il considérait comme un abus du pouvoir papal était celui de la distribution pontificale des bénéfices [ ndt : bénéfice = revenu provenant d’une fonction dans l’Église ]. C'était un homme qui ne tolérerait aucun compromis sur une question de principe, et il y avait là une question qui ne pouvait être plus directement liée au soin des âmes. Là où il était concerné, il y avait deux considérations qui doivent venir avant tout en nommant un prêtre qui devait être un vrai pasteur à son peuple : le pasteur doit être spirituellement digne de son important ministère et il doit vivre parmi son troupeau.

Cela paraîtra si évident à un Catholique contemporain que ça n'a pas besoin d'être dit mais, à cette époque, beaucoup pensaient que le soin des âmes était la seule ou même la principale fonction pour recevoir un bénéfice. Il existait un système dans lequel certains bénéfices étaient placés sous le « patronage » de personnalités importantes de l'Église et de l'État qui avaient le droit de nommer leurs candidats lorsqu'une vacance se produisait, sous réserve de certaines conditions. Ces fiduciaires utilisaient souvent les revenus qu'ils contrôlaient pour fournir une source de revenus à des hommes qui ne visitaient jamais leurs troupeaux, et encore moins leur offraient toute forme de soins pastoraux.

« Ce serait une erreur de considérer ce système simplement comme un abus ; ça a dû sembler aux contemporains le seul moyen de soutenir la bureaucratie nécessaire dans l'Église et l'État ». Il faut se rappeler que presque tous les postes dans ce qui serait maintenant considéré comme la bureaucratie dans l’Église et l'État ( un terme qui n'est pas destiné à être péjoratif ici ) étaient remplis par des religieux qui devaient obtenir un revenu quelque part. Il est évident qu'à la fois dans l'Église et dans l'État, le Pape et le Roi trouvaient plus commode si les revenus de ces bureaucrates pouvaient être payés à partir d'une source autre que leur propre poche. Mais pour Robert Grosseteste, c'était une perversion dans le sens précis du terme : « Ça a réduit la pastorale à une chose d'importance secondaire alors qu'à son avis, seuls les meilleurs cerveaux et l'énergie disponibles étaient nécessaires pour sauver les âmes ».

Il n'avait donc « aucune hésitation à rejeter les nominés aux bénéfices, si ceux qui étaient nommés n'avaient pas les qualifications qu'il jugeait nécessaires pour le soin des âmes, quels que fussent les fiduciaires, les laïcs, les amis de ses propres corps monastiques, ou même en derniers recours, au fil du temps, le Pape lui-même ».

Une distribution papale d’un bénéfice a pris la forme d'une demande du Pape à un ecclésiastique de nommer un candidat papal à un canonicat, une prébende [ Part de biens prélevée sur les revenus d'une église et attribuée à un clerc pour sa subsistance et en compensation du ministère accompli ] ou un bénéfice. Le processus a commencé comme un filet, est devenu un ruisseau, et le ruisseau une inondation. Des exécuteurs ont été nommés pour veiller à ce que les mandats du Pape soient respectés, ce qui a entraîné beaucoup de corruption subsidiaire parmi les exécuteurs eux-mêmes ; par exemple, ils utilisaient leur autorité pour obtenir des bénéfices pour leurs propres amis ou en échange d'un pot-de-vin. Les nominés papaux résidaient rarement là où la raison pour laquelle leurs bénéfices étaient versés, ne pouvaient pas parler la langue du pays s'ils réussissaient, et dépensaient la plupart de leurs revenus en Italie. C'était la conception élevée de Robert Grosseteste de la charge pastorale et papale qui l'a conduit à s'opposer à de telles pratiques.

Il acceptait que, en vertu de sa plénitude de pouvoir, le Pape avait le droit de faire des nominations aux bénéfices et, quand ce droit était exercé convenablement, il était tout disposé à l'accepter. Mais pour lui, le pouvoir papal et l’octroi d’un bénéfice n'avaient qu'une seule fin : le salut des âmes. Le Pape, par conséquent, avait reçu le pouvoir de nommer des hommes à des fonctions pastorales, uniquement pour édifier le Corps du Christ à travers le soin efficace des âmes ; et comment le soin des âmes pouvait-il être avancé par des pasteurs étrangers qui ne voyaient jamais leurs troupeaux et ne s'intéressaient qu'à l'or qu'ils pouvaient obtenir d'eux ? « Voilà où Grosseteste a montré son originalité et sa clairvoyance en voyant ce système d'exploitation comme l'une des causes profondes de l'inefficacité spirituelle ». C'était un homme de génie et de vision, qui ne pensait pas seulement à la situation contemporaine, mais à l'avenir, et à l'effet corrupteur qu'un tel système devait avoir sur la vie de l'Église, une idée que le temps ne prouverait que trop exacte.

Il a résisté à ces dispositions papales par tous les moyens légitimes à sa disposition, en particulier par l'utilisation habile du Droit Canonique pour au moins reporter la nécessité de se conformer. En 1250, à l'âge de 80 ans, il a fait un voyage à la Cour Papale de Lyon et a affronté le Pape en personne. « Il s'est levé seul, assisté de son seul officiel, Robert Marsh ... Le Pape Innocent IV était assis là avec ses Cardinaux et les membres de sa famille pour entendre l'attaque la plus complète et la plus véhémente que tout grand Pape ait jamais entendue au sommet de son pouvoir ».

L'essentiel de son accusation était que l'Église souffrait à cause du déclin de la pastorale. « Le ministère pastoral est bien mince. Et la source du mal se trouve dans la Curie Papale, non seulement dans son indifférence, mais dans ses dispensations et ses dispositions pour la pastorale. Il fournit de mauvais bergers pour le troupeau. Qu'est-ce que le ministère pastoral ? Ses devoirs sont nombreux, et en particulier ils comprennent le devoir de visite ... ». Comment un pasteur absent pouvait-il visiter son troupeau était quelque chose au-delà même du pouvoir du Pape d'expliquer ?

Il est à noter que, comme en tout, l'Évêque Grosseteste enseignait par l'exemple et par le précepte, et dans un acte sans précédent avait démissionné de toutes ses prétentions à l'exception de celle de sa propre Cathédrale de Lincoln, un pas qui a provoqué le ridicule plutôt que le respect de ses contemporains plus mondains. « Si je suis plus méprisable aux yeux du monde » écrivait-il, « je suis plus acceptable pour les citoyens du Ciel ».

Malheureusement, sa visite héroïque à Lyon n'a servi à rien, et il a été héroïque non seulement pour la façon dont il a souligné les défauts du Pape et de sa cour à leurs propres faces, mais pour le fait même qu'un homme de son âge ait même entrepris un voyage aussi ardu dans les conditions du 13 e siècle. Les priorités du Pape différaient de celles de l'Évêque. Innocent IV était devenu dépendant du système des provisions papales pour maintenir sa Curie et pour soudoyer des alliés pour combattre dans ses guerres interminables avec l'Empereur Frederick II. Ses ambitions politiques primaient sur le soin des âmes.

En 1253, le Pape nomma son propre neveu, Frédéric de Lavagna, à un canonicat vacant à la Cathédrale de Lincoln ! Le mandat ordonnant à Mgr Grosseteste de le nommer était un chef-d'œuvre juridique dans lequel l'utilisation prudente de la clause non obstane écartait tout motif légal de refus ou de retard. Voilà donc le dilemme de l'Évêque : il était confronté à un ordre parfaitement légal du Souverain Pontife, qui devait apparemment être obéi, et pourtant la demande, bien que légale, était manifestement immorale, un abus de pouvoir évident. Le Pape utilisait sa fonction de Vicaire du Christ dans un sens tout à fait contraire au but pour laquelle elle lui avait été confiée. L'Évêque a vu clairement qu'il existait une distinction importante entre ce qu'un Pape a légalement le droit de faire et ce qu'il a le droit moral de faire. Sa réponse a été un refus direct d'obéir à un ordre qui constituait un abus de pouvoir. Le Pape agissait ultra vires, au-delà des limites de son autorité, et ses sujets n'étaient donc pas tenus de lui obéir là-dessus.

Il est très important de noter que Robert Grosseteste a pris cette position non pas parce qu'il n'a pas apprécié ou respecté la fonction papale, mais en raison de son appréciation et de son respect débordants pour l'autorité papale. Dans son attitude envers la papauté, Grosseteste était à la fois loyal et critique. C'était juste parce qu'il croyait si passionnément au pouvoir papal qu'il détestait le voir abusé ... S'il y avait eu plus de critiques loyaux et désintéressés comme Grosseteste, cela aurait été mieux pour tous les intéressés. Les hommes de plus bas rangs ont pu et ont acquiescé à ce qui n'allait pas, en utilisant un concept facile d'obéissance comme justification. La vraie loyauté ne consiste pas en une flagornerie, en disant à un supérieur ce qu'il veut probablement entendre, en utilisant l'obéissance comme une excuse pour une vie tranquille. S'il y avait eu plus de « critiques loyaux et désintéressés » comme l'Évêque Grosseteste, prêts à tenir tête au Pape et à lui dire où ses propres politiques ou celles de ses conseillers avaient tort, la Réforme n'aurait peut-être jamais eu lieu. Mais les hommes de courage et de principe seront toujours l'exception, même dans l'Épiscopat, comme on l'a vu en Angleterre quand la Réforme est arrivée et que seul Saint Jean Fisher a pris position pour le Saint-Siège.

Dans sa réponse au commandement papal, Mgr Grosseteste accuse le Pape Innocent IV de désobéissance au Christ et à la destruction du soin des âmes. « Aucun sujet fidèle du Saint-Siège » écrivait-il, « aucun homme qui ne soit coupé par le schisme du Corps du Christ et du même Saint-Siège, ne peut se soumettre à des mandats, à des préceptes ou à d'autres démonstrations de ce genre, non, pas même si les auteurs étaient les plus élevés des anges. Il doit les répudier et se rebeller contre eux de toutes ses forces. À cause de l'obéissance par laquelle je suis lié et de mon amour de mon union avec le Saint-Siège dans le Corps du Christ, c’est en tant que fils obéissant que je désobéis, que je contredis, que je me rebelle. Vous ne pouvez pas agir contre moi, car chacune de mes paroles et chacun de mes actes ne sont pas de la rébellion, mais l'honneur filial dû par le Commandement de Dieu au père et à la mère. Comme je l'ai dit, le Siège apostolique dans sa sainteté ne peut pas détruire, il ne peut que construire. C'est ce que signifie la plénitude du pouvoir ; il peut tout faire pour l'édification. Mais ces soi-disant provisions n’érigent pas, elles détruisent. Elles ne peuvent pas être l'œuvre du Siège Apostolique béni, car « la chair et le sang » qui ne possèdent pas le Royaume de Dieu « les a révélées », pas « notre Père qui est dans les cieux ».

Commentant cette lettre dans son étude : « Les relations de Grosseteste avec la Papauté et la Couronne », WA Pantin écrit :

« Il semble y avoir deux arguments ici. La première est que, puisque la plentitudo potestatis existe dans le but d'édification et non de destruction, tout acte qui tend à la destruction ou à la ruine des âmes ne peut être un véritable exercice de la plentitudo potestatis ... La deuxième ligne d'argumentation est que si le Pape ou quelqu'un d'autre devrait commander quelque chose contraire à la Loi Divine, alors ce serait un tort d'obéir et, en dernier ressort, tout en protestant contre la loyauté de quelqu’un, il faut refuser d'obéir. Le problème fondamental était que si l'enseignement de l'Église est surnaturellement garanti contre l'erreur, les ministres de l'Église, du sommet du Pape jusqu’en bas, ne sont pas impeccables et sont capables de porter de mauvais jugements ou de donner de mauvais ordres.

« Vous ne pouvez pas agir contre moi » avait prévenu l'Évêque Grosseteste au Pape — et les événements prouvèrent qu'il avait raison. Innocent IV était furieux lorsqu'il reçut pour la première fois la lettre de l'Évêque. Sa première impulsion fut d'ordonner à son « vassal le Roi » d'emprisonner le vieux prélat — mais ses Cardinaux le persuadèrent de ne rien faire.

« Vous ne devez rien faire. C'est vrai. Nous ne pouvons pas le condamner. Il est un Catholique et un homme saint, un homme meilleur que nous sommes. Il n'a pas son égal parmi les prélats. Tout le clergé Français et Anglais le sait et notre contradiction ne servirait à rien. La vérité de cette lettre, qui est probablement connue de plusieurs, pourrait en émouvoir plusieurs contre nous. Il est estimé comme un grand philosophe, instruit dans la littérature Grecque et Latine, zélé pour la justice, lecteur dans les écoles de théologie, prédicateur du peuple, ennemi actif des abus ». Ce récit a été écrit par un homme qui n'avait pas d’amour pour cet Évêque — Mathew Paris, exécuteur du mandat que l'Évêque avait refusé de mettre en œuvre. Mais Mathew Paris a reconnu la grandeur et la sincérité de Robert Grosseteste et a été ému par elles.

Innocent IV décida que le plus prudent serait de ne rien faire, et la même année mourut le vieil Évêque de Lincoln. Robert Grosseteste était un grand érudit, un grand Anglais et un génie universel, peut-être le plus grand fils d'Oxford, et surtout un des plus grands Évêques Catholiques, un vrai pasteur qui aurait volontairement donné sa vie pour son troupeau. « Il connaissait tout le monde et ne craignait personne. À la demande du Roi Henri, il l'instruisit sur la nature d'un roi oint, et, ce faisant, lui rappela poliment sa responsabilité pour le maintien de ses sujets dans la paix et la justice, et son devoir de s'abstenir de toute ingérence dans le soin des âmes. Il n'autorisait aucun compromis sur des questions de principe. La loi commune de l'Église devrait être appliquée à la lumière de l'équité, du dictat de la conscience et de l'enseignement de la loi naturelle, révélée dans les Écritures, implicite dans le fonctionnement d'une Divine Providence et conforme à l'enseignement et aux conseils du Christ dans l'Église militante sur la terre ».

Il y avait beaucoup de comptes-rendus de miracles survenus à sa tombe de Lincoln, qui devint bientôt un centre de vénération et de pèlerinage. Des tentatives répétées ont été faites pour assurer sa canonisation — mais elles ont rencontré peu de sympathie au Saint-Siège. Son seul rival, le plus grand de tous les Évêques Anglais, est Saint John Fisher, dont la loyauté et l'amour pour le Saint-Siège n'ont certainement pas dépassé celui de l'Évêque Grosseteste. Il est bien certain que, si cet Évêque du 13 ème siècle avait occupé son siège sous Henri VIII, il aurait rejoint Saint Jean Fisher sur l'échafaud et mourut pour le Pape. Il semble également certain que, si l'Évêque de Rochester avait vécu sous le Pontificat d'Innocent IV, il aurait rejoint Robert Grosseteste pour s'opposer à un abus flagrant du pouvoir papal. Qui sait, le Saint Évêque de Lincoln pourrait encore être canonisé.

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Extrait d’un article de The remanant , 6 septembre 1975

Notes de bas de page

La plupart du matériel de l'article ci-dessus est basé sur les travaux suivants qui sont mentionnés dans les notes comme indiqué : SA Callus, éd., Robert Grosseteste ( Oxford, 1955 ) - RG. FM Powicke, le roi Henry III et le Lord Edward ( Oxford, 1950 ) -KHLE. M. Powicke, Robert Grosseteste, Évêque de Lincoln, Bulletin de la Bibliothèque John Rylands, Manchester, Vol. 35, n ° 2, mars 1953 - RGBL.





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