Rédigé par : Marco Tosatti
SOURCE : First Things
Le 7 juillet 2017
Le Pape François a refusé de renouveler la nomination du Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le Cardinal Gerhard Müller, le même jour — le 2 juillet 2017 — des cinq ans que son mandat prenait fin. C’est un geste sans précédent dans l'histoire récente de l'Église. Au cours des soixante dernières années, les Préfets de la Congrégation la plus importante de l'Église ( elle a été appelée La Suprema) ont pris leur retraite pour des raisons d'âge ou de santé, ou ont été appelés, dans le cas de Joseph Ratzinger, à devenir Pape. Après quelques réflexions, je vais examiner la raison de cet acte étrange.
Bien que tout à fait licite, l'acte du Pape peut être considéré comme une démonstration de mauvaises manières. Ordinairement, quand un représentant de l'Église arrive à la fin de sa nomination avant l'âge habituel de la retraite (Müller a seulement soixante-dix ans), soit sa nomination est renouvelée ou il lui est donné une brève extension — de six mois à un an — avant d'être remplacé. La formule pour cette dernière option est : vous resterez en charge « donec aliter provideatur, » jusqu'à ce que nous en ayons décidé différemment.
Il semble clair que le renvoi ne provient pas d'une raison de fond impliquant le travail de la Congrégation. Aucune explication de ce genre n’a été faite. Le choix du Pape a été fait librement et a été exécuté à la dure, sans délicatesse. Ce comportement n'est pas surprenant pour quiconque connaît Jorge Maria Bergoglio et comment il agissait du temps qu’il était Supérieur Provincial de la Province Jésuite de l'Argentine — il a été licencié de cette position pour avoir été indûment autoritaire — et comme Archevêque de Buenos Aires.
Je soupçonne que le Cardinal Müller est bouleversé à propos de son licenciement, mais, dans un sens, il peut voir sa propre décapitation comme une libération. Pour écrire cet article, j’ai jeté un coup d’oeil dans les notes confidentielles que j'ai faites durant les quatre dernières années concernant le Cardinal Allemand et ses relations avec le pontife régnant. Ces notes sont le résultat de nombreuses conversations privées avec des gens de haut rang du Vatican qui jouissaient de l'amitié du Cardinal. Il semble que Müller a connu la vie sous Bergoglio comme une sorte de Calvaire. Et ce, malgré les déclarations de Müller — il a été un bon soldat jusqu’à la fin et même au-delà.
La première étape du Calvaire de Müller a été un épisode déconcertant au milieu de 2013. Le Cardinal célébrait la Messe dans l'église annexée au palais de la congrégation pour un groupe d'étudiants et d’académiciens Allemands. Son secrétaire l'a rejoint à l'autel. « Le Pape veut vous parler » « Lui avez-vous dit que je célébrais la Messe ? » demanda Müller . « Oui » a répondu le secrétaire « mais il a dit que ça ne le dérangeait pas, qu’il voulait vous parler tout de même ». Le Cardinal est allé à la sacristie. Le Pape, dans une très mauvaise humeur, lui a donné des ordres et un dossier concernant l'un de ses amis, un Cardinal. ( Ceci est une question très délicate. J'ai cherché une explication de l'incident à partir des canaux officiels. Jusqu'à ce que l'explication nous vienne, si jamais elle nous vient, je ne peux pas donner plus de détails ). De toute évidence, Muller était sidéré.
Il est important de rappeler que Bergoglio a longtemps montré une animosité contre Rome et contre la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en particulier. Il avait en aversion la Curie parce que, avant de devenir Pape, Rome a souvent refusé de nommer les hommes qu’il désignait comme Évêques possibles. Et parce que, pour des raisons jamais connues, Rome a résisté à la nomination de Victor Manuel Fernandez comme Archevêque (dont le surnom est « Tucho »), un théologien qui est recteur de l'Université Catholique de Buenos Aires. Tucho a écrit plusieurs livres dont un parmi ceux-là qui est très étrange pour un théologien. Il a été publié en 1995, et son titre est « Guéris-moi avec ta bouche : L'art du baiser ».
Fernandez est devenu Archevêque peu après l'élection de Bergoglio et on dit qu’il est l’écrivain fantôme du Pape. Il a réprimandé Müller quand celui-ci a dit dans une interview que la congrégation avait le rôle de donner une « structure théologique » au pontificat. Fernandez a déclaré :
Je lis que certains disent que la Curie Romaine est une partie essentielle de la mission de l'Église ou qu'un préfet au Vatican est la boussole sûre pour éviter que l'Église ne tombe dans la légèreté d'esprit — ou que ce préfet garde l'unité de la Foi et prodigue au Pape une théologie sérieuse. Mais les Catholiques, qui lisent l'Évangile, savent que le Christ a donné au Pape et au corps des Évêques, un guide spécial et une illumination — pas à un préfet ou à une autre entité. Lorsque vous entendez des choses de ce genre, vous pourriez supposer même que le Pape est quelqu'un qui vient pour causer des ennuis et qu’il doit être contrôlé ».
Relisant les notes que j’ai prises au cours de ces quatre années, il est évident que le Cardinal Müller et ceux qui travaillent avec lui ont eu beaucoup de frustration parce que le Pape n’avait tout simplement pas d'intérêt dans leur travail. Pour le Pape, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi n'existait tout simplement pas. Il n’a pas demandé leur coopération ; ni n’a-t-il tenté quelque dialogue que ce soit avec eux.
Avec Laetitia Amoris, la situation a régressé de manière spectaculaire. Müller, ainsi que d'autres Cardinaux, se plaignit lors de la retraite spirituelle de la Curie en 2016 que le Pape n’avait pas employé « une méthode de travail collégiale ». Il a dit que sa congrégation avait fait au moins deux cents observations concernant Amoris Laetitia, certaines graves, d'autres légères. Ces observations n’ont reçu aucune réponse. L'un des auditeurs de Müller a exprimé son étonnement que le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ne savait rien de la façon dont le document avait progressé. Müller a répondu en plaisantant : « Sur les questions doctrinales, nous sommes les seuls à n’être pas pris en compte. Sur les questions liturgiques, le Cardinal Sarah n’est certainement jamais informé... »
La relation entre Müller et le Pape n'a jamais été chaleureuse. Après une couple d'années dans le pontificat, ça a empiré. Si je scrute dans mes notes, je vois que François parlait avec Benoît XVI en 2015 et a demandé avec désinvolture : « Et si je change le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi avant la fin de son mandat ? » « Vous êtes le Pape » a répondu Benoît XVI « Vous faites ce qui vous plaît ». « Très bien, mais ... ? » a appuyé François. « Ce serait une vraie révolution » a conclu Benoît XVI « quelque chose de pas possible. » Et la question en est restée là jusqu'à ce mois-ci.
Puis vint les dubia des Quatre Cardinaux : Walter Brandmüller, Raymond Burke, Carlo Caffarra et Joachim Meisner (récemment décédé). Je pense que le Pape a toujours soupçonné que le Cardinal Müller était derrière cette opération, aussi. Ce soupçon — peut-être même l'hypothèse que Müller fut le véritable auteur des dubia — aurait peut-être sceller la décision de le licencier.
Depuis la publication des dubia, Müller a été dans une situation très difficile. Il a été partagé entre la fidélité au Pape et la fidélité à l'enseignement du magistère de l'Église sur le mariage et l'Eucharistie. Il savait bien que la faction du Pape à la Curie voulait le faire émerger comme l'adversaire principal du Pape — et il a essayé de ne pas tomber dans ce piège.
En février dernier en Allemagne, son dernier livre a été publié : Le Pape, la Mission et le Mandat. Müller écrit qu’en autant que le magistère est concerné, le Pape, aussi, peut avoir tort : par exemple, s’il omet d'enseigner la Foi. Aucun Pape ne peut changer « les critères concernant l'admission aux Sacrements », ni « donner l'absolution et permettre l'Eucharistie à un Catholique en état de péché mortel, qui ne se repent pas et qui ne se résout pas à ne plus répéter ce péché ». Dans ce cas, « le Pape lui-même pècherait, concernant la vérité de l'Évangile et le salut des fidèles pour lesquels il les induirait à commettre une erreur ».
Avant la publication de ce livre, quelque chose est survenue qui a profondément affligé le Cardinal. Ce fut le licenciement de trois prêtres de sa congrégation. Müller a reçu une lettre du Secrétariat d'État, ordonnant le renvoi des prêtres mais ne donnant aucune raison pour cela. Lorsque Müller n'a pas répondu à cette lettre, une deuxième lettre est venue. Müller a demandé une audience avec le Pape. Le temps a passé, avec des dates pour l’audience fixée à plusieurs reprises puis changée à la dernière minute. Enfin, Müller a obtenu son audience. « J'ai reçu cette lettre » a-t-il dit au Pape, « mais avant d'agir là-dessus, je voulais vous parler et connaître le motif des licenciements. Ce sont de bons prêtres et de bons travailleurs ». « Je suis le Pape » répondit François « et je n’ai pas de raison à donner à personne pour mes décisions. J'ai dit qu’il fallait qu’ils partent et ils doivent partir ». Le Pape se leva et tendit sa main indiquant que l'audience était terminée. Müller était profondément bouleversé.
Puis la même chose, plus ou moins, lui est arrivée. Le Cardinal a raconté son histoire à un journal Allemand, la Passauer Neue Presse. Dans une interview, il a dit que le pontife avait « communiqué sa décision » de ne pas renouveler son engagement « dans la minute » de la fin du dernier jour de son mandat de cinq ans comme préfet. Comme dans le cas des trois prêtres, Müller n’ava reçu aucune raison pour son licenciement. « Ce style, je ne peux pas l’accepter » a déclaré Müller, ajoutant qu’à Rome, aussi, « l'enseignement social de l'Église doit être appliqué ».
Un tel style de gouvernance peut difficilement être considéré comme démocratique ou centré sur le dialogue ou collégial. Müller ne veut pas être le chef d'un mouvement anti-François. Il déclare qu’il a « toujours été fidèle au Pape » et souhaite rester fidèle — « comme Catholique, comme Évêque et Cardinal, tout comme il est dû de l’être ». Cohérent jusqu’au bout.
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