Écrit par Joseph D'Hippolito
Le 7 mai 2018
SOURCE : The Remnant
Alors que le Vatican et la Chine négociaient le rétablissement des relations diplomatiques en février, le Chancelier des Conseils Pontificaux pour les Sciences et les Sciences Sociales a fait une déclaration stupéfiante.
« Actuellement, ceux qui sont les meilleurs à appliquer la Doctrine sociale de l'Église, sont les Chinois » a déclaré l'Évêque Argentin Marcelo Sanchez Sorondo. « Ils cherchent le bien commun et subordonnent tout au bien-être général ».
Mgr Sorondo a particulièrement salué la mise en œuvre par la Chine de « Laudato Si », l'Encyclique environnementale du Pape François, visant à « défendre la dignité de la personne » et « assumer un leadership moral que d’autres ont délaissé », une référence au retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur les émissions de dioxyde de carbone.
Cet éloge vient malgré le fait que la Chine se classe parmi les pires pollueurs atmosphériques du monde, qu’elle produit entre 10 et 23 millions d'avortements par an — dont beaucoup sont contraints par le gouvernement — et qu’elle persécute les Chrétiens qui pratiquent en dehors des églises approuvées par l'État.
Pourtant, les commentaires de l'Évêque vont au-delà de la rhétorique diplomatique aveugle. Ils reflètent une vision du monde de plus en plus matérialiste du Vatican. Ce changement de paradigme change l’identité fondamentale de l'Église Catholique et aliène des membres, en particulier parmi les pauvres d'Amérique Latine.
Le changement a commencé avec le Concile Vatican II, qui a produit « Gaudium et spes », un document pastoral concernant l'économie et la politique dans le monde moderne, en particulier en ce qui concerne les pauvres. Dans sa préface, le Concile, « en proclamant la très noble vocation de l’homme et en affirmant qu’un germe divin est déposé en lui, ce saint Synode offre au genre humain la collaboration sincère de l’Église pour l’instauration d’une fraternité universelle qui réponde à cette vocation ».
Les déclarations d'autres sections renforcent cet accent.
« Jamais le genre humain n’a regorgé de tant de richesses, de tant de possibilités, d’une telle puissance économique, et pourtant une part considérable des habitants du globe sont encore tourmentés par la faim et la misère, et des multitudes d’êtres humains ne savent ni lire ni écrire ».
« Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet. Car l’homme, de par sa nature profonde, est un être social, et, sans relations avec autrui, il ne peut vivre ni épanouir ses qualités », du chapitre I, « La dignité de la personne humaine ».
« Il faut donc rendre accessible à l’homme tout ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine, par exemple : nourriture, vêtement, habitat, droit de choisir librement son état de vie et de fonder une famille, droit à l’éducation, au travail, à la réputation, au respect, à une information convenable, droit d’agir selon la droite règle de sa conscience, droit à la sauvegarde de la vie privée et à une juste liberté, y compris en matière religieuse. Aussi l’ordre social et son progrès doivent-ils toujours tourner au bien des personnes », du chapitre II,« La communauté de humaine ».
Monsignor Brunero Gherardini, Doyen Émérite de la faculté de théologie de l’Université Pontificale du Latran, a vivement critiqué « Gaudium et spes » pour son approche fondamentalement anthropocentrique, pour son ambiguïté et sa théologie bâclée dans son livre de 2012 : « Vatican II : Aux racines d'un équivoque », écrit en Italien.
« Tout le document est une suite de proclamations choquantes, dont le nombre rend même le choix difficile pour les illustrer », a écrit Gherardini, qui a travaillé à la Sacrée Congrégation des Séminaires pendant le Concile.
Gherardini a conclu en mettant en garde contre une relation trop intime entre le Catholicisme et le monde : « Les frontières sont devenues si proches et à un point tel qu'elles se sont soudées : ce que l'Église dit et fait, elle le dit et le fait pour le monde, et ce que le monde fait dans sa course vers le progrès, est à l'avantage de l'Église ».
Le Pape Paul VI a amplifié l'approche de « Gaudium et spes » dans son Encyclique « Populorum Progresio », qui a annoncé la formation du Conseil Pontifical pour la Justice et la Paix et a solidifié l'engagement du Vatican pour le développement matériel des nations les plus pauvres à travers la coopération internationale. Mais l'Encyclique s'adressait à plus qu’à cette logistique immédiate.
« C'est un humanisme plénier qu'il faut promouvoir » a-t-il déclaré.
« Qu'est-ce à dire, sinon le développement intégral de tout l'homme et de tous les hommes ? Il n'est donc d'humanisme vrai qu'ouvert à l'Absolu, dans la reconnaissance d'une vocation, qui donne l'idée vraie de la vie humaine. Loin d'être la norme dernière des valeurs, l'homme ne se réalise lui-même qu'en se dépassant ».
Atteindre cet objectif signifierait utiliser les agences internationales existantes — ou en créer de nouvelles avec un pouvoir global — pour gérer le développement économique et politique du monde.
« Cette collaboration internationale à vocation mondiale requiert des institutions qui la préparent, la coordonnent et la régissent, jusqu'à constituer un ordre universellement reconnu » a déclaré l'Encyclique. « De tout cœur, Nous encourageons les organisations qui ont pris en main cette collaboration au développement, et souhaitons que leur autorité s'accroisse ».
Le Pape Benoît XVI a amené ce concept à sa conclusion logique dans une autre Encyclique : « Caritas in Veritate », qui préconisait de donner aux Nations Unies le pouvoir de diriger à la fois les politiques économiques internationales et domestiques :
« Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale, et alors que nous sommes en présence d’une récession également mondiale, l’urgence de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho.... Pour le gouvernement de l’économie mondiale... pour assainir les économies frappées par la crise… pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale ».
Cette autorité, déclare l'Encyclique, doit observer systématiquement que « le principe de subsidiarité doit être étroitement relié au principe de solidarité », doit « chercher à établir le bien commun » et qu’« elle devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux ».
Quelle est la mission ultime de cette autorité ? Une économie mondiale « dirigée » conçue pour « offrir la possibilité d’une grande redistribution de la richesse au niveau planétaire » a déclaré l'Encyclique — y compris « une redistribution planétaire des ressources énergétiques est également nécessaire afin que les pays qui n’en ont pas puissent y accéder ».
En promouvant un tel pouvoir, « Caritas in Veritate » redéfinit subtilement le rôle primordial de l'Église Catholique en proclamant l'Évangile pour assurer des bénéfices économiques pour tous — ou, du moins, en redéfinissant l'Évangile en termes matérialistes. L'Encyclique « Populorum Progresio » de Benoît » XVI mentionne souvent et renvoie aux idées de Paul VI dans cette déclaration :
« Toute l’Église, dans tout son être et tout son agir, tend à promouvoir le développement intégral de l’homme quand elle annonce, célèbre et œuvre dans la charité. Elle a un rôle public qui ne se borne pas à ses activités d’assistance ou d’éducation, mais elle déploie toutes ses énergies au service de la promotion de l’homme et de la fraternité universelle quand elle peut jouir d’un régime de liberté ».
L'encyclique de Benoît XVI suppose même que la gestion économique globale à travers une « véritable autorité politique mondiale » peut atteindre une harmonie spirituelle au moins partielle :
« L’engagement pour le bien commun, quand la charité l’anime, s’inscrit dans le témoignage de la charité divine qui, agissant dans le temps, prépare l’éternité. L’action de l’homme contribue à l’édification de cette cité de Dieu universelle vers laquelle avance l’histoire de la famille humaine ».
Ainsi « Caritas in Veritate » solidifie la transformation matérialiste de l'identité Catholique. Le journaliste Catholique indépendant Lee Penn a décrit l'impact de l'Encyclique :
« Caritas in Veritate devrait être considéré comme ce qu'il est : un tremblement de terre théologique et politique. L'Église Catholique Romaine, qui était autrefois la gardienne des traditions dans le monde entier, souhaite désormais utiliser des moyens radicaux ( une « véritable autorité politique mondiale » ) pour ses propres fins. C'est comme si Benoît XVI voulait monter et chevaucher une bête sauvage, et s'imaginer que lui ( et ceux qui y croient comme lui ) pourront diriger la course de cette bête féroce. La prudence ordinaire — même sans référence au symbolisme désastreux de l’Apocalypse 17 : 3-18 — aurait dû prévenir le Vatican contre une telle folie. Les Européens ont déjà essayé d'utiliser des moyens radicaux pour soutenir des objectifs conservateurs ; les résultats de l'expérience en ce 20 e siècle en Italie, au Portugal, en Allemagne, en Espagne et à Vichy en France sont écrits en lettres de sang et de feu ».
« En recherchant un gouvernement mondial qui est régi et limité par la loi naturelle et la Tradition Chrétienne est semblable à la recherche de l’eau sèche ou des quadratures de cercles. Lord Acton, un historien Catholique de l’Angleterre du 19ème siècle, a averti de ce que le Vatican aurait dû entendre : « Le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument. Les grands hommes sont presque toujours de mauvais hommes, même quand ils exercent leur influence et non leur autorité : encore plus quand vous ajoutez à cette tendance ou à cette certitude la corruption par de l'autorité. Humainement parlant, aucun pouvoir ne pourrait être plus absolu que celui de « maître du monde », et tel est le message que Benoît XVI ( malgré l'invocation de la « feuille de figuier » concernant la « subsidiarité » qui camoufle le tout ) propose de créer ». ( toutes les parenthèses sont dans l'original )
Mais comment fonctionnent les idées exprimées dans « Gaudium et spes » et les deux Encycliques ?
L'Amérique latine, avec sa longue histoire de Catholicisme et de pauvreté de masse, semble offrir l'environnement idéal. En 2010, 39% des Catholiques du monde vivaient en Amérique Latine. Pourtant, même en tant que contrepoids à la théologie de la libération, le Modernisme économique du Catholicisme non seulement échoue à résoudre les problèmes sociaux insolubles, mais contribue à des conversions massives aux dénominations Protestantes conservatrices, en particulier les Pentecôtistes.
Une enquête menée par le Pew Research Center en 2014 a montré que 69% des Latino-Américains se considéraient comme Catholiques, contre 92% en 1970. Entre temps, la proportion de Protestants est passée de 4% en 1970 à 19% en 2014. En 1970, le Catholicisme revendiquait au moins 90% de la population dans tous les pays étudiés sauf cinq. Pourtant, en 2014, le pourcentage de Catholiques a chuté par deux chiffres dans tous les pays sauf un, avec 11 baisses supérieures à 20%.
L'Amérique Centrale a enregistré les chutes les plus spectaculaires : 41% au Guatemala, 43% au Nicaragua et au Salvador et 47% au Honduras — de loin la plus importante d'Amérique Latine.
L'écrivain Catholique Leon Podles, après avoir lu le livre de Jon Wolseth : « Jésus et le Gang : La violence juvénile et le Christianisme dans le Honduras urbain », a offert ces raisons pour le déclin massif :
« Le Catholicisme Progressiste met l'accent sur la communauté et la solidarité avec les pauvres et blâme les problèmes des pauvres sur les inégalités structurelles, en particulier l'oppression économique. Les groupes de jeunes Catholiques dans les quartiers suivent cette analyse et essaient de s'identifier aux pauvres. Mais ils ont peur de s'identifier aux pauvres qui sont membres de gangs. La jeunesse Catholique blâme le gangstérisme concernant les inégalités sociales, mais n'explique pas pourquoi elle n'a pas suivi le chemin des gangsters.
« Les Pentecôtistes ont établi une dichotomie dure entre le monde dirigé par Satan et l'Église gouvernée par le Christ. Les jeunes hommes qui veulent abandonner la vie destructrice et auto-destructrice des gangs peuvent avoir une expérience de conversion et se consacrer à une nouvelle vie, rejetant totalement leur ancienne vie et se séparant d'elle. Ils doivent changer leur vie pour convaincre l'Église et leurs anciens gangs qu'ils sont des Cristianos. Si un homme quitte un gang, il est tué par le gang, à moins qu'il ne devienne un Cristiano. Les gangs laissent libres habituellement les anciens membres des gangs devenus Pentecôtistes si les anciens membres démontrent que leur vie a vraiment changé.
« Les Catholiques, avec leur rhétorique de solidarité, n'offrent pas aux membres des gangs l'occasion d'une rupture nette que les Pentecôtistes offrent : les Catholiques accusent la société de problèmes individuels, les Pentecôtistes mettent l'accent sur la responsabilité individuelle.
Non seulement cela, mais les ex-membres de gangs font face à une exigence de responsabilité personnelle.
« En tant que Baptiste qui a voyagé au Guatemala lors de quatre missions, je peux vous dire que les Églises Évangéliques sont de plus en plus nombreuses parce qu'elles prennent l'alcoolisme au sérieux ( ce qui est un énorme problème dans les communautés Mayas ) » écrit Ryan Booth dans son blog « The American Conservative » en 2013. « Alors que les attitudes des Baptistes aux États-Unis envers l'alcool continuent à se relâcher, les Baptistes en Amérique Latine ne boivent pas du tout ».
Un Brésilien dénommé Alat a expliqué l'appel des Évangéliques sur le blog de Dreher :
« Ils sont très, très moralement stricts, c'est pourquoi ils grandissent si vite dans les régions les plus pauvres : ils mettent de l'ordre dans la vie désordonnée des très pauvres, qui viennent de générations de pauvreté et de foyers brisés et n'ont jamais rien connu de mieux. Ils prennent une part énorme des maigres revenus des pauvres dans les dîmes et les « dons »... et même alors les pauvres sont mieux dans ces églises parce que l'ordre donné par leur église, comme un camp d'entraînement militaire, les aide à planifier l'avenir, à s'éduquer, à ne pas tomber dans la drogue, à ne pas avoir plusieurs enfants hors mariage, etc. »
« Les politiciens élus par les Évangéliques sont à la pointe de la résistance envers le mariage homosexuel, à l'avortement et à la grande part de l’agenda de guerre de la culture de la gauche. Dans mon pays, l'avortement aurait été légalisé il y a quelques années si ce n’est à cause de la résistance organisée par les politiciens Évangéliques — des prédicateurs à travers presque tous les partis — un combat dans lequel, soit dit en passant, la hiérarchie Catholique était entièrement silencieuse. ( italiques ajoutées ) Si l'Église se retire de ces questions, l'attraction des Églises Évangéliques Protestantes AUGMENTERA encore plus dans toute l'Amérique Latine ( majuscules dans l'original ) ».
Alat a conclu avec une déclaration qui représente, sinon l'épitaphe du Catholicisme Latino-Américain, une mise en accusation toutefois du Modernisme économique du Catholicisme.
« Pour résumer, écrivait Alat, comme nous le disons ici : « Lorsque l'Église choisit les pauvres, les pauvres choisissent les Protestants ».
Ne vous inquiétez pas, l'Église apprend d'eux !
( Heinrich Bedford-Strohm et Reinhard Kardinal Marx )
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