Reuters international
11 mars 2016 - 10 :09
Par : Philip Pullella et Tom Heneghan
CITE DU VATICAN (Reuters) - Trois ans après l'élection du Pape François, les conservateurs Catholiques sont de plus en plus inquiets qu’il est tranquillement en train de défaire l'héritage de ses prédécesseurs.
La popularité de François avec la plupart des Catholiques et des légions de non-Catholiques lui a donné l'image d'un curé grand-père qui comprend comme il est difficile parfois de suivre les enseignements de l'Église, en particulier ceux sur la morale sexuelle.
Les conservateurs craignent que derrière la gentille façade il se trouve un réformateur dangereux qui dilue l'enseignement moral Catholique sur des questions comme l'homosexualité et le divorce tout en se concentrant sur les problèmes sociaux tels que le changement climatique et les inégalités économiques.
Nos entretiens avec quatre fonctionnaires du Vatican, y compris deux Cardinaux et un Archevêque ainsi que des théologiens et des commentateurs, ont souligné des craintes conservatrices que les paroles et les actes de François puissent éventuellement fracturer l'Église de 1,2 milliard de fidèles.
Le babillage sur les blogs conservateurs accuse régulièrement le Pontife Argentin de semer la confusion doctrinale et d’isoler ceux qui se considèrent comme les gardiens de la foi.
« Je m’en vais me coucher. Réveillez-moi quand ce Pontificat sera terminé », c’est ce qu’a tweeté le mois dernier Damien Thompson, rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire britannique « The Spectator » et commentateur conservateur Catholique. Thompson a été parmi les conservateurs piqués par la conférence de presse ad lib que François a donnée lors de son vol de retour du Mexique.
Lors de cette conférence, il a semé le trouble dans le débat américain à la course présidentielle en critiquant la position du candidat présidentiel républicain Donald Trump en matière d'immigration et a fait des commentaires interprétés comme étant une ouverture à l’utilisation des contraceptifs pour arrêter la propagation du virus Zika.
Ce sont les plus récentes déclarations d’une longue liste de déclarations improvisées qui laissent beaucoup de conservateurs nostalgiques du temps des deux prédécesseurs de François, Benoît XVI et Jean-Paul II, ces derniers tonnaient régulièrement contre la contraception, l'homosexualité et l'avortement.
« Chaque fois que ça arrive, je me demande s’il réalise à quel point il suscite la confusion » a déclaré un Cardinal conservateur basé à Rome qui a pris part au conclave qui a élu il y a trois ans François et qui a parlé sous des conditions d'anonymat. Il ne dirait pas s’il a voté pour François parce que les participants à un conclave sont tenus au secret.
LE PAPE ET LES BANCS D’ÉGLISE
Un autre haut fonctionnaire, un Archevêque dans un dicastère important du Vatican, a déclaré : « Ces commentaires alarment non seulement des prêtres de tradition d'esprit mais même des prêtres libéraux qui se sont plaints à moi que les fidèles le défient sur des questions qui sont très directes en disant : « Le Pape me laisserait faire ça, pourquoi pas vous ? »
François a choqué les conservateurs à peine seulement quelques mois après son élection le 13 mars 2013 quand il a dit : « Qui suis-je pour juger ? » à propos des homosexuels Catholiques qui essayaient au moins de vivre selon les règles de l'Église exigeant qu’ils soient chastes.
Il a bouleversé davantage quand il a changé les règles de l'Église afin de permettre aux femmes de prendre part au culte du lavement des pieds réservé exclusivement aux hommes jusque là, lorsqu’il a exclu aussi toute campagne d’évangélisation visant à convertir les Juifs et lorsqu’il a approuvé une « prière commune » avec les Luthériens pour une commémoration commune à l’occasion du 500e anniversaire de la Réforme Protestante prévue au début de l'année prochaine.
Un tournant important dans l'épreuve de force entre conservateurs et progressistes se profile et pourrait survenir aussitôt que la mi-Mars. Ce tournant pourrait révéler jusqu'où cet astucieux Pontife politique veut transformer son Église.
François est dû pour publier un document appelé « Exhortation Apostolique » après deux années de discussions et deux grandes réunions synodales d'Évêques qui ont discuté de la famille — la façon du Vatican de s’en référer à ses politiques concernant le sexe.
L'exercice, qui a commencé avec un sondage sans précédent des Catholiques du monde entier, s’est résumé à la fin à un seul dossier chaud : à savoir si les divorcés Catholiques qui se remarient en dehors de l'Église peuvent recevoir la Communion lors du rite central qu’est la Messe.
Les conservateurs disent que tout changement porterait atteinte au principe de l'indissolubilité du mariage que Jésus a établi.
À la fin du Synode l’an dernier, François a excorié les dirigeants immuables de l’Église qui, a-t-il dit, « s’enterrent la tête dans le sable » et se cachent derrière une doctrine rigide pendant que les familles souffrent.
Le document final de la rencontre a parlé d'un soi-disant « for interne » par lequel un prêtre ou un Évêque peut cheminer avec un Catholique qui a divorcé et qui s’est remarié pour choisir en privé et sur une base de cas par cas s’il ou elle peut être entièrement réintégré(e).
Cette fissure dans la porte de la doctrine agaçait beaucoup de conservateurs qui craignent que l’Exhortation apostolique à venir de François n’ouvre les portes à une inondation.
MAIS C’EST L’ÉGLISE DE QUI FINALEMENT ? ?
Il est difficile de quantifier les conservateurs Catholiques. Les libéraux disent qu'ils sont une minorité et rejettent les affirmations conservatrices selon lesquelles ils seraient la vraie « base » de l'Église.
« L'écrasante majorité des Catholiques comprennent ce que le Pape veut faire et c’est de tendre la main à tout le monde » a déclaré un autre Cardinal proche de François.
Indépendamment du nombre réel qu’ils peuvent être, les conservateurs ont de grands porte-voix dans les médias sociaux.
« C’est vraiment devenu plus virulent et plus intense depuis l’élection de François parce qu’il semble obtenir seulement des réactions favorables de la part des grands médias traditionnels. Conséquemment dans l'étrange logique des groupes conservateurs, il est quelqu'un qui est immédiatement suspect seulement pour cette raison » a dit le blogueur Catholique Arthur Rosman.
L'un des principaux porte-étendards conservateurs, Ross Douthat, auteur Catholique et chroniqueur en tribune libre du New York Times, a exprimé son inquiétude profonde sur les répercussions à long terme de la question de la Communion pour les divorcés remariés.
« Il se peut que ce conflit ne fait que commencer, » a dit Douthat dans une conférence aux conservateurs américains en janvier. « Et comme il se peut que ce soit comme dans des conflits précédents dans l'histoire de l'Église, il se peut que ce soit assez grave pour se terminer dans un schisme réel, une séparation permanente des approches ».
LA RUPTURE PRÉCÉDENTE
La dernière rupture interne dans l'Église fut en 1988 avec l’Archevêque français Marcel Lefebvre lorsqu’il a consacré des Évêques sans l'approbation du Vatican afin de garantir la succession dans son groupe ultra-traditionaliste, la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX).
La FSSPX rejette les réformes de modernisation du Concile Vatican II qui a eu lieu de 1962 à 1965 dont notamment l'ouverture historique au dialogue avec les autres religions. Bien qu'il reste un petit groupe, cette dissidence continue de saper l'autorité du Pape.
Le porte-étendard conservateur à Rome est le Cardinal Raymond Leo Burke, un américain de 67 ans qui, en 2014, a dit à un journaliste que l'Église sous François était comme « un bateau sans gouvernail ».
Ça n’a pas plus à François. Cette même année, il a retiré Burke de la tête du plus haut tribunal du Vatican et l’a rétrogradé dans un poste cérémonial en grande partie d'aumônier dans un groupe de charité.
Les conservateurs sont aussi inquiets au sujet de la détermination de François à décentraliser la prise de décision sur des questions relevant depuis toujours du Vatican vers des niveaux régionaux, nationaux ou diocésains, ce que le Pape a appelé « une décentralisation de bonne santé ».
Ceci est un anathème pour les conservateurs, qui affirment que les règles devraient être appliquées dans le monde entier de manière identique. Ils avertissent qu’une décentralisation du pouvoir laisserait le Vatican vulnérable aux scissions observées dans les églises anglicanes et orthodoxes.
« Si vous regardez ces deux grandes Églises, ils ne sont pas en très bonne forme », a déclaré Massimo Faggioli, une historien de l’Église et professeur agrégé de théologie à l'Université de St. Thomas dans le Minnesota. « Voilà pourquoi les conservateurs sont nerveux. Ils pensent que François ne comprend pas le danger. »
(Éditorialiste de Religion Tom Heneghan Signalé de Paris, édité par Crispian Balmer et Janet McBride)
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