par Christopher A. Ferrara
SOURCE : The Remnant
Le 17 mars 2016
Toujours à la recherche de son herméneutique * |
Avvenire, le journal de la Conférence des Évêques d'Italie, vient tout juste de publier un entretien inédit de Benoît XVI en octobre de l'année dernière par le théologien Jésuite libéral (pardonnez la redondance) Jacques Servais, un des principaux représentants de la Nouvelle Théologie ayant déjà été supprimée par Rome. Servais est un promoteur passionné de Hans Urs Von Balthasar ( « Nous osons espérer que tous les hommes soient sauvés ? » ), qui est mort quelques jours avant que Jean-Paul II ait pu commettre l'ignominie de le nommer Cardinal. |
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Étant un partisan du salut universel à la von Balthasar, Servais a ouvertement posé une question chargée, clairement conçue pour obtenir la confirmation de Benoît que le dogme « Extra ecclesiam nulla salus » ( i.e. « Hors de l’Église, point de salut » ) est maintenant lettre morte. Toutes les traductions sont de moi :
« Dans les Exercices Spirituels, Ignace de Loyola, n’emploie pas les images de vendetta de l'Ancien Testament contrairement à Paul (comme il est montré dans la Deuxième Lettre aux Thessaloniciens) ; néanmoins, il invite à la contemplation de la façon dont les hommes, jusqu'à l'Incarnation, « descendaient en enfer » et à la considération de l’exemple des « innombrables autres qui ont abouti là pour des péchés beaucoup moins que ceux que j’ai commis ». C’est dans cet esprit que Saint François Xavier a vécu sa propre activité pastorale, convaincu du devoir de tenter de sauver de l'horrible destin de la perdition éternelle autant d’« infidèles » que possible. Peut-il être dit que, sur ce point, depuis des décennies récentes, il y a eu une sorte de « développement du Dogme » dont le Catéchisme devrait tenir compte ? »
Remarquez, tout d'abord, le rejet sarcastique de l'Ancien Testament et de Saint Paul en ce qui concerne le Jugement de Dieu et la menace du châtiment éternel. Servais est le Moderniste classique qui ne pense rien de la Révélation Divine par opposition à ses propres sensibilités théologiques, éclairées par les plus nouveaux développements sensationnels dans la « pensée post-conciliaire ».
Contrairement à la façon dont l'entrevue a été interprétée par les commentateurs optimistes, Benoît mord à l'appât en admettant la mort (de facto) du Dogme et la crise qu’elle a causée, mais il évite de mentionner toute suggestion que ce qui est nécessaire est tout simplement une reprise de l'enseignement traditionnel de l'Église sur la nécessité de la Foi et du Baptême pour le salut (les cas d'ignorance non coupable étant une question de spéculation théologique desquels l'Église ne peut rien dire avec certitude) :
Il ne fait aucun doute que sur ce point nous sommes confrontés à une profonde évolution du Dogme. Alors que les Pères et les théologiens médiévaux pouvaient encore être d'avis qu’en substance, la totalité de la race humaine était devenue Catholique et que le paganisme n’existait maintenant seulement qu’à la marge, la découverte du Nouveau Monde au début de l'ère moderne a changé cette perspective d'une manière radicale.
Le Pape Émérite accepte ici allègrement l'essence même du Modernisme condamné par Saint Pie X dans Pascendi, à savoir : que les dogmes de la Foi peuvent « évoluer » selon l'évolution des sentiments religieux (ici il est dit « une perspective changée »). Que le Dogme puisse « évoluer » est un sophisme dont Pie X avertit : « Ça ruine et détruit toute religion ». La référence dépourvue d’esprit critique de Benoît XVI à « une profonde évolution du Dogme » qualifie à elle seule cet entretien comme une catastrophe.
Cela mis à part, il est absurde de suggérer que la simple découverte du Nouveau Monde et un grand nombre d'infidèles qui ont besoin de conversion allaient changer le Dogme sur la nécessité de la conversion pour le salut. Au contraire, ça a dû encourager encore plus l'activité missionnaire. En effet, Benoît admet qu’« il est vrai que les grands missionnaires du 16ème siècle étaient encore convaincus [!] que celui qui n’est pas baptisé est perdu à jamais et ceci explique leur tâche missionnaire... »
Et puis vient cette déclaration stupéfiante dans la même phrase : « Dans l'Église Catholique, après le Concile Vatican II, cette condamnation a été définitivement abandonnée ». Lisez-le à nouveau afin de vous convaincre que c'est bel et bien ce que le Pape Émérite a dit. [Pour les sceptiques, ci-joint l'original italien : « Nella Chiesa cattolica dopo stata conte de convinzione il Vatican II définitivement abbandonata »]
Ainsi, le changement de « perspective » avancé n'a rien à voir avec la découverte du Nouveau Monde après tout ou au cours des siècles intermédiaires depuis lors, mais plutôt avec la coulée de lave apparemment sans fin de ce Vésuve ecclésial d'ambiguïtés connu comme le Concile de Vatican II. Pourquoi ne sommes-nous pas surpris ?
Il convient de noter que les deux Papes qui ont régné immédiatement avant 1962 ne montrèrent aucun changement « radical » de « perspective » en ce qui concerne la nécessité de convertir les infidèles —c’est le droit, les infidèles — pour leur salut. Deux exemples suffisent :
Dans Evangellii Praecones (1951), le Vénérable Pie XII prêchait l'urgence de l'œuvre missionnaire suite à la Deuxième Guerre Mondiale avec le communisme à la hausse. Il a exprimé son inquiétude pour « les peuples innombrables qui doivent être appelés à la même bergerie et au même havre de salut par la prédication de ces missionnaires... » et il fit l'éloge de la Société de la Sainte Enfance dont les membres « prient avec ferveur pour le salut des infidèles ... »
Dans Rerum Ecclesiae (1926), Pie XI s’est référé pas moins de quatorze fois au travail urgent de convertir « les païens » déclarant que « les Ordres et les Congrégations Religieuses peuvent être fiers des missions qui leur sont donnés parmi les païens et des conquêtes faites jusqu'à la présente heure pour le Royaume du Christ .... N’ayez pas honte, Vénérables Frères, pour faire de vous même des mendiants pour le Christ et le salut des âmes ».
Puis, quelques années plus tard, il y avait un « abandon définitif » soudain de la très grande conviction que ces deux Papes ont exprimée. En en démontrant entièrement le cas dans ma récente discussion avec Mark Shea, le Pape Benoît admet que l’« abandon définitif » de la conviction missionnaire en faveur de la nouvelle « perspective » mystérieuse émergente a produit :
« Une crise profonde double. D'une part, ça semble enlever toute motivation pour un futur engagement missionnaire. Pourquoi devrait-on jamais essayer de convaincre les gens d'accepter la Foi Chrétienne quand ils peuvent se sauver sans elle ? Mais, même pour les Chrétiens, une question émerge : le caractère obligatoire de la Foi et de son mode de vie est devenu incertain et problématique ».
« S’il y a ceux qui peuvent être sauvés par d'autres moyens, il n’est plus évident, à la fin, pourquoi le Chrétien devraient être lié par les exigences de la Foi Chrétienne et de sa morale. Mais si la Foi et le salut ne sont plus interdépendants, la Foi ne suscite plus de motivation. Ces derniers temps, il fut formulé différentes tentatives pour concilier le besoin universel de la Foi Chrétienne avec la possibilité de se sauver sans elle.
Notez que Benoît ne considère pas l’« abandon définitif » de la conviction missionnaire de l'Église — c’est-à-dire sa Mission Divine ! — comme une grave erreur de ces cinquante dernières années qui doit être corrigée immédiatement. Hors de question ! Il ne faut jamais admettre que l'Église (humainement parlant) a pris un mauvais tournant au Concile. Au contraire, Benoît accepte l’« abandon » comme une donnée irrémédiable, laissant l'Église seulement avec des « tentatives » de concilier la nécessité de la Foi pour le salut avec la non-nécessité de la Foi pour le salut — c’est-à-dire concilier X avec non-X, un problème familier dans la pensée post-conciliaire.
Benoît considère d'abord le « Chrétien Anonyme » dans la théorie de Rahner comme offrant des points de vue « fascinants » mais le rejette parce qu'il « réduit le Christianisme lui-même à une ... présentation de ce que l'être humain est en lui-même et donc néglige le drame du changement et du renouvellement qui est central au Christianisme ». Néglige le drame ? Que diriez-vous de négliger les Dogmes définis infailliblement concernant la nécessité du Baptême, la Grâce Sanctifiante, la Foi, la Justification et l'appartenance à l'Église pour le salut ?
Benoît déclare ensuite : « Encore moins acceptable la solution proposée par les théories pluralistes de la religion selon lesquelles toutes les religions, chacune à sa façon, auraient des moyens de salut et, en ce sens, leurs effets devraient être considérés comme équivalents. La critique de la religion du type exercé par l'Ancien Testament, par celle du Nouveau Testament et par l'Église primitive est essentiellement plus réaliste à comparer à l’examen des diverses religions. Une admission si simpliste n’est pas proportionnelle à la grandeur de la question ».
Qu'est-ce que cela ? Une critique littéraire ou une défense de la Révélation Divine ? Mais la Révélation ne semble plus être le focus alors que le premier Pape Émérite de l’histoire de l'Église tente de négocier le banc de brouillard post-conciliaire.
Ainsi, ni la théorie de Rahner qui affirme que tout le monde est essentiellement Chrétien en vertu du fait qu’il est humain, ni les diverses théories du pluralisme religieux peuvent résoudre le « problème » posé par la « nouvelle perspective ». On pourrait penser que l'Église, alors, devrait rejeter la « nouvelle perspective » et simplement réaffirmer le dogme « Extra ecclesiam nulla salus » ( i.e. « Hors de l’Église, point de salut » ) laissant le sort de l'incroyant ignorant non coupable à la Miséricorde insondable de Dieu, tout comme le Bienheureux Pie IX a insisté quand il a interdit toute autre spéculation sur ce sujet. [Cf. Discurso Singulari quadam (1854)].
Mais non, la « nouvelle perspective » doit être servie. Et Benoît suggère finalement que nul autre que peut-être Henri de Lubac peut sauver l'Église du dilemme de n’avoir aucun moyen d'expliquer comment la « nouvelle perspective » peut se concilier avec l'enseignement traditionnel de l'Église sur sa propre nécessité pour le salut. Cela implique ce que Benoît appelle « le concept de substitution à autrui », selon lequel concept le Corps Mystique du Christ, qui est l'Église, sauverait en quelque sorte les âmes en dehors de l'Église par le fait même de son existence.
Mais cela est juste une autre formule universelle pour le salut sans Foi ni Baptême, qui ne ferait rien pour résoudre le « double crise » que Benoît avoue et qui a surgi parce que la conviction missionnaire a été « définitivement abandonnée » en raison de la « nouvelle perspective ». En effet, Benoît admet qu’« il est vrai que le problème n’est pas entièrement résolu » selon la notion de Lubac.
Eh bien, ça sort du sac : il n'y a pas d'explication réelle de la façon dont la nécessité de la Foi pour le salut peut être conciliée avec sa non-nécessité selon la « nouvelle perspective » qui a conduit à un « abandon définitif » de la croyance pérenne missionnaire de l'Église à savoir que les âmes seront perdues sauf si elles sont amenées dans l'Église. Mais, en aucun cas, peut-il être admis que la « nouvelle perspective » est erronée même si elle est une nouveauté jamais entendue avant Vatican II. En fait, comme Servais l’admet, pas même le nouveau catéchisme l’a adopté comme enseignement de l'Église.
Le Pape Émérite conclut alors : « Il est clair que nous devons réfléchir à toute cette question ». C’est comme si tout l'enseignement du Magistère de près de 2000 ans sur le salut des non-Catholiques a soudainement disparu en 1962, nous laissant sans personne sauf Henri de Lubac pour tenter de combler le vide théologique.
Incroyable. Mais telle est la crise post-conciliaire dans l'Église. Avec François sur la Chaire de Pierre, nous n’avons pas encore vu le pire.
Notre-Dame de Fatima, priez pour nous !
* HERMÉNEUTIQUE : En exégèse (ou analyse d'interprétation sacrée) biblique, ensemble des règles permettant de déterminer tout à la fois le sens littéral de l'Écriture et son sens existentiel, c'est-à-dire sa valeur universelle dans l'histoire de l'humanité.
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