vendredi 12 février 2016

À quoi ressemblera l'Antéchrist ?
Il sera sublime !



Titre original : L'Antéchrist et le Katéchon

Par : Vittorio Messori
SOURCE : Rorate Caeli

À quoi ressemblera l'Antéchrist ? Nous savons que, dans les lettres de Paul, de Jean et dans l'Apocalypse, divers signes précurseurs d'une réalité y sont dispersés et qu’une Tradition Chrétienne a identifié comme étant (et je cite un livre de théologie) « le prince du mal qui viendra régner sur le monde à la fin des temps avant que le retour définitif du Fils de l'Homme ne revienne établir les Nouveaux Cieux et la Nouvelle Terre ».

Dans de nombreuses époques, les croyants pensaient identifier ce mystérieux personnage en quelque caractère historique sanguinaire : Néron, Attila, Napoléon, Lénine, Staline et Hitler.

Cependant, il y a aussi une Tradition Chrétienne, même si ça fait partie de la minorité, qui décrit le danger de l'Antéchrist (« l'homme du péché » et « le fils de la perdition » de Saint-Paul) non pas sur la violence et le sang, mais dans le mimétisme (ou l’imitation ) sournois d'une réalité persuasive et invitante. Le livre de Robert H. Benson de 1907 intitulé « Le Seigneur du Monde » a été récemment traduit en italien et dans celui-ci on voit le grand adversaire de Jésus se présenter sous le couvert d'un « humaniste », un maître de la tolérance, du pluralisme, de l’irénisme* et de l’œcuménisme ; c’est un corrupteur souriant, plus qu'un antagoniste véhément de l'Évangile ; plus un destructeur de l'intérieur qu’un agresseur de l'extérieur.

Peut-être, jusqu'à présent, peu savent que, quelques années plus tard, en 1916, la même thèse a été reproposée par Carl Schmitt. Schmitt est mort en 1985 à près de 100 ans et faisait partie de ceux dont nous entendrons parler davantage dans les années à venir : il y a déjà une indication précise de cela (et c’est en augmentation tous les jours) dans la bibliographie écrasante de son oeuvre qui a été pendant des décennies étouffée et exorcisée depuis le moment où il fut soupçonné de National-Socialisme. En réalité, ce brillant juriste allemand et politologue expert a rapidement été rejeté par le Troisième Reich (dans lequel, d'abord, il avait vu, lui aussi, la réalisation de certains points de sa théorie politique) dans la mesure où il fut accusé d '« anti antisémitisme insuffisant et surperficiel » et surtout à cause de ses « corruptions Catholiques ».

En réalité — comme des études récentes l’ont confirmé — le Catholicisme de Schmitt était non seulement culturel et expliqué par ses études de jeunesse dans des écoles religieuses, mais il a été une foi vivante qu’il a professée jusqu’à la toute fin. Qu'est-ce qui rend ce penseur si fascinant et déstabilisant à la fois (redécouvert même maintenant par d'anciens gauchistes, dans leur recherche confuse pour des « maîtres à penser » après l'effondrement de l'ensemble de leurs points de référence), c’est qu’il a inséré [dans son oeuvre] avec un réalisme Machiavélique et Hobbésien ** , des thèmes religieux comme la culpabilité, la rédemption, le salut, le Christ et l'Antéchrist. On a dit de lui qu’il était une sorte de « politicien théologique » bien que, pour ceux qui le lisent attentivement, son oeuvre est peut-être davantage celui d’un « théologien politique » : son œuvre est une discussion de l'ordre humain des choses, 1) en tenant compte du transcendant et 2) par une confrontation avec l'histoire, avec la conscience que ce n’est pas tout le portrait, mais qu’elle est destinée à circuler dans un Mystère qui va bien au-delà.

À partir de 1916, comme militaire dans l'armée bavaroise, le Carl Schmitt de 28 ans, a commencé ses réflexions sur l'Antéchrist en lisant un livre dédié à Nord-Licht ( « Northern Lights » à savoir « l'Aurore Boréale ») par Theodor Däubler. Le jeune Schmitt, dans ces pages, cite un texte qu’il a trouvé dans un Sermon en latin sur la fin du monde de Saint-Éphrem. Il convient de citer l'original de ce passage vraiment singulier selon lequel le grand séducteur provoquera l'apostasie d'un grand nombre avant la victoire définitive du Christ : « Erit subdole omnibus Placidus, non suscipiens munera, non praeponens personam, gracieux omnibus, quitus universis, Xenia non appetens, apparens affabilis à venir, ita ut eum omnes homines beatificent dicentes : Justus est hic homo » !.

Ce qui veut dire : « Il va plaire sournoisement à tout le monde, il n’acceptera pas de fonctions ou de positions, il ne va pas faire preuve de favoritisme envers des gens, il sera aimable avec tout le monde, calme en toutes choses, il va refuser des dons, il apparaîtra affable à son prochain, et juste ainsi, tout le monde va le louer en s’exclamant : «Voici un homme juste » Cette extrait, du latin de Saint-Éphrem, a une perspective inquiétante : l'Antéchrist sous le couvert trompeur d’un « homme de dialogue » ; un « humaniste » pacifique, retenu, honnête ? C’est précisément à ce portrait-robot de l'adversaire que Schmitt acquiesce : pour lui, l'Antéchrist émanera d'une société semblable à l'Occident moderne où : « Les hommes sont de pauvres diables qui savent tout et qui ne croient en rien » ; une société où « les choses les plus récentes et les plus importantes sont sécularisées : la beauté est devenue le bon goût, l'Église est une organisation pacifiste et à la place de distinguer entre le bien et le mal, on distingue entre ce qui est utile et nuisible. »

Dans une telle culture, le sournois et « dialoguant » Antéchrist vous fera croire que le salut dépend des certitudes sociales et de leur développement. Et par-dessus tout, (et ceci est une des intuitions encore plus inquiétantes du jeune Schmitt), l'Antéchrist ne sera pas un matérialiste du tout, ni un ennemi de la religion : plutôt « Il va répondre à tous les besoins, y compris les besoins spirituels. »

Il va satisfaire le désir de la transcendance chez l'homme en parlant de la spiritualité, en proposant une « religion de l'humanité » où tout le monde est d'accord avec tout et où toute divergence est bannie, et, surtout, tout dogme est considéré comme un mal radical.

Au moment de sa rédaction, dès le début du 20e siècle, la prospective de Schmitt est pratiquement passée inaperçue, apparaissant décidément improbable. Pourtant, ce n’est peut-être plus le cas aujourd'hui d'y réfléchir alors que ce qui nous menace dans le domaine religieux n’est certainement plus l'intolérance, mais s’il y a quelque chose, c’est bien le contraire : la « tolérance » qui se transforme en indifférence, en refusant de considérer les différentes confessions de foi religieuse comme quelque chose de plus qu’une façon unique (différenciées seulement par des facteurs historiques et géographiques) de vénérer le même Dieu identique ? Là où « l'ennemi » n’est plus l’ancien matérialisme honnête, mais peut-être, un spiritualisme « humanitaire » insidieux?



* Irénisme : Attitude de compréhension et de charité, adoptée entre chrétiens de confessions différentes pour l'exposé et l'étude des problèmes qui les séparent.

** Thomas Hobbes (5 avril 1588 à Westport, Angleterre – 4 décembre 1679 à Hardwick Hall, dans le Derbyshire, en Angleterre) est un philosophe anglais. Son œuvre majeure, le Léviathan, eut une influence considérable sur la philosophie politique moderne, par sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social, conceptualisation qui fonde les bases de la souveraineté. Quoique souvent accusé de conservatisme excessif (par Arendt et Foucault notamment), ayant inspiré des auteurs comme Maistre et Schmitt, le Léviathan eut aussi une influence considérable sur l'émergence du libéralisme et de la pensée économique libérale du XXe siècle, et sur l'étude des relations internationales et de son courant rationaliste dominant : le réalisme.

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