Par Dr Maike Hickson
Le 26 décembre 2016
SOURCE : One Peter Five
Le 25 décembre 2016, le Brésilien Leonardo Boff, l'un des théoriciens et acteurs les plus éminents de la théologie latino-américaine de la libération, a donné une entrevue franchement instructive et révélatrice au journal régional Allemand Kölner Stadt-Anzeiger. En raison de sa ouverture confiante, sinon présomptueuse, Boff (né le 14 décembre 1938), âgé de 78 ans, parle de plusieurs sujets d’actualité dont on n'entendrait pas parler si facilement.
Par exemple, il révèle ce qui suit :
Comment et pourquoi le Pape François n'a pas rencontré Boff à Rome, comme prévu, la veille du deuxième Synode sur la Famille en 2015 — parce que le Pape était en colère concernant la lettre des Treize Cardinaux et essayait de calmer la situation (et lui-même ? ) avant le Synode ;
Comment le Cardinal Walter Kasper a récemment dit à Boff que le Pape François a des « grandes surprises » prévues ;
Comment le Pape François veut permettre à l'Église Catholique du Brésil des prêtres mariés, comme l'a demandé son ami le Cardinal Claudio Hummes depuis quelque temps ;
Comment le Pape François avait demandé à Boff de rédiger sa propre encyclique Laudato Si et comment le Pape le remercia plus tard ;
Comment Boff considère le Pape François comme « l'un des nôtres », c'est-à-dire l'un des sympathisants de soutien de la théologie de la libération.
Dans ce qui suit, je vais traduire des parties de cet important entretien. Les paroles de Leonardo Boff parlent d'elles-mêmes. Il est important de noter dans ce contexte que Boff lui-même a été publiquement critiqué et réduit au silence en 1985 par le Cardinal Joseph Ratzinger — alors Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) — pour ses écrits peu orthodoxes contre la Doctrine de l'Église. Ainsi, en 1992, il a formellement quitté l'Ordre Françiscain auquel il appartenait et il a aussi quitté publiquement le sacerdoce Catholique.
Q : La théologie de la libération de l'Amérique latine — l'un des plus importants représentants que vous êtes certainement — a maintenant reçu de nouveaux honneurs [et un soutien encourageant] de et par le Pape François. [Y a-t-il maintenant] une réhabilitation aussi pour vous personnellement, après vos longues luttes avec le Pape Jean-Paul II lui-même et avec son plus haut défenseur de la Doctrine, Joseph Ratzinger, qui deviendra plus tard le Pape Benoît XVI ?
François est l'un des nôtres. Il a transformé la théologie de la libération en une propriété commune de l'Église. Et il l'a élargie. Celui qui parle aujourd'hui des pauvres, doit aussi parler de la terre parce qu'elle est aussi pillée et maltraitée. « Pour entendre le cri des pauvres », cela signifie entendre le cri des animaux, des forêts, de toute la création torturée. Toute la terre pleure. Aussi, dit le Pape — et il cite ainsi l'un des titres d'un de mes livres —nous devons entendre simultanément le cri des pauvres et le cri de la terre. Et, à coup sûr, les deux doivent être libérés. J'ai moi-même traité, dans le passé récent, cet élargissement de la théologie de la libération. Et que [cette dimension environnementale] est aussi l'aspect fondamentalement nouveau de Laudato Si.
Q : ... qui est maintenant dans l'Encyclique écologique du Pape promulguée en 2015. Quelle ampleur y a-t-il de Leonardo Boff dans Jorge Mario Bergoglio ?
L'Encyclique appartient au Pape. Mais il a consulté de nombreux experts.
Q : A-t-il lu vos livres ?
Plus que ça. Il m'a demandé du matériel dans l’intérêt de Laudato Si. Je lui ai donné mon conseil et lui ai envoyé certaines choses que j'avais écrites. Et qui a été aussi utilisé. Quelques personnes m'ont dit ce qu'elles pensaient en lisant : « Attendez, c'est du Boff ! » En passant, le Pape François m'a directement dit : « Boff, ne m'envoie pas les papiers directement à moi ».
Q : Pourquoi pas ?
Il a dit : « Sinon, les Sottosegretari (les employés de l'administration du Vatican, les éditeurs [de la Kölner Stadt-Anzeiger]) les intercepteront et je ne les recevrai pas. Au lieu de cela, envoyez les choses à l'Ambassadeur Argentin [au Saint-Siège] avec qui j'ai un bon lien, puis ils m'arriveront sûrement entre les mains ». Pour cela, il faut savoir que l'actuel ambassadeur au Saint-Siège est un vieil ami du Pape de son temps à Buenos Aires. Ils ont souvent bu ensemble du mate [une boisson spéciale de l'Argentine, une sorte de thé]. Puis, un jour avant la publication de l'Encyclique, le Pape fit appeler quelqu'un pour me remercier de mon aide.
Q : Une rencontre personnelle avec le Pape est-elle encore en suspens ?
Il [ le Pape François ] a cherché une réconciliation avec les représentants les plus importants de la théologie de la libération : avec Gustavo Gutierrez, Jon Sobrino et de même avec moi. Je lui ai dit à propos du Pape Benoît XVI — respectivement Joseph Ratzinger — « Mais cet autre est toujours vivant, après tout ! » Le Pape n'a pas accepté cela. « Non, a-t-dit, le Pape, c'est moi ! » Nous étions les bienvenus. C'est là que vous voyez son courage et sa détermination.
Q : Pourquoi votre visite n'est-elle pas encore terminée ?
J'avais reçu une invitation et j'avais déjà atterri à Rome. Mais juste à ce jour, juste avant le début du [deuxième] Synode sur la Famille en 2015, 13 Cardinaux — parmi eux le Cardinal Allemand Gerhard Müller — ont répété une rébellion contre le Pape avec une lettre qui lui était adressée, alors, ô surprise ! , elle a été publiée dans un journal. Le Pape était en colère et il m'a dit : « Boff, je n'ai pas le temps. Je dois rétablir le calme avant le début du Synode. Nous nous reverrons une autre fois.
Q : Mais aussi avec le calme espéré, qui n'a pas vraiment réussi, non plus, n'est-ce pas ?
Le Pape éprouve la netteté du vent de face de ses propres rangs, spécialement des États-Unis. Le Cardinal Burke, Leo Burke, qui —avec votre retraité Cardinal Meisner de Cologne — a déjà écrit une autre lettre [au Pape]; il est le Donald Trump de l'Église Catholique (rires). Mais contrairement à Trump, Burke a été neutralisé dans la Curie. Grâce à Dieu. Ces gens croient vraiment que c'est à eux de corriger le Pape. Comme s’ils étaient au-dessus du Pape. Quelque chose comme cela est inhabituel [sic !], Sinon sans précédent dans l'histoire de l'Église. On peut critiquer le Pape, on peut avoir des discussions avec lui. C'est ce que j'ai souvent fait. Mais, que les Cardinaux accusent publiquement le Pape de répandre des erreurs théologiques ou même des hérésies, c'est trop à mon avis. C'est un affront que le Pape ne peut pas supporter. Le Pape ne peut être jugé, c'est l'enseignement de l'Église.
Q : Avec tout votre enthousiasme pour le Pape — qu’en est-il de ces réformes de l'Église que tant de Catholiques ont attendu de François ; mais où, en fait, y en a-t-il tant qui soient encore arrivées ?
Vous savez, pour autant que je sache, le centre de son intérêt n'est plus l'Église — et certainement pas le fonctionnement interne de l'Église — mais plutôt la survie de l'humanité, l'avenir de la terre. [...] Je crois qu'il y a une hiérarchie de problèmes pour lui. Lorsque la terre périt, tous les autres problèmes ont également été pris en charge. Mais, en ce qui concerne les questions dans et autour de l'Église : attendez et voyez ! Récemment, le Cardinal Walter Kasper, un proche confident du Pape, m'a dit qu'il y aura bientôt de grandes surprises.
Q : À quoi vous attendez-vous ?
Qui sait ? Peut-être un diaconat pour les femmes, après tout. Ou la possibilité que les prêtres mariés puissent être de nouveau engagés dans la pastorale. C'est une demande explicite de la part des Évêques Brésiliens au Pape, en particulier de son ami, le retraité curial Cardinal Claudio Hummes. J'ai entendu dire que le Pape voulait répondre à cette demande — pour l'instant et pour une certaine période expérimentale au Brésil. Ce pays avec ses 140 millions de Catholiques devrait au moins avoir 100 000 prêtres. Mais il n'y en a que 18 000. Institutionnellement, c'est une catastrophe. Pas étonnant que les fidèles vont maintenant en masse vers les Évangéliques et les Pentecôtistes, qui remplissent ce vide personnel. Si tous ces milliers de prêtres déjà mariés pouvaient à nouveau exercer leur charge, ce serait là un premier pas vers une amélioration de la situation et, en même temps, ce serait une impulsion et un signe que l'Église Catholique desserre les chaînes du célibat obligatoire. [mon soulignement]
Q : Si le Pape devait prendre une décision dans ce sens et dans cette direction, est-ce que vous-même, en tant qu'ancien prêtre Françiscain, reprendriez les devoirs sacerdotaux ?
Personnellement, je n'ai pas besoin d'une telle décision. Cela ne changerait rien pour moi parce que je fais toujours ce que j'ai toujours fait : je baptise, je donne des sépultures Chrétiennes et, si je viens dans une paroisse sans prêtre, je célèbre aussi la Messe avec le peuple.
Q : Est-il très « Allemand » de vous demander si vous êtes autorisé à faire cela ?
Jusqu'à présent, aucun Évêque que je connais ne l’a jamais critiqué ou interdit. Les Évêques, au contraire, sont heureux et me disent : « Le peuple a un droit [sic] à l'Eucharistie. Continuez à le faire ! » Mon professeur de théologie, le Cardinal Paulo Evaristo Arns — qui est mort il y a quelques jours — était par exemple très ouvert. Il est allé aussi loin que, quand il a vu des prêtres mariés assis dans le banc pendant la messe, il les fit venir à l'autel et il a ensuite concélébré l'Eucharistie avec eux. Il le faisait souvent et disait : « Vous êtes, après tout, toujours des prêtres — et vous le resterez !
[Fin de la traduction]
Commentaire :
Dans le contexte de cette entrevue directe — et des critiques « orthodoxes » apparemment nouvelles de Boff à l'égard des personnes qui osent même critiquer un Pape — il pourrait être utile de rappeler et de lire ce que disait plus tôt Leonardo Boff en 2001.
Car, lors de l'entrevue de 2001 avec le site Internet Communità Italiana, il a également parlé sans ambages du Cardinal Joseph Ratzinger lui-même — alors chef de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sous le Pape Jean-Paul II — et de la défense par Ratzinger des positions et des Doctrines de l'Église Catholique :
« Ce que je peux dire, c'est que la tendance dominante au Vatican sous ce pontificat [de Jean-Paul II] est hautement fondamentaliste. Un Cardinal comme J. Ratzinger qui publie un document officiel [Vatican] dans lequel il dit que la seule véritable Église est l'Église Catholique et que les autres ne sont même pas des églises, que la seule religion légitime est la religion Catholique et que les autres n’ont pas de foi (ce ne sont que des convictions et des croyances) — il commet du terrorisme religieux [sic] et tombe aussi dans une grave erreur théologique ». [mon soulignement]
Le caractère poignant et l'ironie de ces commentaires de la part de Boff s’intensifient quand on considère que, en 1970 à Munich, c'est le Cardinal Ratzinger lui-même qui faisait partie du comité de guides professoraux de la thèse de doctorat « de Ecclesia » de Leonardo Boff : concernant « l’Église comme un Sacrement » à la lumière de certaines des expériences présumées du monde. Le titre principal de la dissertation de Boff, en Allemand, était : Die Kirche als Sakrament im Horizont der Welterfahrung.
Dans le contexte plus large de cette récente interview de Leonardo Boff, le 25 décembre 2016, nous voudrions également rappeler aux lecteurs le travail du spécialiste du Vatican, le docteur Sandro Magister, qui a maintes fois souligné la possibilité, voire la probabilité, que le Pape François lui-même accordera au Brésil la permission d'autoriser les prêtres mariés. Nous nous souvenons également que nous-mêmes avons signalé plus tôt comment — juste après la publication de la Lettre des 13 Cardinaux par le Dr Magister lui-même — des rapports dignes de confiance ont rapporté la colère du Pape François concernant cette initiative polie mais fermement orthodoxe des Cardinaux. Ainsi, dans son franc-parler confiant, Léonard Boff confirme inopinément le travail antérieur des journalistes tant du Dr Magister lui-même que le mien dans une plus petite mesure.
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