Un éminent avocat en droit canon fait valoir que les réformes radicales du Pape sur la nullité pourraient renverser un principe très important de la loi de l'Église |
à la version catholique du divorce sans faute ».
par : Benedict Nguyen
SOURCE : Catholic Herald
La Lettre Apostolique du Pape François Mitis Iudex Dominus Iesus, publiée la semaine dernière, propose des changements majeurs sur la façon dont l'Église émet des déclarations de nullité matrimoniale. De nombreux avocats et commentateurs respectés en droit canon expriment de graves préoccupations au sujet du texte alors qu’ils l'étudient plus attentivement. Je joins ma voix au nombre croissant qui sont inquiets. À mon avis, certains changements courent le risque de faire plus de mal que de bien, de créer plus de confusion que de clarté sur la vérité du mariage et sur la raison d’être du processus relatif à une déclaration de nullité.
Le changement proposé le plus important dans Mitis Iudex est la création de la « procédure accélérée » dans lequel les cas de mariage sont donnés à l'Évêque diocésain afin qu’il décide lui-même dans une sorte de décret administratif. Ce changement très problématique soulève des questions sérieuses et une grave confusion.
Les Évêques diocésains extrêmement occupés, y compris ceux qui peuvent ne pas avoir une formation en droit du mariage, seront appelés à se prononcer potentiellement sur des centaines de cas de mariages canoniques chaque année en se fondant presque exclusivement sur le rapport d’assesseurs qui eux-mêmes peuvent ne pas être des avocats canonistes. Ce système est censé « rationaliser » le processus. Pourtant, en pratique, il est difficile de voir comment cela pourrait être fait ainsi sans que l'Évêque diocésain entérine à l’aveuglette des décisions sans les considérer ou bien les expédie au détriment de la rigueur. Quelque soit l’issue, ce serait une injustice.
Le droit canon utilise déjà un « processus documentaire » plus court pour les cas impliquant un manque de capacité à se marier (canons 1073-1094) et un manque ou un défaut de la forme canonique (des canons 1108-1123). Pour le troisième type de cas de mariage — ceux impliquant le vice de consentement (canons 1095-1107), qui utilisaient la « procédure formelle du mariage » — Mitis Iudex permettra maintenant le nouveau « processus accéléré » qui devra être utilisé lorsque ces cas semblent être nuls » à cause d’« arguments particulièrement évidents ».
C’est ici que les problèmes commencent. Comment ces « arguments évidents » peuvent-ils être correctement pris en considération avant un processus approprié ?
Ce que Mitis Iudex a effectivement fait, c’est de renverser dans la pratique le principe de toute importance que l’on trouve au canon 1060 où il est dit que le mariage est présumé être valable jusqu'à preuve du contraire. En permettant le processus « accéléré » pour les cas considérés comme nuls « par des arguments particulièrement évidents », Mitis Iudex permet une sorte de pré-jugement d'un mariage comme nul avant qu’un processus ait été même choisi.
Le résultat est que certains mariages seront présumés invalides avant même que le processus commence. Cela va directement à l'encontre de la présomption de validité exigée par la justice, la logique et le canon 1060. Mitis Iudex a créé une situation où les mariages sont présumés être invalides et que la validité doivent maintenant être prouvés. Cela équivaut à l'adoption de l’approche « coupable jusqu'à preuve du contraire » et sera préjudiciable à la notion de l'indissolubilité du mariage.
Pire encore, l'article 14 des « Règles de procédure » attachées à Mitis Iudex ajoute gravement à la confusion. L'article 14 présente pêle-mêle une liste non concluante de principes et de situations qui peuvent justifier une demande pour le processus accéléré. Ces exemples vont de situations de mariage simplement difficiles à certaines qui sont en fait des motifs canoniques pour une déclaration de nullité.
L'article 14 occasionnera deux erreurs malheureuses : la croyance que le mariage décrit dans l'une des situations de la liste est invalide avant même son enquête appropriée et l'erreur de penser que certaines de ces situations sont de nouveaux motifs de nullité. Ces erreurs seront utilisées ou mal comprises pour justifier des nullités faciles créant en effet des « divorces catholiques ». En fait, pas moins que le renommé Dr Kurt Martens, professeur de droit canon à l'Université Catholique d'Amérique, a dénoncé le processus accéléré et ces situations comme « fournissant un chemin qui ressemble à la version catholique du divorce sans faute ».
Le deuxième changement majeur proposé dans Mitis Iudex est l'élimination de la revue requise par un tribunal d'appel de deuxième instance. Certains voient cette revue comme une étape supplémentaire qui est redondante retardant inutilement le résultat final. Alors que beaucoup ont vu ce changement comme positif, je crois que nous allons perdre la sagesse pastorale et historique précieuse que l'Église a appliqué aux cas de mariage.
Le but de cette revue est d'aider à s’assurer que les juges des tribunaux locaux demeurent proches de leurs cas, qu’ils ne soient pas négligents ou manipulateurs et de vérifier s’ils le sont. L'idée est d'aider à s’assurer que la procédure appropriée est utilisée et que les juges rendent une décision dûment objective.
De laisser tomber la revue obligatoire a déjà été brièvement autorisée dans le passé — avec des résultats terribles. De 1971 à 1983, les soi-disant « Normes provisoires américaines » ont été autorisées par le Vatican à titre expérimental pour les tribunaux aux États-Unis où une dispense de la revue obligatoire de deuxième instance a été accordée quand elle semblait superflue. Le résultat fut que très peu de cas au cours de ces années n'ont jamais été examinés en deuxième instance.
En examinant minutieusement ces 12 années, la Signature Apostolique, la plus haute autorité judiciaire de l'Église, a exprimé des préoccupations concernant non seulement la façon dont certains tribunaux locaux manipulaient certains cas de mariage, mais également que des cas ayant eu clairement besoin d’être portés en appel n’ont jamais été demandés en appel par les parties ou le Défenseur du lien ou l'Ordinaire.
Avec cette expérience à l'esprit, le code universel actuel du droit canonique promulgué en 1983 a maintenu l'instance de la deuxième revue. Mitis Iudex rétablira effectivement la situation des « Normes des procédures américaines » mais ira encore plus loin en faisant de l'absence de la revue obligatoire la norme.
La réalité est que, lorsque les tribunaux de première instance suivent le processus de manière appropriée et objective, un tribunal de deuxième instance bien doté de personnel peut généralement arriver à une décision favorable assez rapidement. Si, toutefois, il y a des retards inutiles en raison du manque de personnel ou d’attitudes paresseuses de la part des fonctionnaires du tribunal, ce n’est pas la faute des lois canoniques.
Le problème peut être résolu par une dotation en personnel et une bonne gestion.
Plutôt que d'éliminer l'instance de deuxième revue, nous avons besoin de normes qui garantissent qu'elle est utilisée de façon efficace et efficiente. Si la sublime dignité et beauté du mariage est vraiment ce que nous croyons qu'il est, est-ce que la validité présumée d'un mariage ne vaut pas la peine d'un deuxième examen pour le protéger contre des possibles décisions bâclées ou arbitraires ?
Il faut aussi se demander pourquoi des changements aussi importants et dramatiques que ceux-ci n’ont pas ouverts à la consultation au-delà d'un très petit comité de travail avec apparemment aucune transparence sur la période d'une année.
Pourquoi n’y a-t-il pas eu aucune consultation avec le Synode des évêques, qui se tiendra le mois prochain, avec les pouvoirs pontificaux de droit canon à travers le monde, les sociétés professionnelles de droit canonique, avec des évêques sélectionnés et les tribunaux de l'Église qui seront chargés de la mise en œuvre difficile et des retombées pastorales de ces réformes ? L’Amérique du Nord accuse près des trois quarts de toutes les déclarations de nullité qui sont délivrées chaque année. Pourquoi n'y avait-il pas un Américain ou un Canadien sur le comité ?
Comme Mitis Iudex ne prend pas effet avant le début de décembre, il n’est pas trop tard pour corriger les nombreux problèmes graves dans ce document. Je soutiens l'appel de certains pour le retarder dans sa mise en œuvre afin qu'une consultation plus large si nécessaire puisse être effectuée.
Enfin, on doit se demander si le moment est venu pour ces réformes choc.
Comme de nombreuses crises dans le mariage et la famille continuent tant à l'intérieur et qu’hors de l'Église, ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour se lancer sur la modification du processus de la déclaration de nullité qui est un produit de siècles d'expérience pastorale de l'Église. Comme le dit le vieil adage, le pire moment pour faire une loi, c’est dans un moment de crise.
Ce qui est nécessaire maintenant, ce ne sont pas de nouvelles procédures, mais plutôt la mise en œuvre fidèle de celles que nous avons ; pas de dérogation aux lois sur le mariage, beaucoup moins d’abrogation, mais plutôt une nouvelle appréciation de leur finalité et de leur sagesse pastorale.
Ce que nous avons besoin maintenant plus que jamais, c’est la clarté sur les enseignements de l'Église concernant le mariage — en particulier son indissolubilité — plutôt que des réformes hâtives qui peuvent confondre davantage ces enseignements. Ce qu'il nous faut, c’est la miséricorde fondée sur la vérité et non une fausse pitié basée sur la commodité ou une compassion mal placée qui, comme St Jean-Paul II nous a rappelé, pourrait dégénérer en une sentimentalité qui est seulement pastorale en apparence.
Benedict Nguyen est un avocat canonique et civil, il sert en tant que conseil canonique et conseiller théologique du diocèse de Corpus Christi, au Texas. Il est également professeur adjoint à l'Institut de Formation Spirituelle Avila (avila-institute.com)
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