Carl E. Olson, rédacteur en chef the Catholic Worls Report
Le 8 septembre 2016
SOURCE : Catholic World Report
« Je suis de plus en plus convaincu que cette papauté, pour l'ensemble de ses forces, de ses faiblesses et de ses bizarreries, pourrait bien être connue, à la fin, comme la Papauté de la sentimentalité ».
Commençons par une statistique surprenante : le récent Message du Pape François en date du 1er septembre pour la célébration de la « Journée Mondiale de Prière pour la Sauvegarde de la Création » contient, selon mon compte non scientifique, quatorze références à « péché » ou « péchés ». Le court message se compose de quelques 2074 mots.
Ces mêmes mots (et des variantes telles que « pécheur ») se produisent seulement douze fois en Amoris Laetitia, l’Exhortation post-Synodale Apostolique du Saint-Père beaucoup discutée sur la famille. Et ce texte massif est le document papal le plus long jamais enregistré, avec environ 55.000 mots (près de 60.000 avec les notes).
Comme certains lecteurs pourraient se rappeler, l'Exhortation évite la langage qui pourrait apparaître comme jugeant ou « non-pastoral », même dans son sens le plus objectif. Par exemple, le mot « adultère » apparaît seulement trois fois — et ces trois fois décrivent la « femme adultère » (de même, le mot « fornication » n'a jamais fait son apparition). Certes, l'adultère est un problème dans de nombreux mariages ; mais il ne mérite pas une description claire. Au lieu de cela, nous lisons comme expression « situations irrégulières » comme si un état objectif d'adultère est semblable à porter une chaussette noire et une chaussette bleue et qu’il est à espérer que personne ne le remarque.
Le langage du message du 1er septembre est également surprenant. Citant la lettre d’août 2015 qui a institué la Journée de Prière pour la Sauvegarde de la Création, le Pape François déclare :
Et puis, il y a ces utilisations inhabituelles du mot préféré du Pape :
« Cette journée entend offrir « à chacun des croyants et aux communautés la précieuse opportunité de renouveler leur adhésion personnelle à leur vocation de gardiens de la création, en rendant grâce à Dieu pour l’œuvre merveilleuse qu’Il a confiée à nos soins et en invoquant son aide pour la protection de la création et sa miséricorde pour les péchés commis contre le monde dans lequel nous vivons ».
« Chrétiens et non-Chrétiens, personnes de foi et de bonne volonté, nous devons être unis pour montrer de la miséricorde envers notre maison commune – la terre – et valoriser pleinement le monde dans lequel nous vivons comme lieu de partage et de communion... »
« Rien n’unit davantage à Dieu qu’un acte de miséricorde – qu’il s’agisse de la miséricorde avec laquelle le Seigneur nous pardonne nos péchés, ou qu’il s’agisse de la grâce qu’il nous accorde pour pratiquer les œuvres de miséricorde en son nom ».
« Paraphrasant Saint Jacques, « la miséricorde sans les œuvres est morte en elle-même. […] A cause des mutations de notre univers mondialisé, certaines pauvretés matérielles et spirituelles se sont multipliées : laissons donc place à l’imagination de la charité pour distinguer de nouvelles modalités d’action. De cette façon, la voie de la miséricorde deviendra toujours plus concrète ».
« La vie Chrétienne inclut la pratique des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles traditionnelles.[10] « Il est vrai que nous pensons d’habitude aux œuvres de miséricorde, séparément, et en tant que liées à une œuvre : hôpitaux pour les malades, cantines pour ceux qui ont faim, maisons d’accueil pour ceux qui sont dans la rue, écoles pour ceux qui ont besoin d’instruction, le confessionnal et la direction spirituelle pour celui qui a besoin de conseil et de pardon… Mais si nous les regardons ensemble, le message est que l’objet de la miséricorde est la vie humaine elle-même et dans sa totalité ».
« Évidemment la vie humaine elle-même et dans sa totalité comprend la sauvegarde de la maison commune. Donc, je me permets de proposer un complément aux deux listes traditionnelles des sept œuvres de miséricorde, ajoutant à chacune la sauvegarde de la maison commune ».
« Comme œuvre de miséricorde spirituelle, la sauvegarde de la maison commune demande « la contemplation reconnaissante du monde » (Enc. Laudato sì, n. 214) qui « nous permet de découvrir à travers chaque chose un enseignement que Dieu veut nous transmettre » (ibid., n. 85). Comme œuvre de miséricorde corporelle, la sauvegarde de la maison commune demande les « simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme […] et se manifeste dans toutes les actions qui essaient de construire un monde meilleur » (ibid., nn. 230-231) ».
Ceci est, tout simplement, troublant, à la fois Phil Lawler et Jeff Mirus du site Catholique Culture l’ont noté dans deux articles importants sur ce sujet. Tout d'abord, Lawler :
Le Pape François m’a souvent surpris, confus, et consterné. Mais rien de ce qu'il a dit ou fait jusqu'à présent dans son pontificat ne m’a autant choqué que son Message pour la Journée de Prière pour la Sauvegarde de la Création. ... Encore une fois, j'insiste sur le point parce que je ne veux pas être pris dans une mauvaise argumentation — je ne conteste pas l’argument du Pape que les Chrétiens doivent faire preuve d'un plus grand soin à l'environnement. Ce qui me dérange est un autre aspect qui est plus spécifique dans ce message : l'affirmation selon laquelle la sauvegarde de l'environnement doit être comprise comme une des œuvres corporelles et spirituelles de miséricorde.
Lawler note à juste titre que nous devons être de bons intendants de la création. Telle n’est pas la question ici ; la question est de savoir ce en quoi le Pape François fait quelque chose de complètement sans précédent ici : en essayant de tourner la miséricorde en quelque chose qui ne l’est pas, comme Lawler l’explique :
Mais en ajoutant à la liste des œuvres de miséricorde, François « ne fait pas un changement organique. Il met des choses — des actions vertueuses, je le concède — dans une catégorie où elles ne font pas partie. Quand le Pape recommande d'éteindre les lumières inutiles, par exemple, il fait une suggestion incontestablement positive ; c’est une bonne chose à faire. Mais ce n’est pas là une œuvre de miséricorde [son accent] comme nous avons toujours compris ce terme. Les œuvres de miséricorde, comme elles ont été comprises jusqu'à hier, ont toutes une personne humaine à la fois comme sujet et comme objet .... Dans les nouvelles œuvres que François met de l’avant, l'objet est l'environnement naturel, pas une âme humaine ».
Les œuvres de miséricorde — comme elles ont été ainsi comprises jusqu'à hier — ont toutes une personne humaine à la fois comme sujet et comme objet. L'objet était une personne dans un certain besoin. Le sujet était vous ou moi : une personne au défi d'imiter le Christ en comblant ce besoin. Dans les nouvelles œuvres que François met de l’avant, l'objet est l'environnement naturel, pas une âme humaine. Et je crains que beaucoup de gens, à la lecture de ce message, concluront que les gouvernements devraient faire des lois pour protéger l'environnement de sorte que les gouvernements soient les sujets plutôt que vous et moi.
Mirus va dans le détail dans une analyse de lecture incontournable des problèmes découlant de l'insistance de François sur « une nouvelle œuvre de miséricorde ». Il écrit :
Même si l'Église souligne bien l'épanouissement de la personne humaine comme le premier but de la protection de l'environnement, un problème à identifier cela comme une œuvre de miséricorde (comme Phil Lawler l’a également mentionné) est que ça déplace inévitablement notre attention de la personne à l’environnement lui-même. C’est une excellente chose de prendre soin de l'environnement pour les bonnes raisons et avec les bonnes priorités, mais quand on considère les soins pour les autres personnes, ce sont des soins qui leur sont enlevés (ou peut-être plusieurs fois enlevés). Les soins à l’environnement font partie de la promotion du bien commun qui a sa propre catégorie dans l'enseignement social Catholique. De toute évidence, le travail pour le bien commun manque du caractère immédiat des œuvres traditionnelles de miséricorde qui ne dépendent pas des politiques diversement motivées pour protéger les biens matériels généraux et pour résoudre des problèmes, mais sur des actes personnels concrets d'amour.
Et :
La mise en œuvre effective de l'enseignement social Catholique — y compris la bonté essentielle de prendre soin de l'environnement — dépend de jugements prudentiels sur la meilleure façon, en un temps et un lieu particulier et dans des circonstances particulières, de structurer l'action communautaire pour le bien commun. De toute évidence, les soins de l'environnement dépendent de nombreux jugements qui sont totalement absents des œuvres personnelles de miséricorde.
Comme Mirus le conclut: « Pour être elle-même, la miséricorde doit toujours être intensément personnelle et totalement gratuite. C’est juste cela qui rend la miséricorde très spéciale. C’est ce qui rend la miséricorde transformatrice. C’est la raison pour laquelle la miséricorde fonctionne... »
Exactement. Je ne vais pas répéter les mêmes points soulevés si bien par ces deux auteurs. Au contraire, je tiens à souligner quatre choses :
Toute personne qui a étudié le sujet de la « miséricorde » telle qu'elle est utilisée dans l'Écriture sait que c’est un sujet riche et complexe. Elle est étroitement liée à la compassion et à la bonté. En hébreu, le mot « hesed » est souvent traduit par « bonté » et « tendre affection ». C’est un mot (utilisé quelque 150 fois dans la Bible) qui est, comme Le Dictionnaire de l'imagerie biblique (InterVarsity Press, 1998) le stipule, qu’il « est presque entièrement du domaine de Dieu ». Oui, il y a bien sûr des actes humains de miséricorde. Mais la miséricorde est une qualité essentielle de Dieu et elle découle de sa nature personnelle. La miséricorde, dit autrement, est toujours démontrée et vécue dans une relation entre les personnes. Cela se voit, d'abord et avant tout, dans les actions bienveillantes de Dieu envers les hommes et les femmes. Je dirais même que la miséricorde est une qualité profondément d’alliance car c’est par la miséricorde de Dieu que nous sommes appelés à être les enfants de Dieu et c’est Sa miséricorde qui continue à nous façonner et à nous former comme Ses enfants. La miséricorde, tout simplement, est destinée à favoriser le salut des âmes. À parler de la miséricorde qui serait étendue à des choses plutôt qu’aux personnes est tout simplement une mauvaise utilisation du mot ; c’est, franchement, de la théologie horrible.
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Suite à cela, il n'y a pas d'exemple dans l'Écriture ou dans la Tradition Sacrée, que je sache, dans lequel la miséricorde est décrite comme quelque chose qui soit étendue à « la terre », à la « création » ou à « l'environnement ». Une telle utilisation est tout simplement sans précédent, même dans les écrits récents de Jean-Paul II et Benoît XVI. (Lire, par exemple, l'encyclique de Jean-Paul II sur la miséricorde, « Dives in Misericordia », et voyez comment la miséricorde est toujours associée d'une personne à une autre. Toujours.) Cela ne veut pas signifier, encore une fois, que l’on nie l'obligation que nous devons tous être de bons intendants et de porter des jugements sages, moraux et prudentiels dans notre vie quotidienne qui peuvent aller aussi loin que notre utilisation de la nourriture, de l'énergie et des biens matériels. Pas du tout. Mais de l'utiliser pour décrire le traitement que l’on doit à la « création » ou à l’« l'environnement » est profondément problématique et source de confusion.
Il est notable que François, dans son Message, cite seulement deux personnes : lui-même et le Patriarche Bartholomée de Constantinople. Et, pour autant que je peux dire, Bartholomée ne parle jamais d’étendre la miséricorde à la création ou à l'environnement. C’est presque comme si le Saint-Père utilise les paroles de Bartholomée comme couverture pour son usage étonnant de la « miséricorde » et cependant il ne semble pas que Bartholomée partage la même langage. Et même s'il l'a fait, qu’est-ce cela voudrait dire ? Pour autant que je sache, la Sainte Écriture et la Tradition Sacrée éclipsent les notions des Patriarches Orthodoxes — et, oui, même de ses Papes Catholiques.
Enfin, je suis de plus en plus convaincu que cette papauté, pour l'ensemble de ses forces, de ses faiblesses et de ses bizarreries, pourrait bien être connue, à la fin, comme la Papauté de la sentimentalité. Ce n’est sûrement pas une papauté adhérant à la rigueur ou la cohérence théologique. Il n'y a pas longtemps que François a fait la nouvelle pour avoir dit à quelques Jésuites Polonais que « dans la vie, tout n’est pas noir sur blanc ou blanc sur noir. Non ! Les nuances de gris prédominent dans la vie ». Mais il est tout à fait sélectif (et, je pense, sentimental) à cet égard. En ce qui concerne le mariage, la sexualité et la famille, il y a apparemment de nombreuses nuances de gris et très peu de choses sont clairement en noir et blanc. Ainsi, les références au « péché » sont évitées. Mais quand il en vient à l'environnement et au réchauffement climatique, alors François a des émotions fortes à leur propos, il semble y avoir beaucoup de noir et de blanc, et presque pas du tout de gris. « Sans la vérité, la charité bascule dans le sentimentalisme » a averti Benoît XVI, « L'amour devient une coquille vide à remplir de manière arbitraire ». La miséricorde n’est pas quelque chose qui peut être redéfinie de façon arbitraire tout aussi bon ou attrayant que le sentiment puisse être impliqué.
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