Par Veronica A. Arntz
Le 6 septemebre 2016
SOURCE : Rorate Caeli
Dans sa Lettre aux Ephésiens, Saint Paul écrit que nous devons grandir dans la maturité de notre foi. Nous lisons que les membres de l'Église ont reçu différents dons « pour faire croître le Corps du Christ » (Éphésiens 4:12).
« De cette façon, nous parviendrons tous ensemble à l'unité de la foi dans la connaissance du Fils de Dieu ; nous deviendrons des adultes dont le développement atteindra à la stature parfaite du Christ. Alors, nous ne serons plus des enfants, emportés par les vagues ou le tourbillon de toutes sortes de doctrines, trompés par des hommes recourant à la ruse pour entraîner les autres dans l'erreur ». (Ephésiens 4: 13-14).
Il y a quelques choses à noter ici. Tout d'abord, le fait d’atteindre la pleine mesure de la foi dans le Christ n’est pas un processus autonome ; plutôt, c’est l'Église dans son ensemble qui est destinée à s’efforcer d’atteindre la maturité dans la foi. Deuxièmement, en tant que membres de l'Église, nous sommes destinés à atteindre une plénitude de la foi qui ne se trouve pas dans une compréhension enfantine. Nous ne pouvons pas simplement compter sur des doctrines ou des enseignements simplistes ; plutôt, nous devons embrasser pleinement l'appel du Christ à prendre la Croix et à Le suivre, ce qui est un enseignement manifeste dans toutes les Doctrines de l'Église. Si nous embrassons la Croix du Christ dans ses enseignements et dans nos vies en atteignant la « virilité mature » dans le Christ, nous serons en mesure d'éviter ces fausses doctrines qui peuvent facilement confondre ceux qui sont immatures dans la foi. Dans son homélie « Pro Eligendo Romano Pontifice », donnée la veille où il a été élu comme Souverain Pontife, Joseph Ratzinger a réfléchi sur le passage ci-dessus des Ephésiens et a inventé l'expression désormais célèbre : « Dictature du relativisme ». Il dit ce qui suit :
« Combien de vents de la doctrine avons-nous connus au cours des dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de la pensée... La petite barque de la pensée de nombreux chrétiens a été souvent ballottée par ces vagues - jetée d'un extrême à l'autre: du marxisme au libéralisme, jusqu'au libertinisme; du collectivisme à l'individualisme radical; de l'athéïsme à un vague mysticisme religieux; de l'agnosticisme au syncrétisme et ainsi de suite. Chaque jour naissent de nouvelles sectes et se réalise ce que dit saint Paul à propos de l'imposture des hommes, de l'astuce qui tend à les induire en erreur (cf. Ep 4, 14). Posséder une foi claire, selon le Credo de l'Église, est souvent défini comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c'est-à-dire se laisser entraîner "à tout vent de la doctrine", apparaît comme l'unique attitude à la hauteur de l'époque actuelle. L'on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs ». Plutôt que de chercher et de découvrir la vérité, l'homme moderne (même l'homme Chrétien) continue de se laisser ballotter par les vents des fausses doctrines — doctrines qui le soutirent de plus en plus de sa vraie vocation, qui est le bonheur avec Dieu.
Comme je l'ai déjà laissé entendre, cette dictature du relativisme a influencé les Chrétiens et est, en effet, entrée dans les enseignements de l'Église Catholique. De façon particulière, cette dictature a affecté notre mode d’évangélisation des autres. Parce que nous sommes influencés par de nombreuses et diverses doctrines et idées sur ce que l'Église dit ou sur ce que dit le Christ, nous n’avons plus la « plénitude du Christ » (Ephésiens 4:13), ce qui signifie que nous avons une plus grande difficulté à évangéliser les autres. En outre, nous avons une compréhension très différente des autres religions Chrétiennes et même de ceux qui ne croient pas pleinement dans le Christ. Dans une tentative peut-être mal orientée de voir le bien et la vérité en toutes choses, nous pouvons parfois être enclins à penser que tout le monde peut être sauvé. En tant que Catholiques, nous avons été nous-mêmes influencés par la dictature du relativisme : inconsciemment, nous pensons que, si tout le monde a un petit partie de la vérité, il est probable qu'il sera sauvé, donc on n'a pas besoin de le convaincre de la vérité qui est trouvée dans l'Église Catholique. Il est vrai que Dieu seul sait qui et qui ne sera pas sauvé (indépendamment de la foi de l'individu ou de l'absence de celle-ci), nous nous sommes finalement écartés d’une pleine compréhension de la vérité du Christ dans la façon que nous évangélisons.
Dans un récent interview de mars 2016, le Pape émérite Benoît XVI a parlé de ce réel problème qui est relié au concept de « « Chrétien Anonyme » » tel que défini à l'origine par Karl Rahner. Benoît XVI explique la compréhension de Rahner :
« On y soutient que l'acte de base essentiel de l'existence Chrétienne, qui s'avère décisif pour le salut, dans la structure transcendantale de notre conscience consiste dans l'ouverture au 'tout autre', vers l'unité avec Dieu ». Autrement dit, le salut est relié à la conscience de l'homme : s'il est ouvert à la vérité, alors il est possible pour lui d'être sauvé. Donc : « Quand l'homme s'accepte dans son 'être' essentiel, il accomplit l'essentiel de l''être chrétien' même sans le savoir de manière conceptuelle ».
Ainsi, être humain et être Chrétien sont presque les mêmes. Même s'il ne sait pas ce qu'est le Christianisme, il est devenu un Chrétien dans un sens parce qu'il sait ce que signifie être un être humain : « Le Chrétien coïncide donc avec l'humain et dans ce sens, est Chrétien tout homme qui s'accepte lui-même, même s'il ne sait pas ». Le Christianisme est réduit au niveau de l'humanité si bien que chacun peut avoir la possibilité du salut, peu importe ce qu'il croit, ce qui explique pourquoi ce point de vue est appelé la théorie du « « Chrétien Anonyme » » car un individu peut être Chrétien sans même le savoir.
Avec Benoît XVI, nous pourrions encore dire que cette idée du « Chrétien Anonyme » a également influencé notre façon de voir les autres religions. Comme l'explique Benoît : « Encore moins acceptable est la solution proposée par les théories pluralistes de la religion, pour lesquelles toutes les religions, chacune à sa manière, seraient des moyens de salut et en ce sens doivent être considérées comme équivalentes dans leurs effets ». Autrement dit, nous ne pouvons pas non plus accepter le pluralisme des religions de telle sorte que toutes les religions seraient d’égale valeur et que toutes peuvent être des moyens de salut. Si nous acceptons le « Chrétien Anonyme », nous pouvons voir combien il est facile d'accepter l'idée du pluralisme religieux. La théorie du « Chrétien Anonyme » suggère qu'il n'y a pas de hiérarchie dans les vérités et qu’il n’y a aucune nécessité de devenir un Chrétien baptisé ou Catholique. Si nous poussons un peu plus loin, l'idée du pluralisme religieux suggère que personne ne doit devenir Catholique pour obtenir le salut. Toute religion suffit pour le salut.
Nous devons nous arrêter ici et rappeler que Benoît XVI ne condamne pas la liberté religieuse comme je l'ai discutée ailleurs. Comme je l'ai traitée dans cet article, l'homélie de Benoît XVI lors de la Journée Mondiale de la Paix en 2011 souligne l'importance de la liberté religieuse de la personne humaine, car, dit-il :
« c’est en effet dans la liberté religieuse que se trouve l’expression de la spécificité de la personne humaine, qui peut ainsi ordonner sa vie personnelle et sociale selon Dieu : à Sa lumière se comprennent pleinement l’identité, le sens et le but de la personne »(1).
Cette citation nous rappelle que la coercition — une vérité toujours soutenue par l'Église — contredit la dignité de la personne humaine. À la personne humaine lui fut donné le don du libre arbitre par le Créateur et s'il est forcé de devenir Catholique, ce ne serait pas en accord avec sa propre dignité. Parce que la foi Catholique est finalement enracinée dans l'amour de Dieu, l'homme doit être libre de choisir cet amour —pas que ça lui soit forcé. Néanmoins, cette liberté religieuse doit toujours être unie à la vérité.
Benoît explique ce qui suit dans son discours ad limina des Évêques des États-Unis en janvier 2012. « Lorsqu’une culture tente de supprimer la dimension du mystère ultime, et de fermer les portes à la vérité transcendante, elle s’appauvrit inévitablement et devient la proie comme l’a si bien perçu le regretté Pape Jean-Paul II, de lectures réductionnistes et totalitaires de la personne humaine et de la nature de la société ». Ainsi, si nous essayons de séparer la vérité de la liberté, nous sommes soumis à des vents de la culture. Nous sommes finalement en train de rendre un mauvais service à la dignité humaine. En fin de compte, alors que Benoît XVI comprend que la liberté est nécessaire dans le choix d'une religion, il soutient aussi sans vergogne la nécessité que la vérité soit connectée à la liberté.
Revenons maintenant à la notion d'évangélisation, nous voyons que les grands évangélisateurs du passé ont bien compris la nécessité de la vérité. Comme Benoît l’a expliqué dans son interview de mars 2016 :
« Dans la seconde moitié du siècle dernier, la conscience que Dieu ne peut pas laisser aller en perdition tous les non baptisés et que même une félicité purement naturelle n'est pas pour eux une vraie réponse à la question de l'existence humaine – cette — conscience a été pleinement affirmée ».
Cette conviction a contraint les grands missionnaires à instruire et à baptiser tous les individus. Sans l'obstacle de l'idée que certaines personnes pourraient être sauvées en raison de leur inclinaison générale vers le bien, les missionnaires savaient qu'ils devaient prendre au sérieux le Commandement de notre Seigneur de baptiser toutes les nations.
À titre d'exemple, nous pouvons regarder à Saint Isaac Jogues, l'un des grands évangélisateurs du Nouveau Monde qui a persévéré dans la sanctification et le salut des âmes. Envoyé pour prêcher aux Hurons et qui a enduré la captivité sous les Iroquois, la persévérance de Saint Isaac Jogues se manifeste dans toutes ses actions, aussi humbles qu'elles pouvaient être. Franҫois Roustang, SJ, fait le commentaire suivant : « Pour être sûr, il a appris la langue iroquoise pendant sa captivité, mais tout autre Jésuite à sa place aurait fait de même » (Franҫois Roustang, SJ, Jésuites missionnaires en Amérique du Nord : Écrits et sketchs biographiques, Ignatius Press, 2006, p. 207). Saint Isaac Jogues n’était préoccupé qu’avec la présentation et la manifestation de la vérité Catholique pour qu'il puisse convertir les âmes des Iroquois. Tout en se plongeant dans la culture à travers l'apprentissage de la langue iroquoise, ses actions ont constamment prouvé la foi Catholique contre la culture Iroquoise, révélant une « impatience apostolique » dans la lutte pour les âmes (Ibid.).
Dans une lettre écrite de l'Ontario à sa mère, nous lisons :
« Peut-on penser que la vie de l'homme peut être mieux employée dans tout autre travail que ce bon travail ? Que puis-je dire ? Est-ce que tout le travail d'un millier d'hommes ne serait pas bien récompensé pour la conversion d'une seule âme à Jésus-Christ ? » (Ibid., 229). Même s'il ne pouvait sauver qu’une seule âme pour le Christ, Saint Isaac Jogues a vu cela comme une grande victoire pour le travail du Seigneur. Une lettre écrite à son provincial au sujet de sa captivité sous les Iroquois révèle son engagement ultime à sauver des âmes. Bien qu'il savait qu'il aurait pu s’échapper à tout moment, il écrit :
« J'avais décidé que, avec l'aide de la grâce de Dieu, je vivrais et je mourais sur la Croix, à laquelle notre Seigneur m’avait apposé avec Lui-Même. En effet, si je devais partir, qui consolerait les prisonniers français ou absoudrait tous ceux qui souhaitaient le Sacrement de la pénitence ? ... Qui régénérerait les enfants avec les Saintes Eaux du Baptême et verrait au salut des adultes qui meurent et qui verrait à l'instruction de ceux qui étaient encore en bonne santé ? » (Ibid., 290-291)
Malgré les nombreuses souffrances et les difficultés qu'il a à la fois vues et vécues, l'engagement de Saint Isaac Jogues envers les âmes ne connaissait pas de limites. En effet, il a risqué et a finalement perdu sa vie pendant qu’il convertissait les âmes à la foi Catholique.
Qu’observons-nous souvent aujourd'hui concernant notre évangélisation ? Est-ce que nous trouvons le même zèle missionnaire manifeste dans Saint Isaac Jogues ? Au lieu de ce zèle et de cette passion pour prêcher la vérité aux autres, nous découvrons plutôt le tendance à masquer la vérité à cause de la crainte de s’imposer aux consciences individuelles. Comme Benoît XVI explique fermement : « S'il est vrai que les grands missionnaires du XVIe siècle étaient encore convaincus que ceux qui ne sont pas baptisés sont à jamais perdus, ce qui explique leur engagement missionnaire, dans l'Église Catholique d'après Vatican II, une telle conviction a été définitivement abandonnée ». Comme je l'ai déjà mentionné, s'il n'y a pas de concept d'une vraie foi qui sauvera un individu de la perdition, alors quel est le but d'évangéliser ? Si tous les individus peuvent être sauvés sur la base de leurs bonnes œuvres, sur leur intention de découvrir le bien ou sur leur désir de suivre une idée vague de Dieu, alors pourquoi devrions-nous proclamer les enseignements de l'Église Catholique comme vrais et rédempteurs ? Benoît note un autre problème résultant de cette croyance : « S'il y en a qui peuvent se sauver aussi par d'autres moyens, finalement, la raison pour laquelle le Chrétien est lié aux exigences de la Foi chrétienne et à sa morale n'est plus évidente. Mais si la foi et le salut ne sont plus interdépendants, même la foi devient non motivée ». Ainsi, même pour ceux qui sont déjà baptisés et partiellement convaincus des vérités du Christ, ils peuvent finalement se demander si ça a une connexion avec leur propre vie puisqu’il y a d'autres moyens de rédemption.
Pour revenir à l’homélie Pro Eligendo Romano Pontifice de Ratzinger, il nous donne une exhortation sur notre propre foi, en contraste avec le règne du relativisme répandu dans notre culture.
« Nous possédons, en revanche, une autre mesure: le Fils de Dieu, l'homme véritable. C'est lui la mesure du véritable humanisme. Une foi "adulte" ne suit pas les courants de la mode et des dernières nouveautés; une foi adulte et mûre est une foi profondément enracinée dans l'amitié avec le Christ. C'est cette amitié qui nous ouvre à tout ce qui est bon et qui nous donne le critère permettant de discerner entre le vrai et le faux, entre imposture et vérité. Cette foi adulte doit mûrir en nous, c'est vers cette foi que nous devons guider le troupeau du Christ. Et c'est cette foi, — cette foi seule — qui crée l'unité et qui se réalise dans la charité ».
En d'autres termes, l'Église a une fin différente de celle du relativisme ; l'Église n’est pas censée être marquée par la vérité relativiste. Au contraire, l'objectif de l'Église se trouve en fin de compte en Jésus-Christ, qui est « la Voie, la Vérité et la Vie » (Jean 14: 6). Il est celui qui guide notre foi et guide la façon dont nous évangélisons les autres. Certes, le Père a donné à l'homme le libre arbitre pour qu'il puisse choisir de Le suivre ; Il ne contraint pas quiconque dans une relation avec Lui. Néanmoins, cela ne nous empêche pas, en tant que membres du Corps du Christ, de présenter les vérités éternelles du Christ d'une manière réelle et puissante.
Nous ne pouvons pas supposer le salut d'un autre simplement parce qu'il (ou elle) est un(e) Chrétien(ne) Protestant(e) ou parce que cette personne s’efforce de vivre une bonne vie. Non : nous-mêmes devons être fermement convaincus des vérités de l'Église Catholique et les présenter comme vraiment salvifiques. Cette présentation fidèle montrera que nous avons une foi adulte — qui est en effet le Message du Christ sur la vérité et l'amour.
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