Par : Roberto de Mattei
Correspondant à Rome
Le 27 janvier 2016
SOURCE : Rorate Caeli
S’il y a un concept qui est radicalement étranger à la mentalité contemporaine est bien celle de la pénitence. Le terme et la notion de pénitence évoquent une notion de souffrance que nous nous infligeons à nous-mêmes pour expier nos fautes ou celles des autres et pour nous unir aux mérites de la Passion Rédemptrice de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le monde moderne rejette le concept de pénitence parce qu'il est immergé dans l'hédonisme et parce qu'il professe le relativisme, la négation de tout bien pour lequel il vaut la peine de se sacrifier sauf si c’est pour rechercher un certain plaisir.
Il y a seulement cela qui peut expliquer les épisodes comme la présente attaque furieuse des média contre les Franciscaines de l'Immaculée dont les monastères sont dépeints comme des lieux de torture juste parce qu’une vie austère de pénitence y est pratiquée. Utiliser le cilice (note : tunique ou ceinture de crin ou d'étoffe rude ) ou tamponner le monogramme du nom de Jésus sur la poitrine sont considérés comme barbares alors que la pratique du sadomasochisme ou du tatouage indélébile de son corps sont considérées comme un droit inaliénable de la personne.
Les ennemis de l'Église répètent, avec toute la puissance dont les médias sont capables, les accusations anticléricales de tous les temps. Ce qui est nouveau, c’est l'attitude des autorités ecclésiastiques qui, au lieu de défendre les religieuses diffamées, les abandonnent — dans une satisfaction secrète — à la persécution des médias. Cette satisfaction a ses origines dans l'incompatibilité qui existe entre les règles auxquelles ces religieuses persistent à se conformer et les nouvelles normes imposées par le « Catholicisme adulte ».
L'esprit de pénitence fait partie de l'Église Catholique depuis ses tous débuts, par exemple des figures comme Saint Jean-Baptiste et Saint-Marie-Madeleine nous le rappellent, mais aujourd'hui, même pour de nombreux ecclésiastiques, toute référence aux anciennes pratiques ascétiques est considérée intolérable. Et pourtant, il n'y a pas de doctrine plus raisonnable que celle qui établit la nécessité de la mortification de la chair. Si le corps se rebelle contre l'Esprit (Galates 5, 18-25), n’est-il peut-être pas raisonnable et prudent de le châtier ? Aucun homme n’est exempt du péché, pas même les « Chrétiens adultes ». Ainsi ceux qui expient les péchés par leur pénitence, n’agissent-ils pas peut-être selon un principe qui est aussi logique que salutaire ? La pénitence mortifie l'Ego, elle plie la nature rebelle, elle fait réparation et expie les péchés de la personne ainsi que ceux des autres. Si donc on considère les âmes en amour avec Dieu, cherchant à ressembler au Crucifié, alors la pénitence devient un besoin d'amour. Réputées sont les pages de De Laude flagellorum par Saint Pierre Damien, le grand réformateur du XIe siècle, dont le monastère de Fonte Avellana a été caractérisé par une extrême austérité aux règles : « Je tiens à souffrir le martyre pour le Christ — a-t-il écrit — je n’ai pas la possibilité — mais en me soumettant aux coups, j'exprime au moins la volonté de mon âme ardente ». ( épître VI, 27, 416 c)
Dans l'histoire de l'Église, toute réforme est survenue pour remédier aux maux de l'âge par l'austérité et la pénitence. Aux XVIe et XVIIe siècles, l’Ordre des Minimes de Saint François de Paola a pratiqué (et l'a fait jusqu'en 1975) un vœu de carême qui leur impose non seulement l'abstention continue de viande, mais d'oeufs, de lait et de tous ses dérivés ; les Récollets, eux, consommaient leurs repas par terre, mélangeant leur nourriture avec de la cendre et ils se couchaient devant la porte du réfectoire pour être sous les pieds des religieux qui y passaient ; dans leur Constitution, les Frères appartenant à l'Ordre de Saint-Jean de Dieu « mangeaient sur le sol, embrassaient les pieds de leurs frères et se soumettaient à des réprimandes publiques et à des auto-accusations publiques ». Similaires sont les règles des Barnabites, des Scolopi, de l'Oratoire de Saint Philippe de Neri et des Théatins. Il n'y a pas d'institut religieux, comme le documente Lukas Holste, qui n'envisage pas dans leur Constitution la pratique de la confession publique entre frères plusieurs fois par semaine, le jeûne et la réduction des heures de sommeil et de repos. (Codex regularum monasticarum et canonicarum (1759) Akademische Druck und Verlaganstalt, Graz 1958).
À ces pénitences « régulières », les plus fervents religieux ajoutaient les pénitences dites « surérogatoires », laissées à leur discrétion personnelle. Saint Albert de Jérusalem, par exemple, dans la Règle écrite pour les Carmelites et confirmée par le Pape Honorius III en 1226, après avoir décrit le genre de vie dans l'Ordre et les pénitences qui lui sont liées, conclut : « S'il y a quelqu'un qui veut donner plus, le Seigneur Lui-même le récompensera quand il reviendra ».
Benoît XIV, qui était un Pape doux et équilibré a confié la préparation du Jubilé de 1750 à deux grands pénitents, Saint-Léonard de Porto Maurizio et Saint Paul de la Croix. Le Frère Diego de Florence, nous a laissé un journal de la mission qui a eu lieu sur la Piazza Navona, du 13 au 25 juillet 1759, au sujet de Saint-Léonard de Porto Maurizio qui, avec une lourde chaîne autour de son cou et une couronne d'épines sur sa tête, se fouettait lui-même en face de la foule, en criant : « Pénitence ou l'enfer ». (Saint-Léonard de Porto Maurizio, Œuvres complètes. Journal du Frère Diego, Venise, 1868, vol. V, p.249). Saint-Paul de la Croix à la fin de sa prédication s’infligeait tellement de coups violents sur lui-même que, souvent, un membre des fidèles n’était pas en mesure de supporter le spectacle et sautait sur la scène au risque d'être lui-même frappé en essayant d'arrêter son bras (Les procédures pour la Béatification de la canonisation de Saint Paul de la Croix, Postulation générale de la PP. Passionista, I, Rome 1969, p.493).
La pénitence a été pratiquée sans interruption depuis deux mille ans par les saints (canonisés ou non). Avec leur vie, ils ont contribué à l'écriture de l'histoire de l’Église ; de Sainte Jeanne France de Chantal et Sainte Veronica Giuliana, qui a gravé le monogramme du Christ sur sa poitrine avec un fer rouge à incandescence, à Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, qui a écrit le Credo avec son propre sang à la fin d'un petit livre sur les Saints Évangiles qu'elle portait toujours près de son cœur. Cette générosité ne caractérise pas seulement les moniales contemplatives.
Au 20e siècle, deux diplomates saints ont illuminé la Curie Romaine : le Cardinal Rafael Merry del Val (de 1865 à 1930), secrétaire d'État de Pie X et le Serviteur de Dieu Mgr Giuseppe Canovai (1904-1942), représentant du Saint-Siège en Argentine et au Chili. Le premier, portait un cilice entrelacé a de petits crochets en fer sous son habit rouge de Cardinal. Le second est l'auteur d'une prière écrite dans le sang ; le Cardinal Siri écrit : « Les petites chaînes, le cilice terrible, les blessures faites comme par des lames de rasoir, les cicatrices laissées par les blessures terribles ne sont pas le début, mais la fin d'un feu intérieur ; pas la cause ; mais l’éloquente et manifeste explosion de celui-ci. Ça concernait la clarté pour laquelle la pénitence en elle-même voit la valeur d’aimer Dieu en tout et, pour cela, dans l’atroce sacrifice du sang qui confirmait ainsi la sincérité de tous les autres renoncement intérieurs ». (Commémoration de la Positio pour 23 Béatification Mars 1951).
C’était dans les années 1950 que les pratiques ascétiques et spirituelles de l'Église ont commencé à décliner. Le Père Battista Janssens, Général de la Compagnie de Jésus (1946-1964), est intervenu plus d’une fois pour rappeler à ses frères l'esprit de Saint Ignace. En 1952, il leur a envoyé une lettre sur « la mortification continue » dans laquelle il s’opposait aux positions de la théologie nouvelle qui tend à exclure les réparations et leur supplia de faire pénitence. Il a écrit que les jeûnes, la flagellation, le cilice et d'autres mortifications doivent rester cachés des hommes en accord avec le précepte du Christ (Matt. 16.08 6), mais qu’ils doivent être enseignés et inculqués aux Jeunes Jésuites jusqu'à leur troisième année de probation (Dictionnaire des Instituts de perfection, vol. VII, col.472). Les formes de pénitence peuvent changer au cours des siècles, mais son esprit qui est toujours opposée à celle du monde ne doit pas être changé.
Notre-Dame en personne, à Fatima, prévoyant l'apostasie spirituelle du XXe siècle, a appelé à nouveau à la nécessité de la pénitence. La pénitence n’est rien d'autre que le rejet des fausses paroles du monde, la lutte contre les puissances des ténèbres qui affrontent les puissances angéliques pour la domination des âmes et la mortification continue de la sensualité et de l’orgueil, enracinée dans les profondeurs de notre être. C’est seulement en acceptant ce combat contre le monde, le démon et la chair (Eph. 6 : 10-12) que nous serons en mesure de comprendre l'importance de la vision dont nous célébrerons le centenaire dans un an. Les petits bergers de Fatima ont vu « à gauche de Notre-Dame et un peu plus haut, nous avons vu un Ange avec une épée de feu dans sa main gauche ; elle étincelait et émettait des flammes comme si elle voulait mettre le feu au monde ; mais ces flammes s’éteignaient en contact avec la splendeur que Notre Dame irradiait en direction de lui à sa droite : pointant la terre avec sa main droite, l'Ange cria d'une voix forte : « Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! ».
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