Capitaine François |
Quel cap prend-on ? |
Sous-titre : La Petite Vie au Vatican |
Ils sont une équipe expérimentée, les trois d'entre eux. Le chauffeur s’est à peine arrêté que déjà le garde de sécurité saisit un enfant de la foule sur la gauche et le remet au pape. Le pontife se penche au-dessus, embrasse l'enfant — et puis c’est fini.
Le tout ne prend que quelques secondes et se répète plusieurs fois durant le tour d'honneur du pape le mercredi avant que l'audience générale sur la Place Saint-Pierre ne commence. S’il peut apercevoir des groupes plus importants — des scouts, par exemple, ou des personnes en fauteuil roulant — alors le représentant du Christ sur Terre tape brièvement le conducteur de la papamobile sur l'épaule pour le faire arrêter.
Quand on l'observe de plus près, le pape François apparaît comme un homme majestueux. La soutane blanche serrée au ventre, son menton prononcé est allongé et ses yeux cherchent auprès des gens qui l'entourent. Comparé à son prédécesseur, le sourire presque surnaturel de Benoît XVI, l'Argentin apparaît comme carrément terrestre. Comme s’il n'y avait aucune distance.
Il fait des câlins et donne des petites tapes. Il embrasse les petits enfants et les cardinaux. Il fait ça sans avertissement et avec enthousiasme. C’est presque comme s’il utilisait le contact corporel pour se consoler du poids de sa fonction. Il est la personne du plus haut rang de la Foi et un modèle pour les 1,3 milliards de Catholiques à travers le monde.
Lorsque le pape François, autrement connu comme Jorge Mario Bergoglio, est entré dans la Basilique Saint-Pierre à 10 heures le dimanche de la Pentecôte pour la Sainte Messe, il avait été en fonction pendant 797 jours. Sept-cent-quatre-vingt-dix-sept jours au cours desquels il a divisé la base des catholiques entre admirateurs et critiques. À certains moments au cours desquels de plus en plus de gens commencent à se demander s’il peut être à la hauteur de ce qu'il semble avoir promis : le renouveau, la réforme et une Église catholique plus contemporaine.
François a rendu accessibles des douches pour les sans-abris installées près de la Place Saint-Pierre mais, en même temps, il a dépensé des millions en frais de consultants internationaux. Il a ramené les finances de la Banque du Vatican dans l'ordre mais a créé la confusion dans la Curie. Il a négocié entre Cuba et les États-Unis mais il effrayé les Israéliens en appelant le Président Palestinien Mahmoud Abbas un « ange de la paix ».
Ce pape est beaucoup plus énigmatique que son prédécesseur — et ça devient un problème. Jusqu'à ce jour, beaucoup de gens ont essayé de déterminer les véritables intentions de François. Si vous demandez à des cardinaux et des évêques, ou à des conseillers du pape et ses collègues, ou à des observateurs vétérans du Vatican au sujet de sa stratégie possible ces temps-ci — le plan global du Pape — ils semblent d'accord sur un point : l'homme qui est assis sur la Chaire de Pierre est un fauteur de troubles notoire.
Comme un joueur de billard qui frappe les balles et qui étudie calmement les collisions qui se forment constamment, François fait ainsi avancer les choses au Vatican. Son intérêt pour l'expérimentation peut venir de son passé comme ingénieur chimiste. Il prend des décisions comme les dirigeants Jésuites — après une consultation approfondie mais, en fin de compte, il les prend seul de lui-même.
Le principe de François vient d’un caractère d'atelier en lui : il considère que les processus des événements sont plus importants que les événements envisagés et souhaités à l’avance d’arriver. Les Catholiques traditionalistes voient les choses exactement l'inverse de Bergoglio, le Jésuite, et cela crée de la confusion jusque dans les plus hautes sphères du Vatican. Les gens veulent savoir où le pape se dirige.
L’Empire du Pape
Pour avoir une meilleure idée de l'endroit où François déclare la guerre sur le système sclérosé du Vatican, une bonne façon est de commencer en prenant l'ascenseur à partir Place San Damaso, situé dans le plus petit pays du monde. À l'étage, dans la deuxième Loggia du Palais Apostolique, la porte s’ouvre sur l'empire du pape.
Les membres de la Garde Suisse frappe de leurs talons et font la garde ici dans la semi-obscurité. Les visiteurs passent à travers des passages d'arcades décorées avec des chefs-d'œuvre des maîtres de la Renaissance tels que Raphaël et ses élèves avant d'entrer dans le cœur du pouvoir catholique — la salle Clémentine, où le pape polonais Jean-Paul II a son lit funèbre. C’est la salle qui abrite la chaise à porteurs du Pape Jean XXIII utilisée pour se déplacer et la chambre funéraire de Léon XIII.
Au milieu de toute cette pompe et patine, Bergoglio, un Argentin, semble encore bizarrement étranger à ce jour — comme un grand oiseau exotique battant des ailes dans une cage dorée. Quand il est assis à son bureau dans le Palais Apostolique, le pape — un homme qui a dédié assidûment son Église à servir les pauvres — a seulement besoin d'appuyer sur un bouton pour déclencher une sonnerie en or et convoquer un serviteur de la chambre voisine .
S’il n'y avait pas la statue récemment installée de la Vierge de Luján, patronne de l'Argentine, dans la bibliothèque du pape, tout serait comme c’était au siège de l'Église catholique quand Benoît XVI était encore en fonction. En ce lundi précédant le Mercredi des Cendres 2013, la démission de Benoît XVI engageait l’Église dans une expérience à l'issue incertaine ; il valait prier : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Dans le processus, le pape François se bat simultanément sur trois fronts : contre la prétention au pouvoir de son conseil, la Curie ; contre le faste et la pompe dans le clergé ; et pour un retour radical à l'Évangile.
Lorsque Bergoglio a annoncé le début d'une nouvelle ère le 13 Mars 2013, avec un « Bonsoir » (Buona Sera) subtil depuis le balcon de la Basilique Saint-Pierre, les choses allaient mal pour l'Église catholique. Au cours de plusieurs années passées, son image a été façonnée par des scandales impliquant la maltraitance des enfants, la corruption et le blanchiment d'argent, le vol de documents dans les appartements pontificaux et de l'intrigue à la Curie. Pour rien d'autre, les cardinaux ont choisi Bergoglio comme successeur de Ratzinger pour cette raison : l’irréprochable « Pape de la fin du monde » était censé nettoyer la boutique.
Un Pape et son Prédécesseur
Il y a une personne qui voit à l’avance et qui devrait savoir ce qui a changé : Mgr Georg Gänswein, connu sous le nom de « Don Giorgio », toujours secrétaire particulier de Ratzinger, il a aussi agi comme chef du protocole et maintenant il est la personne la plus élevée dans le Palais Apostolique sous François. Son titre : préfet de la Maison Pontificale. En tant que serviteur de deux maîtres et un homme qui navigue entre deux mondes, Gänswein est emblématique d'une situation qui n'a jamais eu lieu : un pape et son prédécesseur en tant que voisins vivant au Vatican.
Ce matin-là, Gänswein porte une soutane faite par Gammarelli, le tailleur de la cour du Vatican. Il porte des boutons de manchette brillants et une croix en or massif autour de son cou. Décrit comme le « George Clooney du Vatican » par les journalistes, il ne pense pas qu'il doive se glisser dans des vêtements de prière simplement en raison de l'enthousiasme soudain pour la modestie qui a pris racine sous François. « Non » dit Gänswein qui est ouvert au fait qu'il considère ses collègues du clergé « sans exclure » les cardinaux, d'être des lâches pour avoir échangé récemment leurs croix en or pour des croix en étain à la Porta Sant'Anna, près de l'entrée du Vatican.
Il affirme que les nombreux sujets sur lesquels les deux papes s’accordent sont perdus dans toute l'excitation à propos de François et sa mise en garde contre « la mondanité spirituelle » — ce qui signifie la dévotion au profane. « Son successeur honore maintenant ce que Benoît XVI avait demandé » Gänswein a-t-il dit. « La seule différence est que François est célébré au lieu d'être critiqué pour ses appels. »
En effet, Jorge Mario Bergoglio, le premier non-européen sur le trône papal depuis environ mille ans, est rapidement devenu un favori des Catholiques — et d'autant plus des non-croyants et des médias. Dans sa première année, François apparue sur les couvertures du Times, de Rolling Stone et d’une des plus plus importante revue pour « gay », The Advocate. Le magazine d’affaires Fortune l’a nommé le plus grand leader du monde. La revue The Economist a déliré en affirmant que François était sur le point de réinventer « la plus ancienne multinationale du monde ».
Défaire les chaînes
Près de 6 millions de fidèles ont assisté aux audiences en 2014. Selon de nombreux observateurs, cela en dit beaucoup sur le pape — François est en rupture avec la tradition et ainsi défait les chaînes. Il laisse des experts extérieurs réorganiser la Banque du Vatican qui fut bercée par des scandales. Il est en voie de réformer la Curie par le biais de cardinaux qui avaient auparavant peu à voir avec cet organe directeur. Il encourage l'Église à parler de la famille, du mariage, de la sexualité, et ne se lasse pas de plaider pour plus de compassion et de solidarité pour les pauvres et les marginalisés qu'il soit à Lampedusa ou Copacabana.
Et ce pape est politique. Il prend des positions y compris celles qui peuvent rendre mal à l'aise. Il n’esquive pas, il est impliqué. Avant de négocier un rapprochement entre Cuba et les États-Unis, il a tenu une veillée de prière de quatre heures pour la paix en Syrie. Il a scandalisé la Turquie en décrivant le génocide arménien comme tel et il a provoqué Israël en reconnaissant la Palestine comme un État indépendant.
Sans surprise, les critiques au sein de l'Église ont commencé à grogner tranquillement dans cette troisième année de pontificat, mais c’est de plus en plus perceptible. Il y a diverses raisons pour lesquelles ils se sentent mal à l'aise à propos de l'homme de Buenos Aires : son style de leadership est supposément trop autoritaire, son auto-publicité est trop sophistiquée, il n’en sait pas assez sur les questions de doctrine. Le célèbre romancier allemand Martin Mosebach affirme même ouvertement que ce pape fait sa marque « au détriment de l'Église ». Il fait valoir que François lance « des expressions bien frappées » et attire l'attention en s’ajustant avec l'air du temps mais qu'il se soucie peu de la Tradition.
À bien voir, il n’y a pas juste le côté théologique de Bergoglio qui embarrasse les gens, c’est aussi l'homme lui-même. Sa voix douce obscurcit toujours ses choix de mots et ses contradictions.
Il a accusé ses cardinaux de souffrir de l’« Alzheimer spirituel » et a averti les croyants de ne pas se reproduire comme des « lapins ». Dans le même temps, et en face de milliers d'auditeurs, il a loué un père qui tape son enfant mais jamais au visage. « Comme c’est beau ! Il connaît le sens de la dignité » a-t-il dit.
Bergoglio est un pape surprenant dans tous les sens du mot. Mais que veut-il ? A-t-il un plan pour son Église ou est-il tout simplement en train de revirer sans dessus dessous ce petit État emmuré comme le Kremlin au coeur de Rome ? Le plan de François était en fait pour une Église dont le pouvoir monterait du bas vers le haut — mais ça ressemble aussi à une déclaration implicite de guerre en particulier contre la Curie du Vatican.
D'autres attendent beaucoup du pape — mais il attend aussi beaucoup de lui-même. La lumière dans l'appartement 201 au troisième étage de la maison d'hôtes Santa Marta reste allumée jusqu’à environ 4 heures. Le quartier est encore calme à cette heure. Seulement quelques heures plus tard, peu de temps avant le début de la première messe, les choses commencent à revenir à la vie dans les ruelles et les jardins du Vatican ainsi que dans la Basilique Saint-Pierre et plus en bas dans le Campo Santo Teutonico, un bastion des résidents allemands de la Ville-État. Plus haut au Monastère Mater Ecclesiae, l’ancien pape Benoît XVI dit sa messe avec Mgr Gänswein et quatre religieuses.
François célèbre la messe en bas, dans la simple chapelle de Santa Marta où, en face de visiteurs triés sur le volet, il donne l’homélie de la journée qui sera retransmis plus tard par les médias. L'Église Catholique, soutient-il dans ses sermons, a besoin de se rapprocher de la population ; un chef spirituel doit être un berger vivant avec l'odeur de la brebis sur lui, plaît-il au pape de dire.
Il est donc logique que le pape n’apprécie pas être protégé dans le Palais Apostolique — un « entonnoir », prétend-il, qui permet l’entrée des visiteurs au « goutte à goutte » seulement — et réside plutôt dans la maison d'hôtes Santa Marta. Il a déménagé son centre de contrôle là et lui ainsi que ses employés occupent un étage entier — une idée qui a fait grimper les coûts et qui en a hérissé plus d’un. François vit cependant modestement dans un mini-appartement de trois-pièces entre les statues de la Vierge Marie, des crucifix et un coffre avec huit fragments d'os de l'Apôtre Pierre.
Si le pape va à sa fenêtre, il peut apercevoir une histoire impressionnante. Sur la gauche, dans le Palazzo San Carlo, l’ancien Cardinal du Secrétaire d'État Tarcisio Bertone, l'homme fort de l'ère Ratzinger, semble hors de sa résidence spacieuse. Le prédécesseur de Bertone, Angelo Sodano, vit dans le Collège Éthiopien. L’ancien Pape Benoît XVI vit dans un appartement sur une colline qu'il partage avec Georg Gänswein. Et il y a le Cardinal Walter Brandmüller — 86 ans, ancien historien en chef du Vatican et l'un des leaders des critiques conservateurs envers Bergoglio. Il vit juste au-dessus de la sacristie de la Basilique Saint-Pierre.
Doutes
Parfois, alors que François est encore occupé à préparer sa prière de l'Angelus du Dimanche, Brandmüller est déjà en train de faire un sermon dans le coeur de la Basilique Saint-Pierre — et dirige des questions caustiques au pape et questionne ses « stratégies de relations publiques » : « Est-ce que le fracas de l’appareil de l'Église réveille les endormis ? Est-ce qu’il apporte l'attention des masses au Message Chrétien ? »
Brandmüller n’est pas la seule personne à avoir ses doutes. Pendant ce temps, François travaille sans relâche comme quelqu'un qui n'a pas beaucoup de temps pour mettre en œuvre son plan. Après la messe du matin il mange son petit déjeuner avec les fidèles. Puis, le matin, il fait son chemin à travers des réunions administratives avec Gänswein dans le palais et, après une courte pause de l'après-midi, il se consacre à la partie véritablement révolutionnaire de sa routine quotidienne : ses rencontres confidentielles et officieuses avec le public qu’il organise en contournant la Curie, en utilisant lui-même son téléphone, son stylo et du papier.
En ces heures, les portes des appartements papaux sont ouvertes : pour les victimes d'abus, les transsexuels, les agnostiques admis, les confidents et les évêques de longue date dans le cadre d’une visite obligatoire au Vatican, que le pape invite « au coin du feu » comme il appelle ces discussions partagées. Ce n’est pas tout qui est discuté là qui reste secret — grâce aux membres les plus bavards de ces rencontres, les pensées de François à propos de ci ou de ça émergent au Vatican.
Les critiques soutiennent qu’un pape devrait avoir le dernier mot et que nous ne devrions pas prononcer la première chose qui vient à l'esprit. Jaser ne fait pas partie de son travail. Ses supporters sont contre cet avis : François est à la recherche du dialogue et cet état de fait parle déjà en sa faveur.
Le meilleur symbole du nouveau style au Vatican n’est pas la renonciation aux chaussures rouges ni à la mozette bordée d'hermine mais plutôt le renoncement à des directives strictes en général. Soudainement, les rencontres entre les membres de haut rang de la Curie qui étaient autrefois cédulées régulièrement n’ont plus lieu. Les mardis matin, François ne fait plus de sermon à l’audience générale publique ; il fait plutôt ce qu'il a envie de faire. En Albanie, son discours préparé et déjà traduit a été interrompu lorsque deux victimes du stalinisme se sont déplacées émouvant le pape aux larmes.
Chaque fois que François devient informel, le service de presse du Vatican se prépare pour le pire. Ce pape tient tout le monde sur la pointe des pieds, dit un membre haut placé de la Curie : « Avec lui, vous pouvez simplement imaginer la vente de la Pietà de Michel-Ange et qu’il donne l'argent aux pauvres. »
Quand il est pressé, Bergoglio décroche le téléphone lui-même. « Je trouve cette façon simple de faire les choses très positive » dit le puissant cardinal Kurt Koch de la Curie Suisse dans sa salle de réception. Koch est le président du Conseil Pontifical pour la Promotion de l'Unité des Chrétiens et membre de cinq congrégations. Il a été aussi considéré comme un pape candidat ou « papabile » avant le Conclave 2013.
« François a un objectif clair »
L'ancien humble évêque de Bâle qui porte une croix en argent autour de son cou se réunit régulièrement avec son patron pour un repas ou un verre de vin. « Je crois bien, Koch dit, que François a un objectif clair qui est que l'Église doit devenir plus missionnaire et pas tournée sur elle-même. » Mais on peut se demander, raisonne-t-il, combien ce pape peut finalement changer : « Il y a beaucoup d'excitation autour de lui, mais comme on peut certainement voir dans le nombre de personnes qui quittent l'Église dans de plusieurs pays, vous ne pouvez vraiment pas détecter un effet François. »
Le pape peut remplir les places avec ses sermons mais pas les églises ni les prêtres des séminaires du moins pas en Europe. Ce n’est pas encore clair ce qu'il défend — sauf pour une église qui est à la recherche de son troupeau en marge de la société. Un ordre du jour plus décisif devrait être fixé par le Synode des Évêques en octobre. À ce moment, une discussion aura lieu à propos de l'avenir de la famille, des positions envers les homosexuels et de la question à savoir si les personnes divorcées/remariées seront autorisées à recevoir la Communion. Une seule question est au cœur de la querelle qui fait rage à propos de la direction de l'Église : au 21e siècle, qui a besoin d’aller vers qui — l'homme moderne vers l'Église catholique avec toutes ses obligations et interdictions blindées ? Ou bien est-ce l'Église vers les peuples et les diverses formes de partenariat moderne d'aujourd'hui ?
Dans le palais du Saint-Office à l’intérieur duquel Galilée a été emprisonné une fois, le cardinal Müller, la tête de la Congrégation de la Doctrine de la Foi, représente le point de vue immuable : nommément les fondamentaux de la Foi — ceux fixés par écrit et par tradition dans les dogmes, les encycliques et les écrits papaux — ne doivent pas être ébranlés. Dans une récente interview pour un journal catholique polonais, Müller a averti que même des membres du clergé de haut rang se sont permis d’être tellement « éblouis par la société laïque » qu’ils ont perdu de vue les enseignements importants de l'Église.
La devise de François, au contraire, est « La réalité est au-dessus de l'idée. » Au lieu de se retirer au nom des purs enseignements, il prétend qu'il vaut mieux « se laisser surprendre par le Saint-Esprit. »
Cependant, quand on en vient à la Doctrine, François a lui-même montré être un partisan de la famille traditionnelle. Il dit qu'il n'a pas intérêt à constamment « aborder l'avortement, le mariage homosexuel gay, la contraception ». Mais il sait aussi que ça ne suffira pas de critiquer le différend comme étant une opposition entre une « torpeur hostile » d’un côté et des « bons samaritains destructeurs » de l’autre, comme il a vécu dans le passé.
Dans son traité programmatique « Evangelii gaudium » de novembre 2013, François a souligné la joie à proclamer l'Évangile dans le cadre d’une adhésion sans compromis aux enseignements. C’est une approche qui stimule les simples pratiquants et les observateurs lointains de l'Église en particulier mais moins les dignitaires et les fiduciaires de l'Église catholique.
Pour d'autres, en particulier les Allemands, le pape est toujours une déception : trop conservateur pour les progressistes et trop évasif pour les conservateurs.
Dans le « Gaudium Evangelii » François a écrit qu'il « ne croyait pas qu’on devrait s’attendre à ce que le magistère pontifical puisse offrir une parole complète ou définitive sur chaque question qui affecte l'Église et le monde. » D'autre part, il a mis en garde les prêtres de ne pas parler d’abstinence sexuelle 10 fois de suite et de seulement s’en tenir à deux ou trois fois sur l'amour. Et encore et encore, il a souligné la dignité de l'homme et le droit de travailler. Un système qui exclut plusieurs de salaires et de pain, a-t-il écrit, est inacceptable : « Une telle économie tue. »
Le pape latino-américain
Son choix de mots révèle que l'homme de la Chaire de Saint Pierre a moins d'expérience avec l'économie sociale de style occidental et les encycliques sociales de l'Église catholique qu’il en a avec les quartiers pauvres d'Amérique Latine. Quand il a été élu pape, Bergoglio avait 76 ans — et avait déjà passé presque toute sa vie en Argentine. Cela pourrait mieux expliquer pourquoi ce pape est si différent.
« Jorge, ne change pas. » Bergoglio a dit à sa biographe Elisabetta Pique qu'il avait fait cette résolution juste après son élection à Rome. Il a pris en considération qu’il y avait un danger de répéter les « erreurs du passé » dans son nouveau poste. Mais un homme de son âge se fait ridiculiser, a-t-il soutenu, s’il essaie de se réinventer. À Rome, par conséquent, il agit maintenant selon un modèle qui nous ramène à son temps en Argentine : le Principe François.
Bergoglio lui-même affirme que même quand il était un Supérieur Provincial des Jésuites, il avait pris des « décisions de manière très abrupte et personnelle ». À l'époque, à l'âge de 36 ans, il avait été nommé le Jésuite de plus haut rang dans le pays. En tant que prêtre jésuite, Carlos Carranza a déclaré pour fins de mémoire que les règles strictes de Bergoglio signifiaient que, malgré sa mission altruiste « lui et sa façon de diriger la province jésuite », il a rencontré de l'hostilité.
Il a été documenté qu’en 1986 dans une période de « grande crise intérieure », comme le décrit Bergoglio, il a été transféré pour des raisons disciplinaires à la ville de Cordoba. Les raisons exactes sont restées secrètes. Un autre témoin de la période a déclaré que certains moines jésuites considéraient Bergoglio comme fou. Même son courrier et son téléphone ont été surveillés.
Sa réputation d'être pieux, d’être mal à l'aise et d’être impénétrable est restée quand il est devenu le recteur d'une université théologique et l'Archevêque de Buenos Aires. Le lauréat du Prix Nobel argentin Pérez Esquivel a supplié publiquement l'Esprit Saint que l’« ambigu » et le difficile-à-reconnaître politiquement Bergoglio ne devienne pas pape. Huit ans plus tard, c’est arrivé de toute façon.
« Créer de la Confusion »
Depuis lors, Bergoglio a continué à suivre son vieux principe : « Hagamos lio » — « créer de la confusion » — et veut croire que le processus qu'il met en mouvement va stimuler des changements positifs. « Lui-même ne sait pas où ça va conduire, il a confiance en l'Esprit Saint » soupçonne Federico Lombardi, porte-parole du Vatican. Pour François, prétend-il, ce qui compte c’est une « Église en mouvement ».
Le cardinal Raymond Burke, conservateur américain, jusqu’à tout récemment à la tête du plus Haut Tribunal de l’Église (Signature Apostolique), a été témoin de ce mouvement de première main. Une semaine après que Burke ait critiqué l’Église de Bergoglio comme étant un « navire sans gouvernail » dans une interview, François l'a muté dans un poste chez l'Ordre des Chevaliers de Saint-Jean. Quand c’est devenu connu et que peu après le commandant de la Garde Suisse a été remercié avec promptitude, les initiés du Vatican ont réagi avec indignation : « Ceci est pire que dans l'État Islamique » l'un d'eux aurait dit.
Le ménage dans le Vatican est loin d'être terminé — la réforme fondamentale de la Curie est toujours en cours. Un comité — qui comprend le cardinal allemand Reinhard Max, Archevêque de Munich et Freising — envisage des suggestions. Aux yeux de François, lui et les huit autres membres partagent un principal avantage : ils sont étrangers, ils connaissent à peine la Curie et agissent comme des envahisseurs étrangers perturbant le système immunitaire de la cour.
Les opinions de François au sujet de la Curie sont devenues claires le 22 décembre dernier. Une tempête s’est déclenchée à la Salle Clémentine se vidant de dizaines de cardinaux calottés et de soie moirée vêtus ainsi que des évêques se recroquevillant derrière eux. Dans toute entreprise normale, c’aurait été considéré comme un vote de non-confiance contre les dirigeants.
Pas ainsi au Vatican où François s’est d’abord plaint de la « pétrification spirituelle » et de la « schizophrénie existentielle » à la Curie — il a ensuite fait un tour en souriant et a reçu de loyales adresses disciplinaires. Et ce, en provenance de tous ceux qui ont voté pour lui en 2013 au Conclave de sorte qu’il peut mettre maintenant de l'ordre avec une main forte.
Dans le même temps, le murmure de colère dans l'Église a grandi. Même des collègues de la Curie de rang inférieur se plaignent d'un manque de sensibilité — en particulier envers les bas salariés du Vatican, qui ont eu leurs heures supplémentaires coupées et ce, par un pape qui sermonne à propos de la charité. Ils doivent maintenant survivre sur les salaires de l'ordre de € 1,000 ($ 1,094) par mois.
Les experts de sociétés de conseil de renom — comme KPMG, Deloitte & Touch ou Ernst & Young — que François a introduit, font un même montant d’argent en quelques heures. Ils vérifient les livres de l'Institut pour les Œuvres de Religion (IOR) qui est la banque du Vatican ou élaborent les plans économiques du Saint-Siège — avec succès. Les finances et les propriétés du Vatican qui sont estimées à une valeur de plusieurs milliards d'euros, ne sont plus sous la loupe du public et de ses vérificateurs.
Ni conservateur, ni progressiste
Mais l'approche radicale de François n’est pas appréciée par tous les Catholiques. Un clerc allemand affirme que les transgressions sexuelles des individus dans le passé ne justifient aucunement la façon dont le pape actuel invective son personnel. «Tout arbre peut produire des fruits pourris, mais cela signifie-t-il que vous ameniez automatiquement la hache au tronc ? » demande-t-il.
« François est non seulement un homme très libre, il est un volcan bouillonnant » dit le prêtre jésuite sicilien Antonio Spadaro, rédacteur en chef du journal jésuite Civiltà Cattolica — ce qui a été considéré comme l'organe central officieux du Vatican depuis François a été élu .
Spadaro a dirigé la première entrevue avec Bergoglio après son élection en tant que pape en 2013. Même alors, Spadaro dit dans son bureau, vous pouviez reconnaître que cet homme était « plus un berger qu’un idéologue », qu'il était « plein d'idées » mais néanmoins réaliste quand ça en venait à ce qu'il pouvait être possible d’atteindre. « Je ne crois pas que François s’attende sérieusement à être capable de compléter les processus qu'il a initiés » dit-il.
L'éditeur affirme que la question de savoir où orienter l'Église n’est pas la priorité absolue du pape. « Il est très possible que lui-même ne le sache même pas » a-t-il ajouté, en disant qu'un homme comme François ne peut pas facilement être enfermé dans les modèles établis de pensée. « Il est ni conservateur ni progressiste, il n’est pas un idéologue — il est davantage radical dans son sens littéral — une personne à la recherche de racines » a aussi dit Spadaro, avec un sourire, que la tendance de l'Argentin, comme celle de tous les Jésuites, à « penser dans une logique de processus avec un esprit ouvert » qui le fait apparaître comme erratique, mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. « Le Seigneur Dieu est imprévisible » dit-il.
François est libéré de la peur et il est curieux. « Le berger qui se verrouille n’est pas un vrai pasteur pour ses brebis, mais juste un « salon de coiffure pour les brebis, mettant leurs bigoudis au lieu de sortir pour chercher les autres » a dit François. Voilà pourquoi il a un chauffeur pour le conduire en dehors du Vatican dans la Rome civile dans un modeste Ford Focus. La première fois qu'il est allé visiter la Curie Jésuite, il a appelé sur son propre téléphone et s’est annoncé lui-même et en disant qu'il passait faire un petit coucou. Le réceptionniste à l'autre bout de la ligne a demandé : « Avec qui je parle ? » François a répondu : « Le Pape ». L'homme dit à son tour : « Ouais, et moi je suis Napoléon » avant de raccrocher.
Le mot s’est passé depuis à savoir que François vaque ici et là. Après des voyages à l'étranger, il se met à genoux pour prier à la Basilique de Santa Maria Maggiore à Rome et il visite les prisons dans ses temps libres. Il a aussi déjà fait trois visites à une soupe populaire dirigée par les Jésuites dans la ville.
Une partie de maison
Les Jésuites et leurs possessions à Rome ont une partie de maison pour Bergoglio, qui n’est pas friand de voyager et qui en a fait aussi peu que possible de toute sa vie. En plus des Jésuites, le pape est entouré par des confidents de longue date qui lui donnent le sentiment d'être à la maison.
Ça comprend son secrétaire, Fabian Pedacchio de Buenos Aires, qui vit sur le même étage que François. Et Mgr Víctor Manuel Fernández, recteur de l'Université catholique pontificale à Buenos Aires qui est considéré comme un progressiste sur les questions morales, qui sert de conseiller important à François et qui va à lui rendre visite au Vatican sur une base régulière.
Un autre ami de François, c’est Oscar Rodriguez Maradiaga, Archevêque du Honduras, connu pour ses critiques du capitalisme et qui coordonne le Conseil des Neuf Cardinaux Experts. Pendant ce temps, le Jésuite argentin Miguel Molina Yáñez a été nommé à la tête de la Commission pour la sauvegarde des mineurs qui a été mise en place pour lutter contre la pédophilie dans l'Église. Molina est un confident de François depuis 40 ans. Enfin, l’évêque brésilien Erwin Kräutler a été un contributeur majeur à l'encyclique du pape sur le thème de l'écologie, qui sera publié bientôt.
Le poids de l'aile de l'Amérique latine dans l'Église est en croissance au Vatican. Quand il en vient à des questions telles que le mariage et la famille, cette branche a à mettre au point différentes priorités que celles de l'Europe, ce que François a reconnu très tôt. Pendant longtemps, les branches américaines et européenes de l'Église ont été dominantes au Vatican mais leur puissance s’est érodée sous François. Ce n’est pas sans logique non plus du fait que plus de la moitié des 1,3 milliards de Catholiques de la planète vivent dans l'hémisphère sud. François en a tenu compte et a rendu l'Église plus internationale. En février dernier, pour la première fois dans l'histoire du Vatican, l'Église a nommé des cardinaux au Myanmar et au Royaume des Tonga.
En Allemagne, l'Église catholique poursuit son déclin, perdant des membres à chaque année. Est-ce à dire que François a moins de réponses aux questions de foi du monde occidental comme son prédécesseur avait ? Mgr Gänswein fait un effort pour ne pas apparaître comme partisan sur cette question. François dit qu'il fait un bon travail de communication dans les médias et qu'il a un « septième sens » médiatique. Il dit que le pape est talentueux quand il en vient à atteindre des gens dans « les cœurs et les esprits ». Mais, après les manchettes des dernières années au sujet de la maltraitance des enfants et du blanchiment d’argent, même cela ne suffit pas à rendre tout d'un coup l'Église de nouveau attractive.
Lui-même, Gänswein, ne croit pas que le charisme d'un homme seul peut favoriser un changement dans la pensée de l'Église tout entière. Il déplore la soumission que nombre de ses collègues ont démontrée envers ce modeste pape. « Plusieurs ne s’opposent plus dorénavant parce qu’ils ont une conscience coupable » dit-il.
Connecté par le destin
Maintenant Gänswein doit aller — du nouveau pape à l'ancien pape. Il faut sept minutes à pied et une randonnée de 30 mètres en dénivelé à travers les jardins du Vatican pour atteindre le Monastère Mater Ecclesiae.
À la place de Ratzinger, il y a encore un régime strict. Le déjeuner avec les moniales à 13h30 qui est suivi par une promenade et une sieste. Ensuite, Gänswein revient travailler avec le nouveau pape. Plus tard, il retourne à l'ancien pape pour le dîner à 19h30 où, bien sûr, François est un sujet de discussion. « Je ne sais pas ce que Benoît XVI pense des décisions personnelles ou des sermons » dit Gänswein. « Nous discutons de cela d'une manière très réservée. »
A l'exception de Gänswein, qui avait été au courant du plan de Benoît XVI de démissionner, personne n'a eu aucun indice au début de l'année 2013 qu’un jour il serait possible que deux papes se croiseraient à l'intérieur des murs du Vatican. Les deux ont été reliés par le sort depuis — ou, à tout le moins, depuis le jour de mars en 2013 lorsque François est retourné par hélicoptère sortant d'une rencontre avec Benoît XVI à Castel Gandolfo avec une grande boîte dans ses bagages. Il contenait le rapport d'enquête sur Vatileaks — des documents sur la corruption et la mauvaise gestion entourant le Vatican, regorgeant de machinations et de saunas gays. Depuis lors, l'héritage de l'ancien pape a été un fardeau pour François.
Benoît XVI et François se rencontrent de temps à autre, mangeant ensemble ou échangeant des idées. Ils s’appellent l’un l’autre par téléphone et par échange de lettres. Les rapports sur les différences entre les deux sont officiellement niés. Publiquement, le pape ne parle que positivement de son prédécesseur. Il dit voir en Benoît XVI « un grand-père sage à la maison ».
Pourtant, des rumeurs sur Ratzinger qui aurait un rôle papal adjoint et qui ferait des interventions théologiques au bon moment persistent. « C’est tout inventé » dit Gänswein. « C’est propagé par des parties intéressées ». D'autres au sein du Vatican disent que les différences entre les papes sont beaucoup moins importantes qu’elles peuvent sembler l’être de l'extérieur.
Source : écrit par Walter Mayr,Siegel ONLINE
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