Le Pape François fait des gestes alors qu'il prononce son discours lors de son audience générale dans la Salle Paul VI au Vatican le 28 février. (Photo CNS / Paul Haring)
Écrit par Dr. Samuel Gregg, chroniqueur
Le Dr Samuel Gregg est directeur de la recherche à l'Institut Acton. Il a écrit et parlé longuement sur des questions d'économie politique, d'histoire économique, d'éthique en finance et de théorie du droit naturel. Il est l'auteur de nombreux livres, dont Becoming Europe (2013) et Pour Dieu et le profit : Comment les banques et la finance peuvent servir le bien commun (2016).
Le 2 mars 2018
SOURCE : Catholic World Report
Le journaliste vétéran Phil Lawler pose des questions difficiles dans son livre Lost Shepherd [ Le Berger perdu ] au sujet de l'endroit où le Pape François dirige — ou non — l'Église Catholique.
De tous les livres écrits sur la crise des abus sexuels qui a secoué l'Église Catholique en Amérique en 2002, l'un des plus approfondis était The Faithful Departed. [ Les fidèles défunts ] rédigé par le journaliste et diplômé de Harvard Philip F. Lawler, son analyse de l'épicentre de la crise, l'Archidiocèse de Boston, raconte comment des décennies d’intimité avec les politiciens Démocrates, un échec face à la malversation sexuelle répandue parmi les prêtres, une déférence obséquieuse envers la psychologie laïque, la prolifération de la dissidence théologique envers l'éthique sexuelle Catholique ainsi que la plupart des maladies ecclésiastiques — le bon vieux cléricalisme à l'ancienne — ont créé la tempête parfaite dont certains croient que le Catholicisme Américain est encore en voie de guérison.
Le pouvoir du récit de Lawler a découlé de son ton calme, d'une attention méticuleuse aux faits, d'un refus d'exagérer ou de minimiser comment les mauvaises choses furent, d'une connaissance approfondie de l'enseignement et de l'histoire Catholiques et d'un amour évident pour l'Église. Toutes ces aptitudes et inclinations ont été mises à profit dans le dernier livre de Lawler qui traite d'une autre crise Catholique : celle qu'il croit être générée par le sommet.
Le titre de l'analyse de Lawler sur le Pontificat de Jorge Bergoglio, Lost Shepherd: How Pope Francis is Misleading His Flock[ Le Berger perdu : comment le Pape François égare son troupeau ] est un peu trompeur. Car Lawler ne croit pas que François est « perdu » dans le sens de ne pas savoir où aller. L'argument de Lawler est que le Pape — et plus encore certains de ses plus proches conseillers — veut prendre l'Église Catholique dans une direction qui ressemble plutôt à celle d'une autre dénomination Chrétienne libérale : ce qui est indiscutablement une voie vers une absence de pertinence.
Comme dans son travail précédent, Lawler n'embellit pas les faits. En effet, il n'y a rien en termes de faits dans le texte de Lawler qui n'est pas déjà connu. L'objectif de Lawler est d'aider ses lecteurs à comprendre la Papauté de François et ce que cela pourrait signifier pour l'Église Catholique à long terme.
Lawler commence en déclarant qu'il, comme des millions d'autres Catholiques, prie pour le Pape tous les jours. Il mentionne aussi que, comme des millions d'autres Catholiques, il était d'abord plein d'optimisme quant au Pontificat de François. Il était grand temps que le Successeur de Pierre vienne d'ailleurs que de la friche sans foi qui constitue la majeure partie du cocon de l'Europe Catholique d'aujourd'hui. Et qui est meilleur qu'un étranger du Vatican pour venir nettoyer les écuries d'Augias des affaires financières du Saint-Siège ?
Mais au fil du temps, raconte Lawler, il est devenu désillusionné avec François. Comme la plupart des Catholiques, il voulait attribuer les meilleures intentions au Pape. Mais comme un étrange incident s'accumulait sur un autre incident étrange et qu'une déclaration incohérente en suivait une autre, Lawler trouva qu'il y avait des aspects du Pontificat de François qu'il ne pouvait pas rejeter comme le genre d'erreurs qu'un Pape pouvait commettre. Au contraire, Lawler les considère comme symptomatiques de ce qu'il décrit comme une personnalité quelque peu erratique et parfois autoritaire : un personnage qui va souvent de pair avec les tendances cléricales que François dénonce régulièrement et avec raison.
Ce n'est que l'une des contradictions que Lawler présente comme caractérisant le Pontificat de François. Comme il le voit, François est plein de contradictions.
Lors de sa visite en Amérique en 2015, par exemple, Lawler note que le Pape a parlé aux Évêques Américains de l'importance du clergé en évitant les termes durs. Mais, selon Lawler, le Pape a visiblement omis de suivre son propre conseil.
François a, écrit Lawler, l'habitude d'insulter publiquement des groupes indéterminés de gens qui l'importunent : les « rigides », les « vrais déprimants », les « prêtres idolâtres mielleux », les « Pharisiens », les « docteurs de la loi », etc. L'utilisation de ces deux dernières expressions, souligne M. Lawler, a finalement attiré les critiques du survivant de l'Holocauste, le regretté Rabbin Giuseppe Laras. Sans accuser François d'antisémitisme ( car ce serait faux ), Laras a reproché au Pape de ne pas saisir les associations antisémites historiques de ces mots. Le plus infâme, commente Lawler, François a « accusé des journalistes qui rapportent des conflits et des scandales de coprophilie ». Pour les non-initiés, la coprophilie dénote un intérêt sexuel pour les matières fécales.
Autrement dit, loin de parler doucement et avec amour, François fait régulièrement référence à des gens qu'il n'aimait apparemment pas comme il a pu aimer Hugo Chavez et le regretté Juan Peron : des populistes Latino-Américains qui avaient le goût de la démagogie qui ont non seulement conduit les économies de leurs pays respectifs à terre, mais qui ont aussi complètement corrompu les institutions politiques de leurs nations.
François est à peine le premier Pape « salé ». Le point de vue plus général de Lawler est que les invectives verbales de François suggèrent que, malgré toute son insistance sur le dialogue, le Pape n'est pas vraiment intéressé à écouter les critiques et peut-être même les renâcle. Cela inclut les désaccords calmes, mesurés de ceux qui ne sont pas intéressés à confiner l'Église dans une cage baroque et qui ne peuvent pas être accusés d'avoir des mentalités légalistes.
Une autre contradiction que Lawler souligne comme distinctive de cette Papauté concerne la gestion. Rares sont ceux qui remettraient en question le fait que, lorsque François fut élu Pape, une partie de son mandat consistait à réformer la Curie Romaine. Une attente importante de ce Pontificat était qu'il mettrait fin au carriérisme effréné des clercs et de leurs amis laïques, au népotisme qui fournit aux parents Italiens autrement inemployables des emplois peu exigeants, et à la corruption financière directe qui a produit un flot de scandales dans le Saint-Siège depuis les années 1970.
Et pourtant, affirme Lawler, cinq ans après le début du processus de réforme, les progrès ont été glaciaux. En fait, Lawler indique que Benoît XVI a réalisé davantage en matière de réforme des finances et de rationalisation des processus pour faire face aux abus sexuels cléricaux. De plus, Lawler démontre qu'il y a eu beaucoup de progrès à coups de deux pas en avant et d’un pas et demi en arrière dans les changements organisationnels avancés dans le Pontificat de François. Par autorité papale, les responsabilités sont données à des organismes particuliers. Puis, par décret papal, ces responsabilités sont soudainement modifiées, réduites ou transformées en bailliages pour quelqu'un d'autre.
Tout spécialiste en gestion vous dira que ce modèle reflète souvent un dysfonctionnement au sommet. Parfois, une décision aussi erratique reflète une personnalité agitée ou quelqu'un qui est susceptible d'être manipulé par ceux qui désirent rétablir le statu quo, ou qui ne maîtrise pas les détails, ou qui n'écoute pas ceux qui en possèdent la connaissance. Quoi qu'il en soit, Lawler a sûrement raison de dire que, jusqu'à présent, le mandat du Pape de « réparer la Curie » reste malheureusement insatisfait.
En fin de compte, cependant, la responsabilité première d'un Pape n'est pas la gestion. Comme Pierre, un Pape est appelé à sortir et à évangéliser le monde dans ce que l'Église enseigne est la Vérité libératrice révélée en Jésus de Nazareth. Une autre charge papale est de confirmer ce que l'Église a toujours cru être le contenu et la signification de cette Vérité.
Nous arrivons ici au coeur des préoccupations de Lawler. Le Pape François n'a pas, a-t-il bien précisé, prêché l'hérésie. Mais selon Lawler, le Pape essaie, par l'intermédiaire de son Exhortation Amoris Laetitia de 2016, par ses silences révélateurs, par ses déclarations obscures, etc., de recouvrir certains aspects de la Doctrine de l'Église dans l'ambiguïté. Comme l'un des nombreux exemples du caractère évasif du Pape dans ce domaine, Lawler cite la protestation étrange de François qu'il ne pouvait pas se rappeler la note de bas de page controversée autour de laquelle une grande partie du débat Amoris Laetitia a été centrée. Cela, écrit Lawler, « met la crédulité à l'épreuve ».
La thèse de Lawler est que le Pape ne veut pas contredire un enseignement Catholique fermement établi sur l'accès aux Sacrements. Cela, après tout, compromettrait l'intégrité de l'enseignement magistériel. Il est cependant prêt à permettre la prolifération de pratiques pastorales qui, selon Lawler, ne peuvent pas être conciliées avec ce même enseignement magistériel.
Accompagnant l'apparente réticence du Pape à répondre directement et clairement à des questions raisonnables sur ce que l'Église considère comme vrai sur certaines questions de Foi et de morale, Lawler voit encore une autre contradiction. Selon Lawler, François et certains de ses proches n'ont aucune hésitation à parler fort, directement et, oserai-je le dire, même sur des sujets dont ils n'ont, à proprement parler, aucune expertise particulière et que les Catholiques sont généralement libres d'être en désaccord à l’intérieur des grands paramètres de l'enseignement de l'Église.
Ce que j'appellerai le « nouveau cléricalisme » est illustré par un incident détaillé par Lawler. Dans un discours prononcé en mars 2017, le Pape François a réprimandé les dirigeants d'une société Italienne qui avaient récemment annoncé leur intention de réduire leurs effectifs et de restructurer leurs opérations. « Celui qui ferme les usines et ferme les entreprises à la suite d’opérations économiques et de négociations peu claires » a déclaré le Pape, « privant les hommes et les femmes du travail, commet un très grave péché ».
Ce que le Pape entendait par « opérations économiques et négociations peu claires » est incertain. Mais, commente Lawler, François pense-t-il vraiment que les entreprises devraient continuer à fonctionner « même quand elles perdent de l'argent jusqu'à ce que la société tombe en faillite — et que les employés perdent leurs postes de toute façon ? »
À cela, on pourrait ajouter : comment le Pape a-t-il pu connaître tous les éléments spécifiques pris en compte dans la décision d'une entreprise particulière pour réorganiser ses affaires ? Peut-être que le refus des syndicats de s'engager dans des négociations de bonne foi a contribué à la décision de l'entreprise ? Ou peut-être que des réglementations supplémentaires et des taxes sur les sociétés prélevées par l'une des coalitions de gauche qui contrôlent actuellement la plupart des gouvernements régionaux Italiens rendent certaines opérations dans certaines parties de l'Italie économiquement irréalisables ?
Le point, bien sûr, est que le Pape n'avait pas à parler publiquement d'un sujet aussi précis dont il ne pouvait pas en savoir beaucoup, sinon aucun des détails. Et même alors, sa responsabilité — et la vocation principale de tout Évêque ou prêtre dans de telles situations — serait de rappeler à tous les participants d'une entreprise ( propriétaires, directeurs, employés, actionnaires, etc. ) des principes de l'enseignement social Catholique. Il incombe donc principalement aux laïcs — et non aux clercs — d'appliquer ces principes dans le contexte d'une entreprise ou d'une compagnie en particulier.
On pourrait en dire davantage sur d'autres contradictions que Lawler considère comme imprégnant le Pontificat de François. Mais certaines des questions qui me traversaient l'esprit en lisant l'analyse de Lawler étaient les suivantes :
Pourquoi — à cause de l'effondrement indéniable de toutes les confessions Chrétiennes qui se sont asservies au zeitgeist [ l'esprit du temps ] libéral et se sont transformées en simples ONG [ Organisations non gouvernementales ] — quelqu'un pourrait-il penser qu'il y a quelque chose à apprendre, disons, du Catholicisme Allemand contemporain ( la quintessence du Catholicisme en tant qu’une autre ONG progressiste ), sauf ce qu’il ne faut pas faire si vous voulez répandre l'Évangile ? Qui, dans leur bon sens, croit que réduire la moralité Chrétienne à un « idéal » encouragera les gens à embrasser sans réserve et avec joie ce que le Christ lui-même a appelé la voie étroite qui mène à la Vie ? Et comment quelqu'un peut-il ignorer ces réalités ?
Ce ne sont là que quelques-uns des mystères soulignés par le texte de Lawler. Mais l'une des forces de son livre est qu'il essaie, à chaque instant, de donner à François le bénéfice du doute. En plus d'éviter l'hyperbole, la polémique et les théories plus bizarres sur François qui peuplent certains des avant-postes les plus étranges d'Internet, Lawler distingue prudemment les paroles, les actions du Pape et les déclarations outrageusement plus scandaleuses de certains personnages bavards qui l'entourent.
Cette approche judicieuse ne sauvera pas Lawler du barrage des insultes, des insultes frénétiques, des tweets colériques, des théories du complot et des arguments flasques sans logique qui, hélas, nous en sommes venus à attendre de certains des défenseurs de François. Voilà, semble-t-il, comment ils fonctionnent. Mais de la même manière que le livre The Faithful Departed de Lawler a fait valoir son point de vue avec soin et sans exagération, Lost Shepherd résume parfaitement et charitablement les réserves de nombreux fidèles Catholiques au sujet du Pontificat de François.
Et si jamais quelqu'un à Rome écoute, c’est alors un sujet tout à fait différent en soi.
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