Par Dr Maike Hickson
Le 9 janvier 2017
SOURCE : One Peter Five
Le Cardinal Gerhard Müller, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF), vient de faire des commentaires qui semblent critiquer les Quatre Cardinaux et la publication de leurs dubia. L'ami intime du Pape, le journaliste Andrea Tornielli, a immédiatement repris ces paroles et en a publié un rapport dans la publication Italienne La Stampa, Vatican Insider.
Lors d'une interview accordée à la chaîne de télévision Italienne TGCOM24 le 8 janvier, le Cardinal Müller a même dit avoir été surpris de voir la lettre publiée par les Quatre Cardinaux au Pape — contenant les dubia concernant Amoris Laetitia. « Je n'aime pas ça » a-t-il ajouté. Aux yeux de Müller, il n'est pas du tout approprié « d'obliger presque le Pape à répondre par « oui » ou par « non » à l'égard des dubia d'autant plus que « il n'y a pas de danger pour la foi » d’avoir à en appeler justement à une telle correction fraternelle. Ainsi, une telle correction du Pape « lui semble bien loin » selon le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine. Il juge également regrettable que ces questions soient maintenant discutées « publiquement » ».
Aux yeux du Cardinal Allemand, « Amoris Laetitia est très clair dans sa Doctrine et, dans ce document, nous pouvons interpréter [sic] toute la Doctrine de Jésus sur le mariage, toute la Doctrine de l'Église sur 2000 ans d'histoire ». De plus, pour le Pape François, il s'agit « de discerner la situation de ceux qui vivent dans des unions irrégulières » et donc de les aider à « trouver une nouvelle intégration dans l'Église selon les conditions des Sacrements et selon le message Chrétien sur le mariage ». Le Cardinal Müller ajoute qu'il « ne voit aucune contradiction : d'un côté, nous avons la Doctrine claire sur le mariage, d'autre part l'obligation de l'Église d'aider les personnes en difficultés ».
Cette nouvelle entrevue pourrait aisément être interprétée comme une réprimande des Quatre Cardinaux et de leur acte sans doute courageux de publier leurs propres objections sérieuses sur certains aspects d'Amoris Laetitia. De plus, le Cardinal Müller nie ici que l'enseignement de l'Église sur le mariage ait été altéré de quelque manière que ce soit par l'Exhortation post-synodale récente du Pape. Il se met donc en opposition avec beaucoup de Cardinaux et d'Évêques bien respectés qui ont effectivement vu de graves problèmes dans Amoris Laetitia. La position de Müller semble aussi contourner le fait qu'Amoris Laetitia a déjà encouragé plusieurs déclarations épiscopales marquées par une certaine permissivité et un laxisme moral plus ouvert comme à Rome, en Argentine et en Allemagne.
Le 16 décembre 2016, et de manière tout aussi optimiste, le Cardinal Müller a récemment donné une autre interview au journal régional Allemand Passauer Neue Presse dans lequel il avait dit qu'Amoris Laetitia se contentait de traiter le problème très particulier des couples « remariés » qui sont convaincus — mais qui ne peuvent pas le prouver dans les tribunaux ecclésiaux — qu'un mariage préalablement promis ou contracté avait été invalide dès son origine. Voici la question cruciale posée dans cet entretien et ensuite la réponse de Müller :
Question : Le Pape François a précisé que la question de la Sainte Communion pour les divorcés remariés doit être décidée au cas par cas. Qu'est-ce qui est valable ici : le sens de la parole du Pape ou la tradition contraire de ses prédécesseurs ?
Le Cardinal Müller : Il n'y a pas d'exception à l'indissolubilité d'un mariage sacramentel. Le cas individuel dont il est question ici concerne la question de savoir si oui ou non toutes les conditions naturelles (en particulier le désir de se marier) et la bonne compréhension du mariage ont été données dans la Foi au moment de contracter le mariage. Dans le cas normal, une procédure ordonnée de l’église (processus du mariage) clarifie si oui ou non un mariage est valide. Dans ce contexte, le Pape se réfère aux « cas individuels » dans des situations où l'Église ne peut donner aucune clarté mais où une seule personne, dans sa conscience et après une consultation minutieuse avec son confesseur, arrive honnêtement à la conviction de l'invalidité de son premier mariage. Le confesseur a besoin d'un discernement spirituel profond sur la base de l'enseignement ecclésiastique sur le mariage. Il ne peut pas simplement suspendre l'indissolubilité d'un mariage à sa propre discrétion et selon son propre jugement et ainsi ignorer la Parole de Dieu. Dans cette situation, par conséquent, des directives générales seraient ici une contradiction en soi. Ceci est également écrit dans le document papal [Amoris Laetitia]. Il n'y a pas de porte ouverte à une sorte de « divorce Catholique », qui est secrètement conçue et enveloppée de manière embarrassante dans des mots pieux. [mon soulignement]
Cet entretien a causé beaucoup de discussions parmi les Catholiques attentifs et sérieux principalement à cause de la référence inattendue du Cardinal Müller au for interne ( note : conscience profonde de la personne divorcée/remariée) qui a été et est beaucoup contesté pendant et après les deux Synodes sur la Famille.
Une recherche approfondie sur cette question nous a montré les aspects suivants. Tout d'abord, il existe un texte Doctrinal publié en 1994 par le Vatican (notamment promulgué par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi elle-même) qui rejette explicitement cette idée et l'application du for interne. Voici quelques citations importantes et pertinentes dans ce contexte :
« Durant les dernières années, différentes pratiques pastorales selon lesquelles une admission globale des divorcés remariés à la Communion eucharistique ne serait certainement pas possible, mais ils pourraient y accéder dans des cas déterminés, quand, en conscience, ils se sentent autorisés à le faire ». « Ainsi, par exemple, lorsqu'ils ont été abandonnés tout à fait injustement, bien qu'ils se soient efforcés sincèrement de sauver leur précédent mariage, ou quand ils sont convaincus de la nullité du mariage précédent sans pouvoir la démontrer au for externe, ou lorsqu'ils ont déjà parcouru un long chemin de réflexion et de pénitence, ou encore quand, pour des motifs moralement valables, ils ne peuvent satisfaire à l'obligation de se séparer ». « De diverses parts, il a aussi été proposé que, pour examiner objectivement leur situation effective, les divorcés remariés devraient nouer un colloque avec un prêtre prudent et expert. Ce prêtre cependant serait tenu de respecter leur éventuelle décision de conscience d'accéder à l'Eucharistie, sans que cela n'implique une autorisation officielle ». « Dans ces cas et d'autres semblables, il s'agirait d'une pratique pastorale tolérante et bienveillante visant à rendre justice aux différentes situations des divorcés remariés ». 4. « Même si l'on sait que des solutions pastorales analogues furent proposées par certains Pères de l'Église et entrèrent en quelque mesure dans la pratique, elles ne recueillirent jamais le consensus des Pères et n'en vinrent jamais à constituer la doctrine commune de l'Église, ni à en déterminer la discipline ». « [...] Celle-ci, fidèle à la Parole de Jésus-Christ(5), affirme qu'elle ne peut reconnaître comme valide une nouvelle union, si le mariage précédent l'était. Si les divorcés se sont remariés civilement, ils se trouvent dans une situation qui contrevient objectivement à la loi de Dieu et, dès lors, ils ne peuvent pas accéder à la Communion eucharistique, aussi longtemps que persiste cette situation ». (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre aux Évêques de l' Église Catholique sur l'accès à la Communion Eucharistique de la part des fidèles divorcés-remariés, 14 septembre, 1994, n ° 3 et 4). [mon soulignement]
« La conviction erronée, de la part d'un divorcé remarié, de pouvoir accéder à la Communion eucharistique présuppose normalement que l'on attribue à la conscience personnelle le pouvoir de décider, en dernière analyse, sur la base de sa propre conviction, (voir l'Encyclique Veritatis splendor,#55) de l'existence ou de la non-existence du précédent mariage et de la valeur de la présente union. Mais on ne peut admettre pareille attribution. (cf. Code de Droit Canonique, can 1085 § 2). En effet, le mariage, en tant qu'image de l'union sponsale entre le Christ et son Église et noyau de base et facteur important de la vie de la société civile, est essentiellement une réalité publique.... Dès lors, le jugement de la conscience sur sa propre situation matrimoniale ne regarde pas seulement un rapport immédiat entre l'homme et Dieu, comme si on pouvait se passer de cette médiation ecclésiale, qui inclut également les lois canoniques qui obligent en conscience. Ne pas reconnaître cet aspect essentiel signifierait nier en fait que le mariage existe comme réalité d'Église, c'est-à-dire comme sacrement ». (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre aux Évêques de l' Église Catholique sur l'accès à la Communion Eucharistique de la part des fidèles divorcés-remariés, 14 septembre, 1994, n ° 7 et 8). [mon soulignement]
L'avocat en Droit Canon, Edward Peters lui-même, a écrit sur cette question et montre également les limites de tels recours au for interne :
« Quelques exemples de l'exercice du pouvoir [du for interne] sont : la dispense de certains empêchements occultes au mariage dans des circonstances particulières ; [canoniquement] un mariage secret ; la rémission des censures réservées dans certains cas. » Hill, dans CLSA Comm (1985) 93-94 ; Voir aussi Viana, dans Exeg. Comm (2004) I : 825. Aucun de ces exemples classiques de for interne ne regarde la réception de la Sainte Communion par ceux qui vivent dans des mariages irréguliers ; en outre, tous exigent une intervention qui doit être documentée par l'autorité ecclésiastique pour leur efficacité ; une action personnelle de la part des individus concernés ne suffit pas. [mon soulignement]
Pour cet article, j'ai aussi consulté des personnes compétentes et bien formées : des théologiens, des avocats canonistes, des prélats et des prêtres. Plusieurs sources — que je respecte beaucoup — ont été troublées par la déclaration du Cardinal Müller et ont indiqué que cette idée for interne est en elle-même problématique (une source a déclaré : « Il y a une vieille maxime juridique : « Nemo iudex in causa sui » ( Personne ne peut être juge de son propre cas ). L'Église n'a jamais permis aux Catholiques individuels — ou à un prêtre qui n'entend qu’un côté Catholique de l'histoire dans le confessionnal — de décider que son propre mariage était [dès sa création] nul et sans effet ».)
Cependant, plusieurs autres sources très respectées ont dit que le Cardinal Müller lui-même n'a pas commis d'erreur dans son entretien avec le journal Allemand, dans la mesure où il n'a pas nié l'indissolubilité du mariage, n'a pas explicitement mentionné la Sainte Communion pour les « remariés » (même si la question elle-même l'indiquait) ; et aussi parce que l'Église elle-même a déjà pratiqué une sorte de for interne pour les très rares exceptions où il y avait, en effet, par exemple, de la fraude qui était impliquée ; et donc la personne elle-même ne peut prouver dans un tribunal ecclésial que le premier mariage était une tromperie et donc invalide. (Moi-même, je me demande toujours comment cela se produira pratiquement, étant donné que la plupart des prêtres tendent aujourd'hui vers une approche plus indulgente et plus laxiste des multiples cas de mariages « irréguliers » ; le for interne spécialement protégé pourrait bien nous confondre tous plutôt que de nous aider !)
Mais ce qui inquiète particulièrement beaucoup d'observateurs réfléchis est la question suivante : pourquoi le Cardinal Müller parle-t-il ici de cas si abstraits et si rares — et il prétend même implicitement que c'est vraiment à ces cas que le Pape François pensait dans Amoris Laetitia quand tout le monde Catholique est dans une confusion profonde et démoralisante ; et quand les premières déclarations épiscopales sont maintenant plus permissives et permettent ouvertement la Communion pour les « remariés » ?
Le Cardinal Müller nous aide-t-il suffisamment dans notre détresse et nous aide-t-il à clarifier et à résister à la confusion ? Ou avons-nous aussi besoin d'une nouvelle série de clarifications du Cardinal Müller lui-même ainsi que du Pape ?
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