Le Cardinal Jorge Mario Bergoglio, le futur Pape, à Aparecida, Brésil, en 2007
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Par : Père Raymond J. de Souza
Le Père Raymond J. de Souza est prêtre de l'Archidiocèse de Kingston, en Ontario, et rédacteur en chef de Convivium.ca
Le 28 juin 2018
SOURCE : Catholic Herald
Le scénario du Pontificat du Pape François a été écrit six ans avant son élection à l'Assemblée plénière d'Aparecida de la Conférence Épiscopale d'Amérique Latine ( CELAM ). Cependant, au cours de la sixième année du Pontificat, tout l'ensemble a été transformé, les acteurs semblent avoir mal tourné, l'intrigue a été modifiée et le rideau est sur le point de tomber bientôt. La grande mission continentale proclamée à Aparecida a-t-elle été abandonnée ?
Une Conférence Épiscopale continentale pour l'Amérique Latine — s'étendant du Mexique à l'Argentine et incluant les Caraïbes — a été établie par Pie XII et a tenu sa première réunion plénière à Rio de Janeiro en 1955. Mais c'est la deuxième plénière, à Medellín en 1968, qui a fait du CELAM une force majeure. Medellín a marqué un tournant définitif vers « l'option préférentielle pour les pauvres » comme marque de fabrique de l'Église en Amérique Latine.
La montée en puissance de la Théologie de la Libération dans les années 1970 signifiait que la troisième Conférence plénière, à Puebla, en 1979, devait clarifier dans quelle mesure les catégories Marxistes pouvaient être utilisées au service de l'Évangile. Le nouveau Pape qui est venu à Puebla, Jean-Paul II, en savait quelque chose et s'est mis à cribler le bon grain de l'ivraie.
Le fait que Saint Jean-Paul II ait fait son premier voyage à l'étranger trois mois après son élection, en gardant l’engagement de Paul VI d’y être, était un signe de l'importance de la plénière du CELAM — où plus de la moitié de la population Catholique est représentée.
L’assemblée suivante, tenue à Santo Domingo en 1992 à l'occasion du quinquennat de l'arrivée de Christophe Colomb dans le Nouveau Monde, fut moins importante. Il y a eu des plaintes au sujet d'un contrôle abusif de la part de Rome, et il n'était pas clair s'il y avait un appétit pour une autre session plénière du CELAM.
Mais après un long intervalle, il y a eu une session plénière en 2007, sous la présidence du CELAM par le Cardinal Javier Errázuriz, Archevêque de Santiago. Aparecida était au moins égale en importance à Medellín et a été décrit par plusieurs comme une avancée pour le CELAM.
Décrit en 2012 par George Weigel comme le « plan directeur de la nouvelle évangélisation en Amérique Latine », le biographe papal a rapporté favorablement ses discussions à Aparecida avec le Cardinal Jorge Mario Bergoglio, principal auteur du document final. Quand moins d'un an plus tard, Bergoglio fut élu Pape, Weigel n'était qu'un des nombreux observateurs à faire la relation entre son élection à la Papauté avec le leadership de Bergoglio à Aparecida. « Tout le monde dans l'Église, a-t-il écrit [ à Aparecida ], est baptisé pour être un « disciple missionnaire » écrit Weigel. « Partout, c'est un territoire de mission, et tout dans l'Église doit être dirigé par la mission ».
En effet, le CELAM a proposé une « grande mission continentale » qui était le plan pastoral pour toute l'Amérique Latine. Des semaines après son élection, le Pape François a annoncé la nomination de son nouveau groupe consultatif principal, le Conseil des Neuf Cardinaux, composé du Cardinal Errázuriz et du Cardinal Óscar Rodríguez Maradiaga, également membres du comité de rédaction d'Aparecida. Il semblait clair que la teneur d’Aparecida était arrivée pour l'Église Universelle. Plus tard cette année-là, le Pape François publia l'exhortation Evangelii Gaudium, confirmant que toute l'activité de l'Église devait être orientée vers l’apostolat missionnaire, appelant à une Église qui sortait d'elle-même, laissant derrière elle la sacristie pour les rues, les chancelleries pour les hôpitaux de campagne.
Cinq ans plus tard, la grande mission continentale est bloquée sur plusieurs fronts. La fin la plus dramatique de l'énergie missionnaire d'Aparecida est au Chili où les cas d'abus sexuels ont été si désastreusement gérés par le clergé du Chili et par Rome au point que ça s'est métastasé en une crise catastrophique dont il faudra au moins une génération pour se rétablir. Il restera en effet peu d'énergie pour les initiatives missionnaires car le Chili se préoccupera d'enquêtes, de récriminations, de litiges, de compensation, de contrition et de réconciliation.
Le rôle du Cardinal Errázuriz, étant dans l’entourage du Pape, a suscité une mauvaise gestion du Chili par le Pape François. Pendant ce temps, les rapports de presse d'un prétendu scandale dans le diocèse du Cardinal Maradiaga signifient que les Latino-Américains du Conseil des Cardinaux n'ont pas été non plus une force qui a fait avancer les priorités pastorales du Saint-Père, mais plutôt une distraction.
Pourtant, ce sont aussi ces priorités pastorales qui, de manière contre-intuitive, ont détourné l'Église de sa première proclamation de l'Évangile. Le processus du Synode sur la Famille en 2014 et 2015, qui a abouti à la publication d'Amoris Laetitia en 2016, a focalisé énormément d'énergie vers l'intérieur de l’Église, car même les partisans les plus enthousiastes du Saint-Père ne pouvaient pas s'entendre sur ce qui était enseigné dans ce document. La mission de proclamer à nouveau le message de l'Évangile pour le Mariage et la vie de famille a été compromise par des disputes doctrinales concernant des notes de bas de page ambiguës et une langue apparemment en contradiction avec l'enseignement établi, par exemple, par rapport à l'Encyclique Veritatis Splendor de Jean-Paul II.
Étonnamment, ce Pontificat a consacré une énergie extraordinaire précisément aux affaires de sacristie : la discussion pendant cinq ans sur la réforme bureaucratique discutée par le Conseil des Cardinaux, la mise en œuvre des réformes financières et leur revers, la mise en œuvre des abus sexuels réformes et leur revers, la démission du nouveau Préfet des communications et son revers partiel. La perspective, rendue possible par les réformes du Pape François, qu'un nouveau cycle pluriannuel de traductions liturgiques révisées est à l'horizon est encore une autre initiative de sacristie intensive.
Des facteurs externes ont également émoussé la capacité de l'Église Latino-Américaine à mettre en œuvre Aparecida. Les tentatives récentes pour libéraliser les lois sur l'avortement au Chili et en Argentine ont consommé de l'énergie ecclésiale sur des questions dont le Pape François préférerait ne pas être « obsédé ».
De plus, la décennie écoulée depuis Aparecida a été politiquement difficile dans les pays du CELAM. Le Venezuela est la réalité la plus cruelle, avec une population affamée par son propre gouvernement, mais cette année, les Évêques du Honduras, du Nicaragua et de l'Équateur ont tous été saisis par la nécessité de gérer des crises politiques. Les Évêques Mexicains, pour leur part, tentent de faire face à la violence meurtrière continue contre leurs prêtres. Il est très difficile de s'engager dans un travail missionnaire lorsque divers régimes de déprédation remplissent de corps les hôpitaux de campagne.
Il s'est avéré un défi particulier pour le Pape François qui est réticent à critiquer les régimes de gauche. Alors qu'il se prépare à accueillir le Président Bolivien Evo Morales — l'homme qui a offert au Pape François le Crucifix en forme de marteau et de faucille — ce samedi pour la sixième fois, le Saint-Père doit déplorer que la crédibilité de l'Église pour « l'option préférentielle pour les pauvres » exige de s'opposer aux régimes qui prétendent assumer le même rôle.
Peut-être la preuve la plus claire par contre qu'Aparecida a été abandonné est le Synode de 2019 pour la région Amazonienne. Plus d'une décennie après Aparecida, la grande mission continentale n'a pas su desservir de manière adéquate le vaste territoire de mission au cœur de son propre continent. Le Synode, dans sa phase préparatoire préparant déjà le terrain pour l'ordination des hommes mariés comme prêtres, ne vise pas à lancer une grande poussée missionnaire dans l'intérieur des pays environnants, mais laisse l'Amazonie à elle-même, concédant que la grande mission continentale est inadéquate à la tâche.
La proposition est à couper le souffle, à savoir que le même sacerdoce célibataire qui a évangélisé l'ensemble de l'Amérique Latine face à d'immenses défis n'est pas aujourd'hui une option viable. L'étape radicale d'ordonner des hommes mariés est basée sur la prémisse que des Missionnaires ne peuvent pas être trouvés pour la tâche. L'Église en mission permanente à Aparecida a conclu que l'échec missionnaire est maintenant permanent.
Une Église repliée sur elle-même, en proie aux scandales, aux problèmes de la vie, confrontée à un échec politique catastrophique et incapable d'évangéliser sa propre cour — ce n'est pas la vision galvanisante du CELAM en 2007. Loin d'être un moment à teneur d’Aparecida pour l'ensemble de l’Église, Aparecida a été abandonnée même à la maison.
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