Testem Benevolentiae Nostrae : l'Américanisme et le Pape Léon XIII
Écrit par Hilary White
ex-correspondante à Rome
Le 30 mai 2016
SOURCE : The Remnant
Quand je commencé à étudier ce qui se passait réellement dans l'Église, je fus surprise de découvrir que nos difficultés datent de bien avant les années 1960. J’ai lu des sommités comme le Cardinal Newman qui écrivait au 19ème siècle contre le « libéralisme ». Ce me fut une révélation de voir que les dirigeants Catholiques avaient fait des mises en garde plus de cent ans avant que je ne l’observe présentement autour de moi. Je fus aussi surprise, étant donné l'opacité verbeuse habituelle des Prélats modernes, de voir comment ces Papes pré-conciliaires étaient simples, directs et compréhensibles. Ce fut assez inspirant, réconfortant et encourageant de lire ce matériel compte tenu de nos problèmes actuels.
Testem Benevolentiae Nostrae est la lettre du Pape Léon XIII au Cardinal James Gibbons, Archevêque de Baltimore, mettant en garde contre ce que le Pape appelle « l'américanisme » et certaines tendances de la pensée qu'il craignait qu’elles sapent la confiance des Catholiques envers l'autorité de l'Église. On peut voir maintenant que ses craintes étaient bel et bien fondées et peuvent au moins nous rassurer que nos problèmes ne sont pas nouveaux et ne semblent pas être sortis du néant seulement à partir du Concile Vatican II.
Le fait qu'il y avait des voix au sein de l'Église Catholique des États-Unis à la fin du 19ème siècle appelant aux mêmes choses que nous voyons instaurer par le Pape François et ses copains aujourd'hui, vous montre que nous sommes toujours sur la même voie, à lutter dans cette même guerre qui dure depuis des centaines d'années. Et les réponses du Pape Léon vont nous donner des armes pour combattre.
À cette époque, en 1899, Gibbons était le principal Prélat Catholique aux États-Unis. Mais même avec lui à la tête de l'Église des États-Unis, les problèmes étaient en développement et ils finiraient par s’ensemencer — ou plus exactement, s’ensemencer délibérément — dans toute l'Église universelle. En effet, les mises en garde du Pape contre « certaines discussions qui se sont récemment élevées parmi vous et qui, au détriment de la paix, troublent gravement sinon tous les esprits, du moins un très grand nombre » vous sembleront tout à fait familières.
« Le principe des opinions nouvelles dont Nous venons de parler peut se formuler à peu près en ces termes : pour ramener plus facilement les dissidents à la vérité Catholique, il faut que l'Église s'adapte davantage à la civilisation d'un monde parvenu à l'âge d'homme et que, se relâchant de son ancienne rigueur, elle se montre favorable aux aspirations et, aux théories des peuples modernes ».
« Or, ce principe, beaucoup l'étendent non seulement, à la discipline, mais encore aux doctrines qui constituent le dépôt de la foi ».
Il cite le Premier Concile du Vatican :« Ils soutiennent en effet qu'il est opportun, pour gagner les cœurs des égarés, de taire certains points de doctrine comme étant de moindre importance, ou de les atténuer au point de ne plus leur laisser le sens auquel l'Église s'est toujours tenue ».
« La doctrine de la foi révélée par Dieu a été présentée à l'esprit humain non comme un système philosophique à perfectionner, mais comme un dépôt divin confié à l'Épouse du Christ qui doit fidèlement le garder et l'interpréter infailliblement... »
« Le sens que notre Sainte Mère l'Église a une fois déclaré être celui des dogmes saints doit être toujours conservé, et, jamais il ne s'en faut, écarter sous le prétexte ou l'apparence d'en mieux pénétrer la profondeur ».
Le Pape s’accorde pour affirmer que le Cardinal et d'autres prêtres aux États-Unis sont moralement irréprochables : « ils ne sont, pas mauvais, croyons-Nous, quant à l'intention », mais ajoute, « mais on constatera que, pris en eux-mêmes, ils n'échappent en aucune manière au soupçon ».
Le Pape écrivait en réponse à un groupe de prêtres « progressistes » Français qui avaient commencé à s’agiter en faveur d’un changement d'attitude envers les régimes anti-Catholiques enlignés contre l'Église.
Un peu avant que Gibbons ne débuta sa carrière épiscopale, un prêtre nommé Isaac Thomas Hecker avait fondé la Communauté des Prêtres Paulistes — un groupe qui est aujourd'hui connu comme l'un des leaders du néo-modernisme Post-Conciliaire. Hecker croyait que l'Église ne devrait pas être hostile aux « idées modernes » et il a été identifié comme un « libéral Catholique » (en se rappelant qu'à cette époque, le terme était pas encore synonyme d’ « apostat hérétique » ). Il croyait à une stratégie de présentation de segments sélectionnés du Catholicisme quand on s'adressait aux Protestants Américains.
En ces temps, une telle stratégie aurait pu sembler tout à fait raisonnable ; en conservant un silence discret en compagnie de certaines personnes sur des sujets qui ne pouvaient que provoquer une réaction négative (cf : le parti nativiste « Ne rien savoir » et l'incendie du convent des Ursulines à Charlestown, Massachusetts démontrent l’hostilité Catholique et Protestante). Ceci, il faut se le rappeler, est survenu bien avant que la menace du Modernisme soit devenue une réalité universelle dans l'Église et que l'orthodoxie doctrinale ait été prise pour acquis dans le clergé et la laïcité Catholique. Et, pendant une longue période, ce fut une stratégie qui a porté fruit avec de nombreux nouveaux convertis parmi la population Américaine.
Mais ce fut l'interprétation et l'application française des idées de Hecker qui ont sonné l’alarme. Une biographie de Hecker a été traduite en français et sa publication a été portée à l'attention du Pape par un des prêtres progressistes Français.
Alors que Gibbons travaillait à améliorer les relations entre les Catholiques et les Protestants aux États-Unis et faisait beaucoup pour établir une longue paix dont le Catholicisme bénéficierait, Léon était confronté à une détérioration de la situation en Europe. Tout au long de la fin des 18e et 19e siècles, à la suite du chaos créé par les guerres napoléoniennes, les laïcs et les anticléricaux était partis dans un saccage, délimitant de vastes territoires à partir des États anciennement Catholiques que Napoléon avait déjà dénudés d'une grande partie de leur présence cléricale et monastique, installant par la force leur principe anti-autoritaire et éliminant le pouvoir temporel de l'Église.
Les prêtres Français, prenant Hecker comme source d’inspiration, étaient en faveur d'une relation plus conciliante avec la République athée en France et critiquaient l'hostilité de l'establishment conservateur envers le régime. En fait, leur slogan sera familier à ceux qui ont suivi l'actuel pontificat : « Allons au peuple ». Ils ont regardé les États-Unis comme un modèle d'une Église vigoureuse qui se penche moins sur la politique et davantage sur la condition sociale et spirituelle du peuple.
Gibbons lui-même n’était pas un progressiste au sens européen du terme, ( il avait voté en faveur de la déclaration du Dogme de l'Infaillibilité Pontificale au Concile Vatican I ) mais il avait fait une brillante carrière en tant que Premier Prélat Catholique dans la société Américaine et il était très bien accepté en tant que leader religieux par les Catholiques et les Protestants. Ayant parti d’une atmosphère d'intolérance violente du Catholicisme de la part de la majorité Protestante, la première affectation de Gibbons fut comme Vicaire Apostolique de l'État de la Caroline du Nord, un vaste territoire géographique avec plus de 700 Catholiques.
Il a gagné une énorme popularité et le respect tout en ne se gênant pas en même temps de la nécessité de favoriser des conversions. En effet, il a été l'auteur d'un des plus célèbres livres en apologétique, la « Foi de Nos Pères ». Mais il a gagné cette acceptation — y compris l'admiration des Présidents — en parlant des questions religieuses d'une manière qui soit acceptable pour les Catholiques et les Protestants, en marchant toujours sur un fil mince qui aujourd'hui serait appelé « œcuménique ».
L’œuvre de Gibbons — qui est devenu un prêtre après avoir entendu un sermon par un co-fondateur Pauliste — afin d’affermir les titres de créances Catholiques en milieu Protestant s’est également fondé sur cette stratégie du silence stratégique auprès de groupes sociaux. Lorsque Léon a écrit Testem Benevolentiae, c’était cette stratégie qui suscitait le doute :
Léon a dénoncé l'idée qu'un tel silence stratégique était un moyen efficace d'apporter la Foi aux Protestants et aux Athées.« Il ne faut pas croire non plus qu'il n'y ait aucune faute dans le silence dont on veut couvrir certains principes de la Doctrine Catholique pour les envelopper dans l'obscurité de l'oubli. Car toutes ces Vérités qui forment l'ensemble de la Doctrine Chrétienne n'ont qu'un seul auteur et docteur : Le Fils Unique qui est, dans le sein du Père (2). Elles conviennent à toutes les époques et à toutes les nations ».
« Qu'on se garde donc de rien retrancher de la Doctrine reçue de Dieu ou d'en rien omettre, pour quelque motif que ce soit : car celui qui le ferait tendrait plutôt à séparer les Catholiques de l'Église qu'à ramener à l'Église ceux, qui en sont séparés ».
Comme une simple stratégie visant à faire accepter l'Église dans un environnement hostile, le silence stratégique aurait pu être considéré comme légitime à un moment où l'Église elle-même était supposée être défendue en son propre sein de l'hérésie, à la suite des réformes du Concile de Trente. Mais l'histoire a montré que la différence d'opinion entre les hommes comme Hecker et Gibbons et le Pape Léon ressort carrément en faveur de Léon. L'avertissement du Pape a été essentiellement ignoré aux États-Unis et cela a en effet provoqué une grande séparation des Catholiques de leur Mère l'Église.
Léon a accordé que l'Église pouvait permettre une grande latitude dans le domaine social à la condition que sa Doctrine ne soit en aucune façon compromise :
« Quant à la discipline d'après laquelle les Catholiques doivent régler leur vie, elle n'est pas de nature à rejeter tout tempérament, suivant la diversité des temps et des lieux ».
Mais il a dit que la décision sur la façon dont cet équilibre doit être maintenu relève de l'autorité compétente :« ... [L'Église ] s'est toujours tenue dans le même Dogme, au même sens et à la même formule (6) ; en revanche, il a de tout temps réglé la discipline, sans toucher à ce qui est de droit divin , de façon à tenir compte des mœurs et des exigences des nations si diverses que l'Église réunit dans son sein » .
« Et qui peut douter que celle-ci [l'Église] soit prête à agir de même encore aujourd'hui si le salut des âmes le demande ? Toutefois, ce n'est pas au gré des particuliers, facilement trompés par les apparences du bien ».
Et cela inclut les prêtres et les Évêques individuels, même célèbres et illustres. Mais pire encore, dit Léon, c’était l'utilisation que les ennemis de la Foi pouvaient faire d'une telle stratégie :
...« Le dessein des novateurs est encore plus dangereux et plus opposé à la Doctrine et à la discipline Catholiques. Ils pensent qu'il faut introduire une certaine liberté dans l'Église, afin que la puissance et la vigilance de l'autorité étant, jusqu'à un certain point, restreintes, il soit permis à chaque fidèle de développer plus librement son initiative et son activité ».
« Ils affirment que c'est là une transformation nécessaire, comme cette liberté moderne qui constitue presque exclusivement à l'heure actuelle le droit et le fondement de la société civile ».
Cette lettre au Cardinal Gibbons est venue après la publication en 1864 du Syllabus des Erreurs, ce document qui décrit les dangers d'un État qui suit les principes de la laïcité athée. Largement décrié et constamment ridiculisé par « Progressistes » à la fois à l'époque et dans les temps modernes, le Syllabus est quotidiennement devenu justifié alors que nous voyons la détérioration inévitable des idées condamnées par ce Syllabus dans le cadre d’un totalitarisme anti-chrétien suffocant et agressif.
Il prévient que ... « Ajoutons que ceux qui raisonnent ainsi s'écartent tout à fait des sages desseins de la Providence divine ».
« Les périls du temps présent… La licence confondue un peu partout avec la liberté, la manie de tout dire et de tout contredire, enfin la faculté de tout apprécier et de propager par la presse toutes les opinions, ont plongé, les esprits dans des ténèbres si profondes que l'avantage et l'utilité de ce magistère sont plus grands aujourd'hui qu'autrefois pour prémunir les fidèles contre les défaillances de la conscience et l'oubli du devoir ».
L'Église n’est pas un corps de luddites *, rejetant les avances de « l'industrie moderne et de la science », dit Léon. En effet, « nous applaudissons, au contraire, à toute recherche de la vérité, à tout effort vers le bien, qui contribue à accroître le patrimoine de la science et à étendre les limites de la félicité publique ».
En outre, dit-il, il y a une valeur dans une approche moins formelle, plus « conviviale ».« Mais, tout cela, sous peine de ne pas être d'une réelle utilité, doit exister et se développer en tenant compte de l'autorité et de la sagesse de l'Église ».
« Si, parmi les différentes façons de prêcher la Parole de Dieu que l'on semble parfois être préférable et qui est dirigée vers des non-Catholiques, et non pas dans des églises, mais dans un endroit approprié, de telle manière que la controverse n’est pas recherchée, mais une conférence conviviale, une telle méthode est certainement sans faute
».
Mais il prévient que cela ne peut pas être une tâche entreprise par tout le monde. Alors que tout Catholique est autorisé à « évangéliser » d'une manière conforme à son état propre dans la vie, le travail d'amener les non-Catholiques et les non-pratiquants dans le troupeau relève de l'autorité appropriée.
« Que ceux qui entreprennent un tel ministère se distinguent par l'autorité des Évêques et qu'ils soient des hommes dont la science et la vertu aient été précédemment constatées. Car nous pensons qu'il y en a beaucoup dans votre pays qui sont séparés de la Vérité Catholique plus par ignorance que par mauvaise volonté, et qui pourraient peut-être être plus facilement attirés dans le seul troupeau du Christ, si cette Vérité leur est présentée dans une ambiance conviviale et d’une manière familière.»
Léon réfute directement l'idée que le Saint-Esprit pourrait conduire l'Église à évangéliser dans une nouvelle façon. « Il n'est personne qui conteste que l'Esprit-Saint opère dans les âmes justes par une action mystérieuse » dit le Pape. Mais Il « les stimule de ses inspirations et de ses impulsions; s'il n'en était pas ainsi, tout secours et tout magistère extérieur serait vain ».
Et comme pour l'idée d'installer une nouvelle méthode « de ramener ceux qui se sont éloignés de l'Église », dit Léon, « il suffit de noter que ça ne fait pas partie de la prudence de négliger ce que l'antiquité dans sa longue expérience a approuvé et qui est aussi enseigné par l'autorité apostolique ».« Cette observation a trait à la loi commune de la Providence qui a établi que les hommes fussent généralement sauvés par d'autres hommes et que de même ceux qu'elle appelle à un plus haut degré de sainteté y fussent conduits par des hommes, « afin que, suivant le mot de saint Jean Chrysostome, l'enseignement de Dieu nous parvienne par les hommes
».
Les Évêques Américains ont renvoyé une réponse exprimant leur plus grande obéissance au Pontife et leur accord avec tout ce que l'Église proposait, en niant que les erreurs mises en garde par Léon prenaient racine aux États-Unis. Il semble raisonnable de croire qu'ils étaient parfaitement sincères. Mais l'histoire a une façon de montrer que, même sincères, les erreurs non coupables ne sont pas sans conséquences.
En effet, Léon le dit tout autant, très franchement :
...« Il faut remarquer en outre que ceux qui tendent à une plus grande perfection [...] sont plus exposés à s'égarer et ont, en conséquence, besoin plus que les autres d'un maître et d'un guide…
»
... Et nous l'avons vu.« C'est ce que l'on a constamment pratiqué dans l'Église ; c'est la doctrine qu'ont professée unanimement tous ceux qui, dans le cours des siècles, ont brillé par leur science et leur sainteté ; et ceux qui la rejettent ne peuvent assurément le faire sans témérité ni péril ».
Le reste de la lettre mérite une lecture attentive (voir cette lettre ici), en particulier en tenant compte du contexte actuel.
* Luddite : Membre d'une des bandes d'ouvriers du textile anglais, menés par Ned Ludd, qui, de 1811 à 1813 et en 1816, s'organisèrent pour détruire les machines, accusées de provoquer le chômage.
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