* * * * NOUVEAU Samedi 8 novembre 2016. LITURGIE : PEUT-ÊTRE NE VEUT-ON TOUT SIMPLEMENT PAS D'UNE RÉFORME DE LA RÉFORME...
Au printemps prochain se tiendra à Herzogenrath (D) un Congrès Liturgique International. Le Cardinal Sarah, invité de longue date, avait confirmé sa présence à plusieurs reprises : et voilà qu’à présent il décline brusquement l’invitation. Officiellement, pour des raisons d’agenda.
Martin Lohmann a pu s’entretenir pour le compte de Kathnet avec le Père Guido Rodheudt, Curé de la paroisse de Herzogenrath (évêché d’Aix-la Chapelle) et organisateur du Congrès.
Kathnet : Le Cardinal Robert Sarah a brusquement annoncé qu’il ne serait pas présent lors de votre Congrès Liturgique. Savez-vous pourquoi ?
P. Guido Rodheudt : Le Cardinal Sarah nous a expliqué qu’il était pris cette année par toute une série d’obligations en tant que Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, et que cela le forçait, malgré plusieurs confirmations, à annuler sa participation.
C’est d’autant plus ennuyeux que le thème qu’il devait aborder en tant que Préfet de la Congrégation pour le Culte était justement : “L’importance du Motu proprio Summorum Pontificum pour le renouveau de la liturgie dans l’Eglise Latine”. Nous avions vu dans un tel événement un soutien de premier ordre venu d’en haut en faveur de notre réflexion visant à remettre sur le droit chemin certaines déviations observées dans le domaine liturgique, grâce à une prise de conscience renouvelée de la notion de Tradition.
Kathnet : Le Cardinal s’est clairement engagé pour un renouveau liturgique dans l’esprit de Summorum Pontificum. A plusieurs reprises il s’est prononcé en faveur de la célébration “versus Deum”, c’est-à-dire en se tournant tous ensemble - prêtre et assemblée - vers Dieu. Et ce, tout à fait dans l’esprit de ce que disait aussi Benoît XVI. Est-ce pour cela que beaucoup de gens prétendent qu’il serait “controversé”, comme on dit poliment ?
P. Guido Rodheudt : Ni le concile Vatican II, ni les réformes liturgiques mises en place à sa suite n’ont demandé le changement d’orientation systématique et obligatoire de la célébration eucharistique. L’obligation péremptoire de célébrer la messe face au peuple ne correspond ni aux textes du Concile, ni aux normes issues de la réforme liturgique qui a suivi.
Ainsi, par ses encouragements à pratiquer à nouveau la célébration “versus Deum”, le Cardinal Sarah a mis le doigt sur quelque chose qui était de toute façon déjà contenu dans les livres liturgiques. Bien sûr, ceci est nié par ceux qui ont bâti leur réflexion sur l’idée d‘une certaine évolution de la liturgie après le Concile ; une évolution souvent construite en opposition avec les projets initiaux des Pères conciliaires et des textes de ce Concile.
Kathnet : Pourquoi le discours prononcé par le Cardinal Sarah à Londres a-t-il provoqué une telle opposition ?
P. Guido Rodheudt : Avec son plaidoyer de Londres, le Cardinal Sarah a mis le doigt dans une plaie ouverte. De plus en plus, et en tous lieux, après le Concile, la pratique liturgique en était venue à perdre de vue le sens du sacré, le sens de l’adoration d’un Dieu présent mais caché. Pourquoi donc ? A cause de la disparition de formes rituelles imposées, qui jusqu’ici renfermaient le sacré, le contenaient, le transmettaient sans l’altérer, sans équivoque possible. Rien d’étonnant après cela qu’il y ait eu une levée de boucliers lorsque le Cardinal Sarah s’est employé à rejeter l’idée persistante qui consiste à déclarer que la célébration “face au peuple” a été voulue par le Concile, que c’est l’authentique orientation décrétée par le Concile.
L’opposition fut particulièrement vive parce que le Cardinal ne s’est pas contenté de réfléchir à la chose d’un point de vue théorique, mais a voulu qu’on en tire une conséquence pratique.
Par ailleurs cet événement a suscité chez beaucoup de jeunes prêtres un intérêt positif palpable : chose que n’avaient pas prévue les stratèges liturgiques dans l’air du temps.
Kathnet : Pouvez-nous nous expliquer pourquoi on se sent stigmatisé lorsqu’on aime cette liturgie célébrée depuis des siècles, officiellement reconnue par le Pape Benoît, et qu’on sait vraiment la célébrer ?
P. Guido Rodheudt : Qu’est-ce que la liturgie, sinon l’art et la manière de célébrer la foi et de rendre Dieu présent ? Un art coulé dans des formes rituelles, c’est-à-dire soustraites à toute subjectivité. Rien d’étonnant alors à ce que, sur la base d’une théologie devenue subjective, les actions rituelles classiques de la liturgie soient remises en question. C’est pourquoi le désir de liturgie classique éveille le soupçon de vouloir se démarquer de l’idée d’un changement de paradigme devenu comme un hyper-dogme.
Kathnet : Comment expliquez-vous que beaucoup de jeunes trouvent le chemin de l’ancienne liturgie ? Cela ne peut être par nostalgie puisque, vu leur âge, ils ne peuvent pas se souvenir des formes liturgiques d’avant le Concile.
P. Guido Rodheudt : Oui, effectivement. Lorsqu’en 2007 j’ai commencé à célébrer la messe selon l’ancien missel de 1962 deux fois par semaine, les jeunes de ma paroisse ont appelé cela “la nouvelle messe”. Concernant l’attrait qu’exerce l’ancienne liturgie sur les jeunes générations, il faut considérer le contexte dans lequel ce genre de chose prend racine et grandit. Dans mon expérience pastorale personnelle, je vois bien que, dans cette époque de globalisation échappant à toute vue d’ensemble, de modes sans cesse changeantes, les jeunes recherchent des ilots de fiabilité et de stabilité. Et c’est ce qu’ils trouvent dans la liturgie classique. Pour eux, elle n’est pas ancienne, mais intemporelle.
Si l’on demande aux jeunes pourquoi ils aiment fréquenter l’ancienne liturgie, la réponse est toujours la même : ici, je me sens plus proche de Dieu, j’ai plus de silence, tout est plus sacré. Il faudrait se laisser pénétrer par ces affirmations avant de vouloir les rejeter. Et il faudrait se demander pourquoi ces sentiments ne sont pas perçus de la même façon dans les liturgies rénovées, ou du moins telles qu’elles sont souvent célébrées dans les faits. En tout cas, je peux vous affirmer que les personnes qui cherchent un nouveau contact avec la foi, le trouvent souvent dans une rencontre avec la liturgie classique. Apparemment, celle-ci, dans la forme objective de son langage, leur parle sans équivoque d’une réalité intemporelle, d’un au-delà, alors que les célébrations bricolées et subjectives, avec leur incessant besoin d’informer et de sermonner leur évoquent plutôt l’ennui d’un cours au lycée. Le jeune qui désire aujourd’hui s’extraire de ce monde unidimensionnel, trouve ce qu’il cherche dans le silence du Mystère, et sûrement pas dans la logorrhée ennuyeuse des célébrations liturgiques à thème.
Kathnet : Le désistement du Cardinal Sarah est un coup rude pour votre Congrès. Croyez-vous aux problèmes d’agenda ? Ou bien François serait-il intervenu ? Il y a bien eu un antécédent, où le Cardinal s’est vu obligé de se rétracter…
P. Guido Rodheudt : Nous n’avons aucune information concernant une intervention du Saint Père demandant au Cardinal Sarah de se retirer. Ce qui est évident par contre, c’est que le Pape François ne montre pas un intérêt féroce pour les questions liturgiques.
Le Cardinal Sarah a provoqué pas mal de remous l’été dernier avec ses déclarations à Londres au sujet de la liturgie. Ce qui gêne surtout, c’est qu’il entend faire le point sur la pratique liturgique actuelle. Mais ces réflexions ne sont pas neuves : elles correspondent globalement à ce que le Pape Benoît XVI avait déjà évoqué en parlant de “réforme de la réforme”. Il avait introduit cette expression, dès 2002 lors d’une conférence sur la liturgie en France, alors qu’il n’était encore que Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi. Il voulait, de cette façon favoriser une nouvelle réflexion non seulement sur la pratique liturgique, mais aussi sur certaines normes rituelles de la liturgie, dans le but de remettre le sens du sacré et de l’adoration au centre des célébrations. Il semblerait que pour le Pape François, de telles questions ne valent pas la peine qu’on organise de grandes discussions publiques. On croit savoir qu’il aurait prié le Cardinal Sarah d’arrêter de s’occuper de ces questions dans sa fonction de Préfet de la Congrégation des rites, et de ne plus utiliser les termes de “réforme de la réforme”. Ce faisant, le Pape a officiellement stigmatisé une expression théologique créée par son prédécesseur. C’est à partir de là, à mon sens, qu’il devient insupportable de continuer à propager cette opinion qu’on entend partout à la façon d’un mantra, à savoir qu’entre les pontificats de François et de Benoît XVI il n’y aurait pas la place d’un papier à cigarettes. On en vient à penser clairement que cette “réforme de la réforme” n’est pas vraiment voulue.
Kathnet : Vous-même, vous célébrez les deux formes du rite romain. Quel est dans ce cas le but de votre Congrès ?
P. Guido Rodheudt : Ce Congrès, qui a lieu depuis 18 ans, est organisé depuis 2009 dans ma paroisse de Herzogenrath. Ce n’est en aucun cas un événement s’adressant à certains groupes de traditionalistes qui se retrouveraient lors d’une sorte de rencontre familiale pour partager leurs convictions liturgiques et travailler dans le sens d’une sorte de “re-tridentinisation” globale. Notre but est de démontrer que le fait de travailler à une prise de conscience renouvelée du sens liturgique n’est pas un sujet pour écomusée. A Herzogenrath nous avons toujours essayé de faire connaître et avancer les idées de Benoît XVI : veiller à ce que les deux formes du rite romain s’enrichissent l’une par l’autre. Dans ma paroisse, la forme extraordinaire du rite romain, aussi appelée “rite tridentin”, vit à côté des célébrations selon le nouvel Ordo. Il ne s’agit pas de choisir l’un ou l’autre : la présence du rite classique et du chant grégorien fonctionne comme un correctif, silencieux mais tenace, de ce qui ne va pas dans la façon dont est mise en œuvre la liturgie rénovée.
Notre Congrès veut montrer - et tout spécialement à l’occasion du 10e anniversaire de Summorum Pontificum - que premièrement, “l’ancienne messe” n’est pas une messe ancienne, et deuxièmement qu’elle n’est pas une liturgie réservée à des communautés-Ecclesia Dei dont l’existence a été certes justifiée et fortifiée par le Motu Proprio, mais qu’on ne tolère qu’à la condition qu’elles restent sagement derrière les barreaux de leur ghetto traditionaliste. Non ! Selon notre compréhension des finalités du Motu Proprio, la pratique liturgique courante doit être positivement amendée par la présence manifeste et régulière de l’ancien rite. Cette manière de voir les choses est bien entendu capitale du point de vue de la politique ecclésiale, parce qu’elle conduit à exiger que les chemins déviants soient redressés. Il en va de l’avenir et de ses sources, comme le dit d’ailleurs le thème de notre Congrès. Et c’est aussi la raison pour laquelle tant de jeunes prêtres séculiers issus de nos diocèses allemands participent à nos Congrès.
Kathnet : Faut-il comprendre que ce Congrès - par lequel vous voulez, simplement, dix ans après sa parution, faire connaître le Motu Proprio Summorum Pontificum de façon calme et respectueuse, c’est à dire en désirant construire des ponts - que ce Congrès, donc, représenterait un danger pour la direction de l’Eglise du seul fait que vous auriez invité le Cardinal Sarah ?
P. Guido Rodheudt : Tout d’abord vous avez raison de considérer que nous essayons, depuis de nombreuses années, de jeter des ponts entre la Tradition et l’évolution ultérieure de la liturgie. En cela, nous sommes toujours retombés sur cette expression : “la réforme de la réforme”. Nous avons toutefois constaté que les autorités romaines n’avaient aucun intérêt pour la Tradition lorsque celle-ci se présentait en dehors d’un certain ghetto traditionaliste.
En d’autres termes : tant que “l’ancienne messe” est célébrée dans des centres animés par la Fraternité Saint-Pierre ou dans d’autres groupes traditionalistes, elle est plutôt inoffensive, ne touchant qu’un nombre limité, bien contrôlable, de fans. Une situation dont se contente malheureusement souvent la Communauté Ecclesia Dei elle-même.
Mais que la liturgie classique, avec tous les effets qu’elle suscite, s’échappe dans la nature et s’établisse dans une paroisse, la voilà qui produit des fruits et mène très facilement à considérer absurdes les déraillements liturgiques habituels. Evidemment cela, on n’en veut pas ! En conséquence, toute tentative de sortir l’ancienne liturgie de son ghetto est impitoyablement condamnée. Nous en avons fait l’expérience, ici à Herzogenrath : c’est précisément cet air frais qui souffle dans une paroisse normale et qui permet à une telle pratique liturgique de se déployer, qui est ressenti comme une menace par beaucoup de ces “conservateurs du modernisme”. Malheureusement certains en tirent prétexte - non par conviction, mais par peur d’être personnellement stigmatisés - pour ne pas participer au Congrès. C’est le cas surtout parmi ceux qui sont familiers des rouages officiels de l’Eglise.
Pourtant la fréquentation de nos événements est remarquablement nombreuse, et en augmentation constante. Et de plus statistiquement bien équilibrée entre jeunes et plus âgés, entre prêtres et laïcs, entre hommes et femmes : nous pouvons être plus que satisfaits.
Kathnet : Allez-vous rechercher un remplaçant pour le Cardinal Sarah ?
P. Guido Rodheudt: A l’heure qu’il est, il n’est pas question de chercher un remplaçant. Notre Congrès est le 18e d’une longue série de Congrès internationaux de liturgie, et pas le “Congrès Cardinal Sarah”. Bien sûr, le désistement du Cardinal Sarah nous cause une vive blessure. Nous ne voulons pas pour autant cacher cette blessure sous un pansement : dans les moments qui étaient prévus pour les interventions du Cardinal Sarah, nous allons organiser des forums ouverts pour évaluer la situation actuelle de la liturgie, faire le point et chercher des possibilités d’évolution.
Kathnet : Une question au pasteur épris de liturgie que vous êtes : quelle est l’importance de la liturgie pour la foi et la transmission de cette foi ?
P. Guido Rodheudt : La liturgie et la transmission de la foi sont indissociablement liés, selon l’ancien adage “lex orandi, lex credendi”. Cela signifie que l’Eglise a toujours tenu en haute estime le fait que le contenu de la foi et la célébration de la foi étaient tout un. La règle de la foi est aussi la règle de la prière, et la règle de la prière est aussi la règle de la foi. Ainsi, la liturgie est-elle la forme rituelle de la foi. Elle est même en un certain sens la source de toute connaissance sur la foi, et pas un simple élément de décor. C’est à cette vérité-là que se mesure toute véritable réforme liturgique.
SOURCE : PRO LITURGIA sous l'onglet ACTUALITÉS en date du 8 novembre 2016
mardi 8 novembre 2016
Désistement à un Congrès liturgique International
Ça ne tombait pas dans ses cordes d'abord !
Ça ne tombait pas dans ses cordes d'abord !
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