lundi 24 août 2015

Comment ça se passait dans le temps


Note de l'éditeur du Remnant (Source) : un retour en 1982, dans le numéro d'avril de Today Magazine, Anne Roche a écrit un article intitulé « The Way It Used To Be » (Comment ça se passait dans le temps).

Nous avons récemment découvert cet article tel qu'il a été reproduit dans l'un des grands et derniers magazines Approches de Hamish Fraser datant du début des années 1980.

On peut supposer que l'article qui donne à réfléchir reflète le genre de réflexion qui a éventuellement suscité le chef d'œuvre d'Anne Roche Muggeridge : « La Ville désolée : Révolution dans l'Église Catholique ». Avec des prières pour le repos de son âme, lisons cette belle description d'Anne de la façon dont les choses étaient et la façon dont elles seront sûrement à nouveau au temps de Dieu.

Michael J Matt



Parfois, j’ai dû aller à la messe à la lumière du jour quand j’étais jeune, mais mon plus grand souvenir y est de venir en esprit de reconnaissance lors des grandes noirceurs froides. Au début, c’était pour tenir compagnie à mon père. Il était mécanicien de chantier et devait travailler tous les dimanches. J’avais l'habitude de me dépêcher avec lui par les matins glaciaux de Terre-Neuve, frissonnant, allant vite au pauvre petit sous-sol de l'église, tout en bas dans la chaleur, les chandelles, le silence religieux. L'église était toujours étonnamment bondée. Les hommes de l'usine avec leurs boîtes à lunch, qui venaient de terminer ou qui étaient à la veille de commencer leur quart de travail, parfois la face noire à décharger des bateaux de charbon toute la nuit, à genoux sur le plancher à l'arrière, trop sales pour s’aventurer dans un banc. Il y avait aussi les infirmières et notre médecin, dans son vaste manteau de raton laveur avec sa valise, suite à un appel de nuit. Un Officier de la Gendarmerie Royale du Canada en uniforme. Et des jeunes encore en tenue de soirée après une fête.

Telle est peut-être le souvenir principal de tous les Catholiques qui ont grandi avant le Concile Vatican II de 1962 à 1965 : la basse messe en début de matinée, dite ou chantée, le murmure rapide du latin et les hautes voix sans passion des soeurs. La pierre angulaire de l'existence Catholique, le mystère rayonnant en son cœur. Ancien, beau, austère, intense, objectif, saint, « Introibo ad altare Dei » ... Nous allions vers l'autel de Dieu, à Dieu qui donnait la joie à notre jeunesse.

Si vous étiez assez Catholiques pour aller à la messe le dimanche, alors vous apparteniez à une culture contemporaine forte qui demeura vitale à travers les années 50, non affectée et en croissance en dépit des pressions du Modernisme, de la laïcisation, de la richesse, de la guerre et de la technologie. Si vous étiez un Catholique, vous étiez différents, vous vous démarquiez et ça ne vous dérangeait pas. Parfois, vous sembliez différents ... vous refusiez de manger de la viande, vous aviez eu de la cendre sur votre front et vous aviez beaucoup d'enfants. Même lorsque vous faisiez les mêmes choses que les non-Catholiques, vous les pensiez différemment. Tôt ou tard, il viendrait un moment où, comme dans le défilé de l'église de l'Armée Britannique, vous auriez à obéir au commandement : « Catholiques Romains, Rompez les rangs ! »

Maintenant que les Catholiques ne sont plus différents désormais, maintenant que la vision du monde Catholique et la culture qu'elle éclairait ont péri, il est presque impossible de faire ce mode de vie si clair et net et si satisfaisant à l'époque, de le faire même sembler crédible non seulement à mes enfants, qui ne l’ont jamais connu mais même à mes contemporains qui l’ont vécu eux-mêmes.

Le Catholicisme imprégnait tous les aspects de la vie. Même nos jeux étaient Catholiques. Ma cousine Teresa et moi jouions à entendre nos confessions respectives à travers la rampe d'escalier et nous jouions à être des religieuses. Et nous avions l’habitude de fantasmer, en ces jours religieux où seuls les prêtres étaient autorisés à prendre le Saint-Sacrement, que l'église était en train de brûler ou que les Vikings attaquaient, au cours desquelles crises merveilleuses nous serions autorisées à sécuriser le Saint-Sacrement au heureux risque de nos vies. Lorsque Paul Comtois, lieutenant-gouverneur du Québec, est décédé durant un incendie en essayant de sauver le Saint Sacrement de sa chapelle privée, je me suis souvenue de ces jours, et j’ai senti une étrange certitude que cet homme, élevé dans la même culture Catholique, s’était précipité à réaliser un rêve similaire d'enfance et je l’ai félicité à l’occasion de sa mort pour avoir tenu son Seigneur.

Nous n’étions pas du tout inhabituels ; nous étions des enfants de la classe ouvrière et moins de la moitié Catholique dans une nouvelle ville industrielle, le même genre d'enfants d’usine, avions-nous appris, à qui la Vierge Marie est apparue dans les célèbres apparitions de Lourdes, Fatima et La Salette. Nous pensions que ce n’était pas totalement impossible qu'Elle puisse nous apparaître si nous disions le chapelet sur le chemin de l'école. Et nous avons cru en nos Anges Gardiens aussi facilement que nous croyions en nos grands-mères.

Le profane et le sacré n'occupaient pas des compartiments séparés dans nos vies. Ils étaient complètement intégrés sur le plan opérationnel. Je me souviens d'une conversation avec mon amie la plus proche de l'école. Assises sur une colline près de la maison donnant sur la mer, dans l'exquise lumière d'un soir de printemps de Terre-Neuve, en attendant le coup de sifflet de l'usine et la cloche de l’Angélus annonçant l'heure du souper, nous avions discuté de façon posée ce que ma grand-mère avait fait pour souper (elle était une cuisinière remarquable) et si nous pouvions suivre l'exemple de Sainte Félicité, dont la dramatique histoire nous avait délecté ce jour-là à l'école. Sainte Félicité (dont le nom était rappelé à chaque messe jusqu'au jour où elle a été écartée sans protestation féministe devant ce changement) a été décapitée dans le second siècle pour avoir refusé de sacrifier aux idoles et d’avoir encouragé ses sept fils à faire de même. « Ayez pitié de vos enfants, Félicité, ils sont dans la fleur de la jeunesse » lui exhorta son Procureur romain. « Votre pitié est impiété » a-t-elle dit au Romain. Et à ses fils, avant de se rendre à leur mort brutale respective, elle leur a dit : « Regardez vers le Ciel où Jésus Christ avec Ses Saints vous attendent. Soyez fidèles dans son amour et luttez courageusement pour vos âmes ». Ils ont renoncé à une vie dans laquelle ils devaient mourir et commencer la vie éternelle. Chose terrifiante, très émouvante pour l'imagination féminine. Nous avons pensé que nous avions, nous aussi, à voir à mourir bravement, mais aurions-nous pu regarder nos enfants souffrir ? Alors je ne sais pas, et je ne sais pas maintenant.

Cette histoire a fait pour nous ce qu'elle était censée faire. Elle a marqué de manière indélébile en nous le principe de fonctionnement du Catholicisme : à savoir que nous sommes ici-bas dans une ville éphémère, donc que les actes humains ont des conséquences éternelles et que l'honneur de l'âme doit être valorisé au-dessus du corps. Contrairement à la présente propagande, ce point de vue était tout le contraire du tragique. Dans cette optique, la vie Catholique était héroïque et dramatique, romantique sans être sentimentale, à la fois hiérarchique et égalitaire. Le plus stupide et miteux Catholique était présenté comme capable de grandeur morale. Sans surprise, l'enseignement Catholique à cette vision du monde portait beaucoup sur les martyrs, sur les croisades et les missions, toute la splendide bravoure Catholique. Mais le vrai génie du Catholicisme est qu'il a réussi à investir le comportement privé de la vie Catholique la plus humble avec toute l'excitation et les dangers des premiers siècles de l'Église. Sa plus grande réalisation a été de faire de faire paraître le Bien aussi glamour que le mal peut se montrer. Il nous a tous convaincus que la personne qui a refréné une passion, qui a accepté la souffrance et l'injustice patiemment, qui a enduré une limitation des possibilités du monde pour des raisons de principes Chrétiens, était aussi grande et glorieuse que Saint Thomas More ou Sainte Félicité et tout aussi éternellement récompensée.

Le Catholicisme nous a poussés à apporter une imagination morale sur notre conduite personnelle, à accepter les conséquences de l’exercice de notre libre arbitre. « Prenez ce que vous voulez » dit Dieu « et payez pour cela ».

Je me souviens de ma cousine rompant son engagement parce qu'il n'y aurait pas eu de possibilité pour ses enfants de les élever comme Catholiques. Ma tante m'a dit, en détresse, qu’elle l’entendait pleurer nuit après nuit. Nous étions tous tellement désolés mais si certains qu'elle avait raison. Je me souviens d'une amie qui était profondément tombée en amour avec un homme marié à son travail, et lui avec elle ; elle se retira de la tentation et alla dans une autre ville et a fui à nouveau lorsqu’il l'a suivie. Et je me souviens aussi à genoux au mariage d'un ami bien-aimé qui avait confié à certains d'entre nous que lui et sa future épouse ne voulait pas obéir à l'Église en matière de contrôle des naissances. Il était d'usage dans notre paroisse d’honorer la mariée et le marié en leur permettant d’être à genoux à l'intérieur de la balustrade du sanctuaire au pied de l'autel. Ils se sont agenouillés sur des prie-Dieu recouverts de satin blanc sur l'estrade écarlate de l’autel comme s’ils étaient sur une scène. Nous avons attendu jusqu’à ce que le prêtre s’approche d'eux avec le Saint Sacrement et regarda sans comprendre alors qu’ils hochaient de la tête et que le prêtre hésitait, évidemment pas préparé pour entendre leur refus. Puis nous avons compris. Après un murmure étouffé mais frappant des membres plus âgés de l’assemblée, nous sommes allés de l'avant à la hâte autour d'eux pour recevoir la Sainte Communion nous-mêmes. La tête de la future mariée s’affaissait et celle du futur marié se releva droite d’une façon entêtée. L’arrière de son cou devint très rouge. Comme nous retournions à nos bancs, beaucoup d'entre nous échangeaient des regards de sympathie, mais aucun d'entre nous n'a jamais parlé de ce sujet par la suite. Le regret pour leur décision était mélangé avec une admiration pour leur sens de l'honneur, de leur refus de faire semblant devant Dieu.

Comme cet honneur Catholique était attrayant et comme il était galamment rendu à tous les niveaux de la société Catholique. Je me souviens d'une femme indienne analphabète qui vivait en union libre avec un homme marié dans notre ville. Très pieuse elle-même, elle a élevé ses enfants dans la piété. Plusieurs d'entre eux étaient servants de messe, leurs visages foncés graves par-dessus leurs beaux surplis blancs; je suis la marraine de l'un d'eux. Elle était toujours à la messe, perdue dans la dévotion, mais elle n'a jamais été à la Sainte Communion. « Certes, ça ne dérangerait pas Dieu si elle y allait ? » me demandais-je souvent. Maintenant que je sais que c’était condescendant et que la réponse était : « Peut-être pas, mais, elle, ça la dérangerait ».

Je pensais à cette femme et à mes amis récemment, quand une enseignante Catholique de Waterloo, en Ontario, qui a épousé un homme divorcé protestant, a interjeté appel de la décision de la commission de la licencier de son travail dans une école séparée. Je pense à eux à toutes les fois que j'entends les demandes croissantes, certaines d'entre elles en provenance des prêtres, que les Catholiques qui désobéissent aux lois de l'Église sur le mariage devraient être cependant admis à la Sainte Communion. C’est une marque du grand changement dans la vision Catholique du monde que ce ne soit pas considéré désormais être, à tout le moins, un comportement extrêmement minable. La piété est devenue impiété.

Il n'y a pas la moindre partie de ce tissu religieux Catholique d’il y a vingt ans qui n'a pas changé au-delà de la reconnaissance. Le Catholicisme est comme une ville détruite par la guerre : la plupart de ses habitants ont fui et ceux qui restent cueillent à travers les ruines en essayant de sauver les choses pas trop usées qui pourraient encore être utiles. John Kenneth Galbraith a fait remarquer que l'effondrement du Catholicisme a été la chose la plus surprenante qui est arrivé dans sa vie. Pour quelqu'un qui aimait le monde Catholique, cet effondrement a été traumatisant.

On ne m'a jamais si choquée dans ma vie que lorsque mon père m'a dit, il y a plusieurs années, avant de mourir qu’il n’allait plus à la messe. « Je ne vous crois pas ! » ai-je dit. « Ça ne peut pas être vrai ! Mais Bon Dieu béni ! Pourquoi ? »

« Eh bien, ma fille » répondit-il en hésitant : « Ce sont les changements. Je ne sens pas qu'il s’y passe quoi que ce soit là désormais. J’ai essayé, mais je ne peux pas ».

Mon père, dont la foi durant les moments difficiles et du temps de la mort atroce de ma mère, était resté si innocent, joyeux et confiant, qui jusqu’à ce moment-là aurait préféré plutôt mourir que de manquer délibérément la messe, qui prenait la Sainte Communion tellement au sérieux qu’il ne voulait pas la recevoir s’il avait tellement ri d’une plaisanterie blasphématoire au travail ... maintenant, pour lui, le miracle était parti. Ils avaient emmené son Seigneur, et il ne savait pas où ils l'avaient mis.

Depuis que la messe était, selon les mots de Saint Thomas d'Aquin, « le principal pilier de l'Église », elle a été la première cible de la révolution qui a accompagné le Concile Vatican II. Elle a été la première question à être discutée au Concile et des changements radicaux ont été introduits avant même que le Concile ne prenne fin. Les modifications liturgiques conçues par des idéologues et appliquées par des dupes, ont changé d'un seul coup le visage du Catholicisme et son état d’esprit est méconnaissable. Le culte a reçu un coup de pied et la culture est tombée avec elle. C’était inutile d'insister, comme quelqu’un l'a fait sans cesse, que le Concile n’avait pas changé la Doctrine Catholique.

Tout ce qui est Catholique a semblé tout à coup archaïque, discrédité. Le changement révolutionnaire devint la règle absolue. Du jour au lendemain, les gens faisaient volte-face de façon spectaculaire. Les religieuses qui nous avaient enseigné que la chasteté était un feu, et non pas de la glace, que c’était la fidélité à une personne aimée, le Christ, plutôt qu’une répression, sont devenues des sœurs donnant des cours d’éducation sexuelle.. Impossible de croire que la jeune fille avec qui j’ai une fois discuté de Sainte Félicité est maintenant une ardente féministe travaillant très dur pour l'avortement sur demande. C’est impossible d’accorder du crédit à un Cardinal et à un Évêque qui dansent main dans la main lors de réjouissances charismatiques ; qu'une Université Catholique participe à la Semaine de sensibilisation Gay. C’est consternant de voir, dans l'église de Sainte-Catherine où j’ai commencé ma vie conjugale, les femmes Catholiques extatiques « mourir dans l'Esprit », tomber au sol du sanctuaire dans le cadre d'un service charismatique, et se trouvant là dans un état de transe.

C’a été l'expérience la plus déconcertante, semblable à se mettre devant un miroir pour trouver tout le monde horriblement inversé. Les gens qui, il y a peu de temps, étaient tout à fait engagés dans l'orthodoxie et la tradition Catholiques ont, sans changer leur rythme, pris des positions diamétralement opposées. Et comme ces personnes sont fermement au pouvoir, le Catholique qui n'a pas inversé est regardé comme fou ou subversif. Après cinq minutes dans un rassemblement Catholique, j’ai commencé à me sentir comme une personne déplacée.

On ne se sent pas vertueux, on se sent tout simplement stupide et solitaire. Avec la désintégration de la matrice Catholique, il est devenu impossible de vivre la vie Catholique d’une manière naturelle. Outre le désagrément d'avoir des positions contre une majorité hostile, l'absence de joie d'une société, dont de nombreux dirigeants ont mis de côté leur croyance en l'éternité, affecte quelqu’un de désespoir.

Maintenant que le cœur est brisé, le Catholicisme est un acte de la volonté vécu sans honneur et sans amour, mais c’est l'amour parmi les ruines. On continue à aller aux messes éviscérées avec leurs prêtres antiques, l'excitation préfabriquée et l a légèreté de la Sainte Communion semblable à une cafeteria, et on ferme les yeux et prie la prière désespérée du croyant agnostique : « Seigneur, je crois, viens en aide à mon incrédulité ».

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